La nouvelle révolution industrielle et énergétique improbable

Cela semble prendre des économistes pour répandre à travers la société l’idée que notre avenir rime avec une nouvelle «révolution industrielle». Du moins, il est loin d’être évident comment une telle idée puisse se trouver autrement dans les discours politiques, économiques et journalistiques actuels. Je me demande si ce n’est pas un témoignage de l’efficacité du travail assidu et intéressant, mais malheureusement mal orienté, de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC). Je suis ce travail depuis au moins 2011 (liens suivants pour les articles) quand un colloque de l’IRÉC a lancé l’idée de l’électrification des transports, dans le contexte d’une «reconversion industrielle». Cette idée se jumelle à une autre, la «reconversion écologique» de nos politiques industrielles, en fonction d’une corvée transports avec une importante composante industrielle. Il y a un nombre important de publications consacrées à ces thèmes et la référence formelle à une «révolution» industrielle dans ces travaux se trouve dans le rapport de février 2013, Politique industrielle: stratégie pour une grappe de mobilité durable. Conforme à sa mission, l’IRÉC mène en permanence un travail de sensibilisation et de lobbying impressionnant, et cela depuis plusieurs années et cela semble avoir certaines retombées.

Port de Shanghai

Le ministère des Ressources naturelles, un ministère «à vocation économique», avance l’idée dans le document de consultation de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec (CEÉQ) publié à l’automne 2013. Le document fournit un scénario décrivant les mesures nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 25%, engagement du gouvernement Marois et le minimum (à l’échelle planétaire) jugé nécessaire par le GIEC). D’ici 2020, selon un scénario esquissé, il faudrait (i) convertir 100 000 maisons au chauffage électrique, (ii) convertir plus de 30 000 bâtiments commerciaux ou institutionnels au chauffage électrique, (iii) retirer de la route environ la moitié du parc automobile et (iv) réduire de plus des deux tiers les émissions de l’industrie de l’aluminium (page 56).

La CEÉQ n’avait pas besoin de le dire – et ne l’a pas dit – mais de tels objectifs, ou leurs équivalents dans d’autres scénarios, sont tout simplement irréalistes et irréalisables. Pourtant, comme introduction à cette présentation, la CEÉQ souligne, deux pages plus tôt, «qu’il faudra nécessairement envisager la lutte contre les changements climatiques comme une occasion de developpement économique sur la base de l’efficacité énergétique et de l’énergie propre. S’il relève ce défi, le Québec pourrait devenir un des chefs de file de la prochaine révolution énergétique à l’échelle mondiale». Les économistes du ministère des Ressources naturelles (MRN) y montraient une main lourde.

La proposition était absurde, et la CEÉQ a fait amende honorable dans son rapport du début de février, ayant écarté de toute évidence l’intrusion de ces économistes du MRN. Dans le rapport, la CEÉQ reconnaît l’illusion de l’engagement des réductions de GES de -25 % pour 2020, et propose d’abandonner les objectifs du GIEC. Elle peut bien cibler une réduction de 75 % des émissions pour 2050, les gestes que nous pourrons poser à court terme, quand cela va compter, selon le GIEC, s’y réduisent à un objectif de réduction de consommation de produits pétroliers de 20% et une réduction des émissions de GES de 15% pour 2025.

En lisant l’éditorial du 15 mars 2014 de Jean-Robert Sansfaçon sur «l’improbable révolution» nécessaire pour contrer les changements climatiques et en même temps relancer le développement économique, il fallait bien se demander comment il allait terminer, tellement il soulignait l’importance des défis. Et voilà, c’est avec un appel à «la démonstration [tout aussi improbable] des avantages économiques et sociaux d’une première grande révolution industrielle pour ce millénaire». L’appel est fidèle à l’analyse que fait souvent Sansfaçon des enjeux sociétaux, celle d’un économiste. Sansfaçon ne semble pas y voir qu’un voeu pieux, mais c’est curieux qu’il pense nécessaire de faire une telle proposition.DSC07971

Deux jours après l’éditorial de Sansfaçon, son collègue et journaliste en économie Gérard Bérubé a également fait porter sa chronique hebdomadaire sur les défis soulevés par le GIEC et, de façon surprenante, fait appel aussi à une «révolution industrielle»; suivant Sansfaçon, il le considère aussi improbable. Davantage intéressant, Bérubé met en évidence le peu de probabilité que la solution va se trouver du coté de la croissance économique, qu’il met en perspective à plusieurs endroits dans sa chronique – il semble y suggérer qu’elle nous mène dans le mur. «Difficile de réaligner le tout sur la décroissance et le localisme. Ainsi, un mur, voire un choc brutal, semble inévitable avant que la prochaine grande révolution industrielle, celle liée au développement durable, ne s’enclenche» Reste une absence totale d’indications comment il voit une telle «révolution industrielle» [improbable] sortir du choc brutal…

Il est tentant de croire que le recours au langage de révolution (énergétique) par le MRN signifie au moins sa réalisation que tout ne tourne pas rond actuellement, ni du coté du développement économique, ni du coté du développement industriel, ni du coté du développement énergétique. La proposition absurde qui y est associée suggère en contrepartie qu’il n’a pas trouvé le moyen de sortir de la vision dépassée et circonscrite voulant que la révolution se passe comme d’autres avant, avec la croissance économique. Au moins Sansfaçon et Bérubé, et les commissaires de la CEÉΩ, reconnaissent que de telles orientations sont plus qu’improbables, même si les deux journalistes ne voient pas plus comment réorienter leur pensée non plus.

Un élément fascinant dans cette situation est le silence des groupes environnementaux, mes ex-collègues («ex» parce que je suis un ex-environnementaliste, convaincu que nous avons perdu la guerre menée par ce mouvement depuis des décennies). Bien sûr, ils interviennent partout et sans arrêt dans la promotion du respect des avertissements du GIEC et dans leur appui à cet objectif de réduction des GES de 25% pour 2020 établi par l’ancien gouvernement Marois. Et ils vont sûrement protester contre toute tentation du nouveau gouvernement Couillard de réduire l’objectif. Pourtant, et après de nombreuses tentatives, je ne trouve nulle part un «plan d’action sur les changements climatiques» proposé par un ou des groupes et qui montrerait l’erreur d’analyse et d’écoute de la CEÉQ. Aucun des groupes n’a fait ce travail, présumément – en me fiant aux travaux de la CEÉQ – parce que c’est impossible. Pourtant, sans possibilité d’atteindre le minimum identifié par le GIEC, le positionnement des groupes devrait être complètement révisé.

Les groupes rejettent, j’imagine, les recommandations de la CEÉQ, parce que celles-ci rejettent celles du GIEC. À la place, on voit toujours planer l’ombre de «l’économie verte», celle qui est implicitement l’objet de l’appel de Sansfaçon et de Bérubé et qui prenait une grande place dans la plateforme des groupes pour la campagne électorale de 2012. Deux des groupes font même partie de l’organisme SWITCH qui se donne comme mandat la promotion de l’économie verte.

Ceci représente, par ailleurs, le fond du récent livre de Steven Guilbeault et François Tanguay sur le nouveau virage apparemment en cours, leur version de l’idée d’une révolution – le titre : Le prochain virage: Propulser le Québec vers un avenir équitable et durable. Nulle part dans le livre, nulle part dans le discours, ne trouve-t-on une reconnaissance des évidences contenues dans le rapport de la CEÉQ, ni mêmes dans ceux du GIEC : nous ne pouvons pas atteindre les objectifs jugés minimum par le GIEC sans des bouleversements, sans le «choc brutal» de Bérubé, le «mur» de Sansfaçon. La poursuite de l’économie verte est tout simplement la poursuite du travail mené sans succès par les groupes environnementaux et sociaux depuis près d’un demi-siècle pour intégrer les contraintes imposées par les écosystèmes dans nos prises de décision. Ce travail ne rencontre pas le calendrier pour la révolution requise – et cela si cette intégration était faite, contre toute vraisemblance., contre toute probabilité.

Le calendrier et les défis aperçus par le GIEC sont raisonnablement clairs dans les trois résumés des rapports techniques de la cinquième évaluation (Résume WGI, Summary WGII, Summary WGIII), documents rédigés à l’intention des décideurs et publiés en septembre 2013 et mars et avril 2014. Entre autres, à moins de maintenir les inégalités grossières actuelles, non seulement en consommation d’énergie mais en niveau de vie tout court, il ne reste pour changer la situation que le tiers de l’ensemble des émissions comptabilisées depuis le début de la «première révolution industrielle» et jusqu’en 2100 qui peuvent être émises sans risquer l’emballement du climat (AS5 GT1, p.27) – et l’humanité devrait en principe répartir ce tiers équitablement entre toutes les sociétés, Par ailleurs, si l’humanité ne réussit pas à stabiliser et ensuite commencer à réduire ses émissions actuelles d’ici 2030, peu importe une répartition équitable des émissions restantes, il n’y a que de faibles chances d’éviter cet emballement (AS5 WGIII, p.16).

Sansfaçon le souligne, les principaux joueurs dans la révolution improbable, les États-Unis et la Chine (et ajoutons le Canada), ne montrent aucune indication qu’ils ont l’intention de «résoudre la quadrature du cercle». Et son recours à cette expression consacre le vœu pieux que constitue l’appel pour cette «première grande révolution industrielle pour ce millénaire». C’est le grand temps que les économistes réalisent que ce n’est pas le moteur économique qui va mener le virage requis, et c’est le grand temps que les environnementalistes reconnaissent que leur discours ne tient plus la route. Nous devons nous préparer pour des bouleversements économiques, sociaux et écologiques sans précédent, mais personne ne montre le leadership nécessaire pour nous préparer.

[1] En février 2013, L’Action nationale Richard Leclerc signe un texte d’analyse historique sur une première, voire une deuxième révolution industrielle; Robert Laplante, pdg de l’IRÉC, y écrit aussi, et l’idée et le terme sont peut-être courants dans les penseurs de cette revue.

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12 Commentaires

  1. Le document de consultation de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec (CEÉQ) publié à l’automne 2013 est navrant. Il est hélas assez représentatif de la pensée et vision (fort limitée) de ceux qui écrivent les règlements et suggèrent des politiques aux ministres. Le document était truffé de faussetés quant aux ressources de pétrole exploitable, à Anticosti, notamment. Les fonctionnaires ne font en apparence pas vraiment de recherche: copier-coller les informations fournie les lobby est moins fatiguant !

    • J’avais déjà fait circuler une réaction à ce document en septembre dernier, et c’est sûr que Marc Durand fait référence à encore d’autres aberrations. Quand j’étais Commissaire au développement durable, j’étais frappé lors des vérifications par la perte d’expertise au sein des différents ministères vérifiés, suite entre autres à la politique de remplacer seulement la moitié des départs des fonctionnaires; on peut penser aux différentes parties du ministère des Ressources naturelles, au ministère des Affaires municipales et d’autres. Déjà, avant d’occuper le poste, les graves faiblesses en matière d’expertise interne au ministère des Transports étaient une évidence – maintenant rendue plus évidente. Le rapport de la CEÉQ fait des recommandations en ce sens, en proposant (54.6)_que soient formées au MRN des équipes de «scientifiques solides» (pour faire la distinction avec les économistes, finalement non scientifiques).

    • Richard Chartier

      Marc [Durand]: je suis plus que déçu des audiences. Pour y avoir assisté moi-même pendant les trois semaines, aucune réponse à nos questions, avec une ÉES biaisée comme M Louis_Gilles Francoeur le disait lui-même le 6 octobre 2012 dans Le Devoir. Des études basées sur les données de l’industrie américaine et simulées par ordinateur. Où allons-nous? Je me le demande. J’avais assisté à tes conférences à Drummondville et Sherbrooke où Michael Binnion avait l’air d’un idiot devant ta prestance. Alors nous nous préparons au RIGSVSL pour la deuxième partie, le dépôt des mémoires. Bravo pour ce que tu fais pour la planète, Marc. Au plaisir. Richard

  2. Jean-François Morissette

    Merci pour vos textes, M. Mead. Juste une grande question, quelle alternative proposez-vous? Quel serait votre plan de match? A priori, le rapport de la CEEQ me semble le plan le plus crédible et réaliste que j’ai vu pour le Québec pour le moment. Sinon la simplicité volontaire et une grande décroissance planifiée?!

    • La question revient souvent. Mon plan de match est la création de ce blogue, où j’essaie de souligner sur une base régulière (comme dans ce dernier article) les fondements de notre échec dans le modèle économique et les économistes qui continuent à en faire la promotion; comme militant de longue date, je cherche désormais à engager ces économistes comme, avant, je cherchais à engager les décideurs. Je constate que les économistes semblent tout aussi imperméables à mes efforts que l’étaient les décideurs pendant ma longue carrière comme environnementaliste.
      Le plan de match comporte aussi la coordination d’un collectif qui travaille actuellement sur un livre, dont j’ai décidé de mettre en ligne la table des matières préliminaire. Ce livre présentera un portrait de nos options face au «choc brutal» reconnu par Bérubé comme la conséquence de notre collision avec le mur prévue maintenant par Sansfaçon.
      Je me suis exprimé sur ma façon personnelle d’aborder le constat d’échec et les défis difficiles devant nous dans ma réflexion sur le récent livre de Claude Villeneuve et la sortie du nouveau rapport du GIEC. Je me suis permis également à mettre en ligne le premier chapitre du livre de Maurice Strong que je cite souvent: Where on Earth Are We Going? dont la publication remonte maintenant à près de 15 ans.
      Le plan de match est complété par un effort de sensibiliser les groupes environnementaux – comme j’essaie de faire ici – à la nécessité à changer radicalement leur propre plan de match. Ils devraient promouvoir un virage beaucoup plus exigeant et fondamental que celui préconisé par Guilbeault et Tanguay dans leur livre, cela en arrêtant la poursuite des efforts voués à l’échec qui consistent à essayer de convaincre les décideurs d’accepter au moins des compromis face à leur volonté de poursuivre le développement économique suivant son modèle maintenant dépassé. Ils craignent, probablement avec raison, qu’ils perdraient leurs appuis dans la population et se retrouveraient comme les premiers militants du mouvement dans les années 1960-1970, des marginaux.

      • Philippe Gauthier

        Il me semble que le milieu se cherche un peu et qu’il hésite entre trois avenues possibles: 1. Continuer la stratégie traditionnelle des petits pas; 2. Inscrire l’action écologiste dans un cadre plus vaste de lutte au capitalisme; 3. Prendre pour acquis que le désastre est devenu inéluctable et que lui seul offre des garanties de changement – et l’accompagner, dans la mesure du possible. À vrai dire, les trois options ont leur forces et leurs faiblesses et je me demande si elles ne sont pas complémentaires.

      • Philippe Dunsky

        Je partage beaucoup des frustrations de Harvey quant aux limites des solutions «économiques» devant nous. Mais ne voyant personne, dont Harvey, présenter des alternatives claires et convaincantes, je choisis d’appuyer tous ces écologistes qui donnent corps et âme pour améliorer les choses. Je les appuie parce que, sans apporter LA solution, ils rament dans la bonne direction.
        Je ne comprendrai jamais cette volonté, cette insistence à critiquer ceux qui oeuvrent à réduire notre impact collectif sur la terre. Me semble que ce n’est pas la meilleure contribution qui soit.

      • Jean-François Morissette

        Merci pour votre réponse.

        Ce que je comprends de votre position, c’est que vous en avez assez que la plupart des groupes environnementalistes font encore miroiter au public que plusieurs petits gestes sont bien et qu’ils sauveront la planète ainsi (alors que dans les faits, ça permet aux gens de se déculpabiliser un peu, sans avoir à rien faire et ça ne changera pas grand chose), sans remettre en cause le modèle global. Si c’est votre propos, je vous rejoins là-dessus, il serait effectivement temps que les mouvements prônent des gestes plus radicaux et une transformation plus profonde de la société.
        En même temps, je ne crois pas que les objectifs soient mutuellement exclusifs; ce n’est pas parce que nous priorisons mal les actions à entreprendre et les gestes que nous posons que les petits gestes n’ont pas leur place non plus, en complément à une réforme plus grande. Je ne veux pas être un pessimiste non plus, et si nous avons échoué, tout geste dans la bonne direction aura au moins le mérite d’atténuer le choc. Ce n’est pas parce qu’on sait qu’on rentrera inéluctablement dans un mur qu’on ne peut pas au moins diminuer notre vitesse pour atténuer l’impact. Et sans la stratégie des petits gestes, il me semble qu’on ne réussit à embarquer personne, on fait peur et les gens ne voient alors aucun issu et vont préférer le laisser-aller.
        Enfin, pour en revenir aux groupes environnementalistes, disons au Québec, je continue à penser que Vivre en ville est un organisme hyper-pertinent, qui tentent d’éduquer les citoyens et la classe politique à revoir notre aménagement du territoire, notre rapport avec les infrastructures et la collectivité dans une perspective d’éducation et non de manifestation et de coup d’éclats à la Greenpeace. Équiterre, malgré les réserves que vous exprimez sur Guilbault ici, m’apparaît aussi assez pertinent comme organisme, car il tente également de proposer plutôt qu’uniquement dénoncer.

        Enfin, je vais remonter le livre de Claude Villeneuve dans ma liste de lecture, et je me promets de lire le nouveau livre de Guilbault et Tanguay, ainsi qu’éventuellement le vôtre.

        • Dans nos vies quotidiennes, nous posons des gestes sans arrêt, et nous le faisons dans un cadre que nous ne pouvons influencer beaucoup – nous faisons ce que nous pouvons. Un rôle pour des groupes, et cela depuis longtemps, est de suggérer les meilleurs gestes possibles dans la conduite de cette vie quotidienne. C’est la «façon traditionelle« des petits pas, mais cela n’a pas été le principal type d’activité des groupes. Ma critique se limiterait à une insistance pour que le message ne comporte pas l’idée que les petits gestes suffisent. Se satisfaire d’une telle approche représente l’acceptation de l’échec, et il me paraît malhonnête si les groupes ne soulignent pas cela, n’en déplaise à leurs membres. Je ne crois pas que les groupes peuvent accepter de ne pas «faire peur» aux gens, si cela est le résultat du message que les petits gestes ne suffisent pas. Nous devons passer nos journées à poser des petits gestes, mais cela ne justifie pas le déni quant à leurs implications. C’est probablement cela le drame individuel de notre époque, et le drame des groupes.
          Nous avons maintenant une idée de notre empreinte, depuis que je l’ai calculé pour le Québec en 2007, et nous savons que nous exigeons entre trois et cinq fois trop de notre planète. À titre d’exemple d’un geste fondamental et approprié à poser, les groupes pourraient suggérer que les couples n’aient pas plus de deux enfants. L’UQCN l’a fait il y a déjà longtemps, et a été critiquée. Mon épouse et moi avons posé le geste d’arrêter à deux il y a plus de 40 ans, histoire de ne pas mettre au monde d’autres gros consommateurs, et cela constitue un geste que probablement aucun autre groupe de gestes ne pourrait équivaloir.
          De façon prioritaire et généralisée, les groupes interviennent plutôt, et cela depuis le début, auprès des décideurs, publics et privés, dans un effort de réorienter les décisions dans le respect des contraintes imposées par les écosystèmes et – pour inclure le mouvement social – dans le respect des personnes elles-mêmes.
          Je pretends que les groupes ont échoué dans cet effort. Rien ne les empêche de poursuivre – l’optimiste opérationnel en moi laisse la porte ouverte quant à la possibilité que cela change – mais s’ils n’insistent pas sur des changements de paradigme qui s’imposent, s’ils ne refusent pas de poursuivre dans le sens des dernières décennies, ils se comportent comme les individus qui se permettent de croire que leurs petits gestes suffisent. Je n’ai absolument rien contre bon nombre des propositions des groupes, d’Équiterre (et du livre de Guilbeault), de Vivre en ville, de Fondation Suzuki, de RNCRE, de Nature Québec.
          Je n’accepte pas de voir Fondation Suzuki procéder dans un sens qui renie ce que David Suzuki dit lui-même, de voir les groupes entreprendre des campagnes qu’ils savent (presque) perdues d’avance, d’après des décennies d’expérience, de les voir donner l’impression qu’ils peuvent planifier les nouvelles orientations sur le long terme, comme des réductions des émissions de GES qu’ils ne voient pas eux-mêmes comme possibles dans le temps qui nous est réparti par le GIEC, – tout cela, sans en même temps et eux-mêmes chercher à formuler les scénarios pour un avenir de plus en plus rapproché où nous allons nous trouver dans le désordre.
          J’ai perdu mon emploi comme Commissaire parce que j’ai refusé de me plier au bon système actuel, et je ne pense pas qu’il valait la peine de poursuivre comme mon successeur, qui cherche, comme le Vérificateur général lui même, à influer sur les dessus d’un système dont les dessous sont en train de s’effondrer.
          J’ai consacré mes constats de l’expérience dans un petit texte que j’ai eu beaucoup de plaisir à écrire, et qui consacre finalement toute ma carrière, qui a eu comme modèle Socrate, qui n’a pas jugé les résultats sa priorité.
          Philip et d’autres semblent attendre que quelqu’un les aide à trouver l’alternative «claire et convaincante», et en attendant, ils poursuivent. Je suggère que, ce faisant, ils décident de ne pas chercher eux-mêmes les meilleures façons possibles pour nous préparer pour les effondrements.

          • Jean-François Morissette

            Merci, je comprends mieux vos propos et vos positions avec cette dernière réponse. Bravo pour votre travail et continuer à écrire.

  3. Eric

    Un constat qui me vient et qui me semble au cœur du problème et qui n’est généralement pas abordé est le manque d’altruisme généralisé. Dans notre société egocentrique où le succès rime avec biens matériels et opulence, je constate que les gens ne sont pas prêts à faire des sacrifices pour les autres. La surconsommation et l’écart entre les riches et les pauvres ne risquent pas d’être réglés sur la notion d’un avenir que certains jugent improbable. Le problème, au Québec à tout le moins, est que notre situation économique est encore bonne et que les écarts entre les couches de la société ont moins d’impacts ici qu’ailleurs. La majorité des gens n’est pas dérangé dans son train-train quotidien. Il va donc falloir que ça nous touche directement dans notre quotidien pour que les gens acceptent de bouger (le mur?). Même si le gouvernement nous imposait maintenant des mesures d’austérité sévères (contrôle de la natalité, réduction du parc automobile, répartition de la richesse…) nous nous rebellerions. Il faut que ça parte de la base ou que nous n’ayons plus le choix. Lors de catastrophes, l’altruisme sort généralement par lui-même. Certains ont l’attitude de moi-d’abord-et-tant-pis-pour-les-autres, mais selon moi les gens sont plus enclins à s’occuper aussi du bien-être des autres. Il faudrait trouver un moyen de convaincre les gens que les sacrifices d’aujourd’hui sont rendus nécessaires pour sauver demain.

  4. Les actions menées par les groupes environnementalistes me font trop souvent penser aux agissements d’un enfant qui, assis derrière son père dans l’automobile de ce dernier, fait semblant de conduire assis sur son siège d’enfant équipé d’un volant jouet. Je l’écris conscient que ce constat s’applique également à mon propre engagement.

    Ainsi, je suis engagé depuis près de 40 ans au sein du mouvement coopératif croyant fermement que ce mouvement pourrait jouer un rôle important dans ce qui devra naître après que nous serons entrés dans la période de crises qui s’en vient. Récemment, j’ai fondé, avec un vieil ami, la coopérative de solidarité WEBTV dont la mission est de faire la promotion des valeurs de l’économie sociale en lien avec les pratiques culturelles émergentes et les mouvements citoyens.

    Sur le plan professionnel, j’ai effectué depuis une quinzaine d’années à peu près toutes les études menées dans la grande région de Montréal auprès d’entreprises et d’institutions en vue de favoriser les transferts modaux de l’utilisation en solo de l’automobile vers les transports actifs et collectifs et le covoiturage. Je suis également impliqué comme administrateur au sein du Conseil régional de l’environnement de Montréal. Je l’ai été à Transport 2000 pendant plusieurs années, ayant même été responsable politique de la Journée de l’air pur en 2003.

    Bref, j’ai plus souvent qu’autrement l’impression d’écoper le Titanic avec un dé à coudre…

    Aussi, je partage l’inquiétude de M. Mead, elle n’est ni pessimiste, ni irréaliste. Elle ne fait que prendre acte du parcours où se trouve rendue notre civilisation. Il faut donc en tirer les conséquences et s’y préparer. Pour ma part, je pense toujours qu’une partie de la solution viendra du rejet du modèle économique dominant, pas seulement le capitalisme, mais le productivisme sur lequel il repose. Mais cela ne se fera que lorsque les conditions objectives obligeront cette civilisation à effectuer une bifurcation, c.-à-d. lorsque les crises se superposeront les unes aux autres.

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