Les migrations, les emplois et le modèle économique

Une version plus succincte de cet article a été envoyé aux journaux pour publication, et fournit une vision d’ensemble pour les lecteurs qui ne voudraient pas mettre le temps à lire ce qui suit, plus long. Son titre, partant d’une entrevue donnée par Joanne Liu de MSF: La démographie humaine – l’éléphant dans la pièce. J’y reviens à la fin de cet article.

Dans mon dernier article, je mettais un certain accent sur les migrants des pays du Triangle du Nord vers les États-Unis, et leur retour vers ces pays, sous pression ou autrement. Je ne parlais pas d’une autre sorte de migration temporaire, celle des élites. Presque tout le monde que j’ai rencontré dans cette classe de la population avait étudié aux États-Unis, souvent suivant une tradition remontant à leurs parents et grandparents. Elles sont toutes bilingues, et bien positionnées dans leur société d’origine à leur retour.

Migrants illégaux, migrants légaux

La catégorie des populations des migrants (surtout) illégaux est couverte en priorité par la presse américaine dans l’ère de Trump. La base électorale de Trump semble bien être les gens de race blanche qui craignent que l’immigration en continu va empirer leur situation qu’elle considère déjà désastreuse, les mettant dans une situation destinée à les rendre minoritaires dans le pays d’ici peut-être 25 ans.

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Au centre-ville de La Ceiba, au Honduras. Les fils électriques témoignent du fait que l’électricité est présente, mais également d’un manque important d’infrastructures.

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Un ancien édifice dans le style de l’époque colonial est en contraste avec le flot de véhicules. Dans les pays pauvres, l’auto est toujours un luxe, laissant un modèle possible pour l’avenir même des pays riches. Les fils toujours omniprésents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour nombre de pays pauvres d’où originaient ces migrations, la situation était également perçue comme désastreuse pour une partie et pour de très bonnes raisons. En raison de cela, l’élite ne retourne pas toujours à son pays d’origine, mais préfère assez souvent rester dans le pays de destination dans la diaspora du pays, normalement dans un pays riche (et l’intérêt ici est pour l’immigration vers les États-Unis).

Currently, emigration of migrants with tertiary education is very high, at 24 percent, in low-income countries, and is particularly high in small low-income countries. But if the people who leave retain a connection with the country of origin — and nurture this connection in their children and subsequent générations – their global connections may prove to be a valuable asset. (p.3)

Cette citation vient d’un rapport de 2013 du Migration Policy Institute intitulé What We Know About Diasporas and Economic Development. La lecture du rapport laisse le profond sentiment que l’incitation pour développer ce sujet (et derrière la création de l’Institute?) est un sentiment de culpabilité des pays riches face à cette sorte de vol des meilleures ressources humaines des pays pauvres. Bien que le rapport fournisse quelques exemples de personnes des diasporas ayant fait avancer de manière significative leurs pays d’origine, la grande majorité du texte se présente plutôt comme une série de recommandations pour mieux inciter les diasporas à aider au développement de leurs pays d’origine alors qu’elles ne le font pas normalement.

Finalement, sur le plan économique et concernant son jugement sur la contribution négative des diasporas en géneral, Trump se trompe fort probablement. Il ne semble pas se tromper (sur le plan électoral) en ciblant l’aspect social et les implications de l’immigration importante – légale et illégale – en cours depuis des décennies, par comparaison à celle en cours depuis des siècles mais constituée surtout de Blancs (et de Noirs, mais ces derniers comme esclaves…).

Les migrants et les immigrants parmi l’élite – la diaspora vs. le bassin de travailleurs d’ici

La catégorie couverte par la presse canadienne en priorité est une autre, celle des immigrants légaux, incluant les travailleurs temporaires. Concernant les travailleurs temporaires, surtout en agriculture, il est frappant de voir Jean-Martin Poirier, dans une émission de la série télévisée Les Fermiers, faire la comparaison entre sa Ferme des Quatre Temps et les conditions de travail qui y prévalent avec celles de ses voisins. Il souligne la planification différente du temps et des tâches par l’agriculture industrielle chez eux, qui aboutit à un travail hautement répétitif et de longue durée dans les champs; nous ne voulons pas de ce travail, laisse-t-il comprendre, et nous cherchons des migrants temporaires, souvent Guatémaltèques, Honduriens ou Salvadoriens, pour faire le travail à notre place, et pour notre bénéfice. On peut comprendre qu’ils sont payés plus que ce qui serait leur revenu dans leurs pays d’origine, mais voilà, il s’agit justement d’un cas, transporté chez nous, de notre domination des populations des pays pauvres en général. Je ne rentre pas dans le dossier ici, mais on peut suggérer que voilà l’occasion pour une transformation de notre propre société, en formant les gens ici, en ciblant des façons de travailler qui clochent avec l’approche industrielle.

L’accent ici depuis plusieurs années déjà est plutôt sur les gens qu’il nous faut pour compenser le vieillissement de notre population et le manque, comme résultat, de personnes pouvant combler des postes apparemment ouverts et intéressants et pour lesquels il n’y a pas de personnes qualifiées dans notre propre population «en déclin». Il s’agit d’une composante du portrait de notre modèle économique qui montre une autre de ses faiblesses fondamentales. Comme je l’ai déjà souligné à quelques reprises, nous n’en parlions pas pendant la période des «baby boomers» et la croissance démographique importante de leur époque, cela il faut présumer parce que cette croissance participait à la croissance économique qui marquait également cette époque, avec une prospérité remarquable.

Le problème auquel nous faisons face aujourd’hui est que cette prospérité de quelques décennies dans l’histoire de l’humanité n’était pas durable mais plutôt illusoire, fondée comme elle l’était sur le recours à des ressources non renouvelables, et limitées donc dans leur potentiel à long terme (cela à moins d’avoir trouvé des substituts qui n’en dépendent pas, ce que nous n’avons pas réussi à faire). L’espèce de «stagnation» (en termes relatifs, mais le terme est courramment utilisé par les journalistes comme Gérald Fillion et René Vézina) de l’économie ici depuis deux ou trois décennies résulte justement de la décision de nombreuses Québécoises de restreindre leur «taux de natalité» pour accéder plutôt au «marché du travail», avec comme résultat la «stagnation» de la croissance démographique. Le «déclin» de la population sera nécessaire un moment donné de toute façon, l’est probablement déjà, mais la décision des Québécoises peut être vue comme une contribution temporaire au bien-être économique de la société. Le bilan en est donc mixte.

Un changement profond en cours, en perspective

Les immigrants légaux et recherchés qui dominent la couverture de la presse ces jours-ci en ce qui a trait à leur fonction comme travailleurs ne posent pas les mêmes problèmes, les mêmes défis que ceux des réfugiés, des migrants illégaux et des travailleurs temporaires, si on prend ceux-ci comme représentant le 75% de l’immigration qui n’a pas de diplôme collégial. Dans le rapport du Migration Policy Institute, il y a un effort d’y insérer au début la question des diasporas dans les migrations, mais cela dans un contexte où c’est surtout la perte, pour les pays d’origine, qui est reconnaissable et où par ailleurs la contribution au développement de ces mêmes pays d’origine par leurs diasporas s’insère dans une longue histoire – quand il est question de diasporas dans les pays riches – de domination économique de ces pays (pauvres) par les pays (riches) où sont logés les migrants.

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Il reste toujours des milieux que fréquente l’élite dans ces pays. Ici, vue du Café Expresso en face du Mall, sur la route principale. Il faut souligner que non seulement les fils suggèrent quelques problèmes d’infrastructure, mais ils cachent le fait que les sources d’électricité pour le pays sont elles-mêmes plutôt fragiles.

En fait, le Canada et les États-Unis représentent des sociétés qui ne connaissent que la croissance démographique depuis des siècles, et cela en fonction, en très grande partie, de l’immigration. Pourvus des énormes ressources naturelles de ces pays de destination des immigrants des vieux pays (de l’Europe), et épargnés la dévastation des deux guerres mondiales sur le vieux continent, le Canada et les États-Unis ont prospéré. Pour y arriver par une autre tangente, cette prospérité est aujourd’hui questionnée alors que le nécessaire rétablissement de l’équilibre démographique s’instaure. Il n’est pourtant tout simplement pas imaginable que les sociétés s’adaptent à la nouvelle conjoncture, en visant un développement également équilibré, sans la croissance qui nécessite la croissance démographique. Dans l’occurrence, il s’agit de chercher plutôt des immigrants qualifiés pour pouvoir maintenir le modèle.

Trop tard pour les ressources, trop tard pour les sociétés

Nous voilà donc devant des débats de société qui ouvrent des thématiques qui s’imposent. Un point de presse récent de Joanne Lui, présidente de Médecins sans frontières, a abouti à un article de La Presse canadienne et a paru dans Le Devoir du 15 mai. Elle insistait sur la présence de 60 millions de déplacées forcées dans le monde actuellement et sur l’importance de ce dossier pour l’agenda du G7 de juin prochain à La Malbaie.

Il n’est pas question de trouver des pays d’accueil pour un tel nombre de personnes, mais d’intervenir en amont devant les inégalités mondiales qui expliquent (du moins, en bonne partie) ces déplacements. Liu n’aborde même pas cette question de front (du moins, dans l’article), tellement elle se pose, peut-on présumer, sans que des réponses ne soient envisageables.

En fait, la crise humanitaire des réfugiés et des migrants récents, où elles comptaient pour peut-être deux millions de personnes, a réussi à déstabiliser toute l’Europe, d’une part, et à déstabiliser, d’autre part et d’une toute autre façon, les États-Unis d’Amérique. Liu parle de ses visites à différents camps mis en place pour accueillir les réfugiés en dehors des territoires des pays riches et insiste sur ces dizaines de millions d’autres qui cherchent autre chose que la misère dans leurs pays d’origine.

Dans mon livre, je propose qu’il est trop tard pour instaurer une transition vers une nouvelle société, cela en raison de contraintes à venir associées à une diminution des ressources énergétiques fossiles en perspective. Ce que l’on peut soupçonner est que les migrations montrent une autre facette de ce qui est en fait un effondrement, déjà en cours, qu’il est trop tard penser «gérer».

 

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1 commentaire.

  1. claude saint-jarre

    Pour les voitures, en enlever la moitié de la route, on fait ça comment?

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