Sortir le Québec du pétrole

Je ne connais pas les dessous de ce livre[1], mais sa production a été une opération éclair dirigée par Ianik Marcil, conseillé par Dominic Champagne et Sylvie Van Brabant. Comme pour la plupart des auteurs, mon court chapitre n’exigeait pas une grande réflexion, portant comme il fait sur des préoccupations de longue date. Reste que le fait de convaincre une quarantaine de personnes de mettre leur pensée par écrit dans un très court laps de temps était tout un exploit. À la lecture, je trouve intéressante l’expérience de pouvoir établir le contact avec autant d’auteurs, et de passer des unes aux autres, rapidement, parce que les textes sont courts, et d’actualité.

L’effort d’imaginer la société à venir

Je ne connais pas Ianik Marcil, en dépit du fait que j’essaie de prends le pouls de nos économistes depuis des années maintenant. Je le connais à peine mieux en lisant sa page web, tellement il est partout et commentant différents sujets d’importance; il est «spécialisé en transformations technologiques et sociales, en développement économique, justice sociale et économie de la culture». Finalement, son introduction au livre, «Drogue dure», m’explique un peu pourquoi il se présente comme «économiste indépendant», plutôt que, par exemple, comme économiste hétérodoxe, terme qui réunit la plupart de nos économistes de gauche.

Source : Graham M. Turner, «Looking Back on the Limits of Growth», 2008  Le graphique montre la comparaison entre les données réelles sur 30 ans et les projections de l’équipe du MIT en 1972. L’ellipse en noir souligne l’inflexion de la courbe pour la population humaine vers 2030, cela après l’inflexion d’autres courbes, dont celle pour la production industrielle. Turner est revenu en 2012 avec les données sur 40 ans, sans fournir un graphique similaire, même si les tendances se maintiennent. «On the Cusp of Global Collapse?», Gaïa, 2012, p.123.

Marcil met de l’avant, dès les premiers paragraphes, les préoccupations des grandes institutions économiques comme le Fonds monétaire international (FMI) et le Forum économique de Davos face aux changements climatiques. C’est l’effondrement même de notre système économique qui est en jeu, souligne-t-il, citant la président du FMI à l’effet qu’à moins de trouver une croissance verte, les «générations futures seront rôties, toastées, frites et grillées».

Il prend les travaux de l’équipe de MIT pour le Club de Rome dans Halte à la croissance comme élément explicatif (en partie) de la situation. Les crises imbriquées décrites par ces travaux fournissent le portrait d’un monde où les écosystèmes, les sociétés et les économies s’alimentent mutuellement face à la croissance démographique et à celle de la pollution pour nous mettre devant le mur. Premier élément discordant dans le portrait présenté par Marcil : les chercheurs du MIT projetaient cet effondrement d’ici 30 ou 40 ans, dit-il, alors que la date fatidique pour eux était clairement autour de 2025-2030, à peine d’ici une décennie (cliquer sur le graphique).

Il est déjà impressionnant pour moi de voir un économiste québécois faire résonner dans son petit texte le principal thème de mon blogue. Il n’arrête pas là, mais poursuit en citant les interventions récentes de Jeff Rubin, dont les analyses lient l’effondrement projeté à notre dépendance au pétrole. Une citation intéressante de La fin de l’abondance de John Michael Greer, dans le sens du titre de ce livre (publié par Écosociété en 2013), complète le tour d’horizon  … sauf pour un deuxième élément discordant. Marcil termine en faisant référence à la «transition écologique de l’économie» décrite par Louis Favreau et Mario Hébert. Pour lui, une transition en douceur semble apparemment toujours possible en dépit du portrait d’ensemble que Halte et Greer décrivent plutôt comme la fin de l’ère industrielle : «Pour arriver à imaginer et à mettre en œuvre cette transition … , il nous faut des connaissances, des analyses et des sources d’inspiration. Voilà l’objectif du présent livre … Les solutions existent» (16-17), insiste-t-il.

Le premier texte à suivre cette introduction est celui d’Éric Pineault et Laure Waridel signé pour Le Devoir l’an dernier. «Les trois mythes pétroliers» est intéressant, mais représente finalement un certain échec relatif du récent livre dans sa poursuite de son objectif, l’imaginaire de la croissance verte … échec comme le mien, dois-je admettre, dans l’effort de réunir un collectif d’auteurs pour cibler précisément cette société à venir, qu’il faut imaginer et ensuite préparer. Finalement, je cherche presque sans succès dans le livre de Marcil des textes qui fournissent les éléments qui décrivent «la transition écologique de l’économie» (et non seulement une transition énergétique). On y voit de nombreux textes qui décrivent bien un ensemble d’informations et de failles dans différents aspects du dossier pétrolier, mais on sent chez plusieurs des auteurs une sorte d’optimisme face à l’effondrement du système actuel que je n’arrive pas à partager.

Il semble en ceci y avoir beaucoup de ressemblances avec l’effort de cibler le même objectif par l’IRIS dans Dépossession, que j’ai commenté en quatre articles en mars et avril derniers avant de partir pour la Chine. J’y souligne que les auteurs ont bien décrit le passé et le contexte des crises qu’il nous faut résoudre, mais ont évité presque complètement l’effort d’imaginer notre avenir, effort nécessaire pour permettre l’effort de le préparer.

Syndicats et organismes écologiques

Je résume certains aspects du problème dans un texte de décembre dernier. Disons tout d’abord que nous manifestons un certain conflit d’intérêts dans notre mouvement contre le pétrole. Nous nous sommes plutôt bien adaptés au pétrole, depuis cinquante ans et plus, quand les dégâts de son exploitation et de son transport se trouvaient ailleurs. L’incapacité du pétrole conventionnel de répondre à notre demande croissante pour cette énergie extraordinaire a amené les pétrolières à l’exploitation du pétrole non conventionnel, à un prix bien supérieur, ce qui a permis l’exploitation des gisements nord-américains, dans le schiste et dans les sables bitumineux.

Je m’étais déjà proposé de suggérer, en 2005-2006, que les groupes acceptent l’arrivée de projets d’exploitation de pétrole dans le golfe, histoire de nous sensibiliser à ce qui se passait déjà un peu partout ailleurs et qui ne nous dérangeait pas assez pour demander que le monde sorte du pétrole (et du charbon, mais cela est une autre histoire). Voilà que, en dépit de notre opposition, nous nous trouvons confrontés à ses impacts et nous commençons à en voir leur importance – et leurs implications.

C’est Gabriel Nadeau-Dubois qui nous fournit le meilleur texte de la collection en ce sens. En ses quelques pages, il réussit à souligner de grandes problématiques presque pas mentionnées ailleurs dans le livre, et qui ne concordent pas d’emblée et évidemment avec l’économie verte soujacente à plusieurs des autres textes. Dominic Champagne nous met devant le défi de «nous réinventer» (206), mais Nadeau-Dubois passe proche d’en voir le piège en insistant sur le fait que «réinventer notre manière de travailler, de produire et de consommer … exige de repenser en profondeur notre système économique, ce qui implique d’assumer une rupture avec l’ordre actuel» (230). Même si lui aussi trouve évidente une orientation vers les «technologies et énergies vertes» (234), c’est dans un tout autre contexte.

La proposition (comme dans Dialogues pour un Canada vert) d’avoir recours aux énergies renouvelables pour maintenir nos sociétés énergivores est fondamentalement irrecevable, tellement elle en escamote les implications. D’une part, elle se fait en maintenant le modèle de développement actuel plutôt qu’un modèle alternatif que Nadeau-Dubois trouve nécessaire face à l’effondrement projeté par Halte. Notre défi n’est pas de trouver davantage d’énergie verte pour combler les lacunes laissées par une sortie du pétrole, mais de voir comment nous organiser pour réduire dramatiquement notre consommation excessive d’énergie. D’autre part, et poursuivant dans ce sens, les anciens débats sur le développement dans la Baie James, à la Manic et ailleurs, tout comme les récents débats sur l’éolien, devraient nous rappeler que même ces énergies «vertes» comportent des impacts, lors de la construction des installations tout comme en permanence devant la perte de territoire que celles-ci nécessitent.

Nadeau-Dubois met l’accent sur le fait que «le fossé séparant ces deux mondes [celui du mouvement syndical et celui des militants écologistes] est plus grand que les protagonistes impliqués ne le reconnaissent» (227) et que «les deux postures sont à la fois justifiées et insuffisantes» (228, ses italiques). Pour Nadeau-Dubois, les deux mouvements sont en crise, suite aux gains des néolibéraux face aux syndicats et à l’échec de l’effort de compromis pour les écologistes impliqué dans leur adhésion aux principes du développement durable. Il offre deux pistes de solution pour la transition: d’une part, le désinvestissement des syndicats dans le monde pétrolier; d’autre part, un accent sur les circuits économiques courts dans les régions. Un certain lyrisme accompagne ces deux propositions, où il met lui-même un accent sur des secteurs «verts et durables» à la place des secteurs où domine le fossile; il suggère possible pour la deuxième piste «l’épanouissement économique et social des communautés rurales de manière durable» (234). La contribution à l’objectif du livre, presque la seule, est importante. Reste pour l’ensemble de voir plus clairement les implications, ce qu’il ne fait pas.

Enjeux écologiques, enjeux économiques : indissociables

Fortune 500 1-12

Dans son court texte pour la collection, «À la guerre comme à la guerre», Ianik Marcil met un accent sur l’énorme importance économique de l’industrie pétrolière. Celle-ci représente 17 des entreprises à la Fortune 50, et cela pour 44% du chiffre d’affaires(132). J’ai déjà eu l’occasion de faire cette référence, mais en me limitant à la Fortune 12 pour 2012 (voir le graphique): s’y trouvaient Wal-Mart, symbole de notre surconsommation à bas prix, 9 pétrolières ou compagnies d’énergie et 2 compagnies d’automobile. Marcil ne le mentionne pas, mais je crois que les compagnies de construction d’automobiles devraient nous intéresser presque autant que les pétrolières. Ici au Québec, ni les unes ni les autres n’emploient beaucoup de monde; c’est probablement la construction tout court qui les remplace par son importance.

Les groupes écologistes savent que c’est presque impossible de contrer des propositions venant d’Hydro-Québec, tellement la construction (où la FTQ-Construction mentionnée par Nadeau-Dubois joue un rôle important) est omniprésente et représente des emplois en nombres importants et en région – et récemment il a été presque la même histoire avec la construction d’éoliennes, à plus petite échelle. En effet, il y a eu d’importantes oppositions aux récentes propositions d’énergies vertes, tout comme aux anciennes propositions. Cela est presque oublié dans les réflexions et les interventions contre le pétrole, mais tout au long de ces histoires, les groupes écologistes se trouvaient en confrontation avec les syndicats. Suggérer que ce serait un secteur de collaboration possible comporte le maintien du même modèle, suivant la même logique, mais avec l’étiquette verte en prime et en présumant que les critiques des énergies vertes à date pourraient être évitées.

Notre situation se manifeste autrement aussi. On décrit Nadeau-Dubois comme étudiant à la maîtrise en sociologie à l’UQAM, et voilà des liens que l’on peut soupçonner avec d’autres travaux, dont ceux d’Éric Pineault (sociologue et économiste à l’UQAM) et François L’Italien, qui ont montré les importants investissements de notre Caisse de dépôt et placement dans les sables bitumineux, celles qui assurent plus que tous les autres des retours intéressants sur le bilan de l’institution.

Nadeau-Dubois nous apprend que les deux institutions d’épargne collective de nos syndicats, le Fonds de solidarité de la FTQ et le Fondaction de la CSN, «investissent massivement dans les deux plus grandes entreprises de transport de pétrole bitumineux au pays … sans compter les investissements significatifs du Fonds dans la quasi-totalité des entreprises canadiennes exploitant les sables bitumineux» (233). Sans en réaliser pleinement les implications, nous disons souvent que notre économie roule sur l’énergie fossile, littéralement, dans le cas des autos, indirectement quand il vient à assurer notre «bien-être».

On comprend que les fonds des syndicats et la CDPQ investissent dans le pétrole parce que ce secteur est parmi les plus rentables en termes de retour sur l’investissement. La piste alternative, ciblant un transfert des investissements vers des «technologies et énergies vertes … mais aussi la culture, l’éducation et l’ensemble des services publics» (234), donne une idée de la «rupture avec l’ordre actuel» dont il parle: le retour sur l’investissement risque fort d’y être bien moindre, avec tout ce que cela  comporte. De la même façon, l’accent sur les circuits courts pourrait bien être associé à une nouvelle vitalité dans les régions, mais il n’est pas évident que cela permettrait d’éviter «l’appauvrissement» (229) que les syndicats cherchent à éviter. L’appauvrissement serait bien relatif, tout comme l’austérité.

Le portrait n’est pas clair, et on peut espérer que l’approche d’Éric Pineault ciblant une «économie ordinaire et vernaculaire» se montrera éventuellement pleine de pistes. Essentielle dans l’approche, dans la transition: une réalisation que les emplois hautement rémunérés dans la construction comme dans d’autres secteurs énergivores et intensives en ressources du modèle économique actuel ne pourront pas faire partie du Québec de l’avenir. Note discordant: Pineault et L’Italien proposent dans leur texte pour l’IRÉC (voir le lien plus haut) que le désinvestissement «pourrait signifier de mettre la CDPQ au service de la reconversion écologique de la base industrielle et énergétique du Québec. Cette reconversion aurait avantage à se faire plus tôt que tard puisqu’elle propulserait le Québec dans le peloton de tête des sociétés occidentales à fort potentiel d’innovation» – soit, nous maintenir dans l’ordre actuel…

L’automobile

Dans le livre dont j’ai essayé de coordonner la production et qui aller porter sur un portrait du Québec ayant opéré la rupture avec le système actuel – j’ai dû abandonner le projet devant mon incapacité de convaincre les auteurs de plusieurs chapitres clé à écrire leurs textes – j’ai écrit le chapitre sur la situation énergétique après la rupture. J’y rejoignais, presque à ma surprise, l’optimisme de plusieurs qui soulignent comment le Québec est bien placé face à l’effondrement du système économique qui s’annonce. Nous avons 50% de notre énergie à l’épreuve des soubresauts de l’économie mondiale et – contrairement à la volonté des promoteurs de l’économie verte de suggérer le maintien du système et un recours accru aux énergies renouvelables – j’y propose de nous restreindre à cette énergie pour fonder notre nouvelle société. Nous serions, même avec une telle réduction de notre consommation, parmi les plus importants consommateurs d’énergie du monde – c’est-à-dire, parmi les pays riches qui doivent s’organiser pour une opération contraction-convergence permettant aux pays pauvres d’atteindre un niveau de vie meilleur, le tout dans le respect des contraintes planétaires. Ce n’est pas seulement le Québec qu’il faut sortir du pétrole.

C’est là où s’opère la restructuration radicale de l’économie, mais dont il n’est presque pas question dans Sortir le Québec du pétrole. Nous ne devrions pas tout simplement électrifier notre réseau de transports, privés et collectifs, mais le transformer complètement en reconnaissance du rôle grossièrement excessif que l’automobile joue dans nos économies de consommation et la nécessité non seulement de sortir du pétrole, mais de sortir de la surconsommation. Dialogues en parle dans son récent document, et Renaud Gignac fournit pour ce livre quelques pistes dans son texte «La dépendance au pétrole plombe l’économie québécoise». Il cite entre autres un travail récent de Luc Gagnon qui souligne les coûts sociaux et économiques de l’automobile depuis des décennies. Par contre, et même en mettant de l’avant l’économie écologique, Gignac semble lui aussi succomber à la tentation d’un maintien du modèle actuel par une économie verte, comme le titre de son texte suggère.

Le pendant de ces sorties est une transformation de notre relation à l’emploi. Des emplois pour les femmes qui ont investi le marché de l’emploi depuis quelques décennies ont exigé que la taille de l’économie double pour leur trouver de la place; des emplois pour les milliards des paysans du monde actuel exigeraient quelque chose d’encore plus dramatique, même si nous savons que cela n’arriverait de toute façon pas dans le système actuel. En fait, cela n’arrivera pas non plus dans des sociétés restructurées et réinventées, parce qu’il est inimaginable de concevoir (comme le fait pourtant l’OCDE, la Banque mondiale et d’autres institutions de l’économie internationale dans leurs plaidoyers pour l’économie verte…) une économie mondiale plusieurs fois la taille de celle d’aujourd’hui, alors que celle-ci est déjà en dépassement de la capacité de support de la planète.

Alain Deneault a choisi de faire porter «Rendre révolue la colonie», son court texte pour le livre, sur autre chose, mais il le termine avec ce qui aurait pu mener à un autre texte : «[Dans] notre vaste zone administrative dans laquelle les colons ne disent rien parce qu’ils vivent comme les administrés des colonisateurs … tout ce qui compte est d’avoir un emploi … à moins de faire des assujettis du régime des citoyens d’un monde à s’offrir en partage» (192). Le texte d’Yves-Marie Abraham qui suit aborde directement ce qui est en cause : «Ce qu’il nous faut pour vivre». Ce qu’il nous faut sera beaucoup moins que ce que nous avons aujourd’hui, et le partage risque fort d’y être fondamental, en contraste avec la concurrence actuelle.

Le débat pour nous sortir du pétrole a beaucoup trop porté sur la bataille traditionnelle cherchant pour une énième fois à stopper des projets de notre mal-développement. Il reste toujours un besoin urgent pour faire le portait réaliste d’un Québec ayant passé à travers l’effondrement. Marcil débute le livre en soulignant que cet effondrement s’en vient, mais le livre n’arrive à nous fournir que quelques pistes pour passer à travers. Commençons par cibler une réduction de 50% de notre consommation d’énergie. Ensuite, cherchons à trouver comment identifier ce qu’il nous faut pour vivre sur cette planète malmenée (et pas seulement le long du fleuve potentiellement malmené) avec l’idée que cela aussi se situera dans l’ordre de 50% de moins, en travail rémunéré tout comme en objets de consommation…

L’élan global

Et voilà le problème de ce récent Manifeste, dont le texte termine le livre. Il s’y trouve une naïveté et un refus de voir la société «réinventée» comme elle devra l’être. J’ai signé le Manifeste, mais en soulignant que c’était parce que le texte reste juste assez flou pour ne pas me mettre dans la contradiction. «Nous avons la chance de vivre sur un territoire qui regorge de sources d’énergie renouvelable» [lire : que nous pourrons développer en remplacement de l’énergie fossile abandonnée], souligne-t-il, passant par la suite, pour la seule fois dans le livre, à noter que notre énergie renouvelable actuelle a été installée «en inondant la taïga, en déplaçant des nations autochtones, en détournant des rivières et en noyant épinettes, lichens et caribous» (311). Il poursuit pourtant avec l’optimisme de l’économie verte : «Les solutions existent. Nous avons les moyens technologiques et humains qui permettent de lancer un vaste chantier de développement véritablement durable, viable, juste et équitable. Nous avons le devoir les leaders de ce nouvel élan global qui marquera le 21e siècle» (312).

En passant à travers le livre, le lecteur (et les auteurs) oublient l’effondrement annoncé dès les premières pages, qui terminent avec cette même phrase: «les solutions existent». Il faut croire que l’erreur dans sa lecture des projections de Halte à la croissance, qui ciblent 2025 comme date fatidique plutôt que 2045-2050, amène Marcil à son propre optimisme, mais les travaux de Turner sur les données correspondant à ces projections (cliquer sur le premier graphique) suggèrent que nous sommes probablement déjà dans les premières perturbations de l’effondrement : l’absence de la reprise attendue après la Grande Récession; la baisse constante du niveau de croissance, même dans les pays émergents; la baisse du prix du pétrole, possiblement un recul face aux prix élevés que les économies ne pouvaient assimiler, baisse qui annonce une certaine sortie du pétrole plutôt inattendue; les inégalités rampantes partout sur la planète, susceptibles de perturber des sociétés entières et connues de toutes et tous…

Comme je suggère dans mon propre texte pour le livre, Brundtland a suggéré une croissance pour les moins nantis seulement, et les propositions pour une approche contraction/convergence reprend aujourd’hui le même thème. Nadeau-Dubois revient sur ce dernier élément en insistant sur le fait qu’il n’y a pas un, mais deux grands défis de notre siècle : les changements climatiques et les inégalités sociales (235, mes italiques).

 

[1] Sortir le Québec du pétrole, sous la direction de Ianik Marcil, avec la collaboration de Dominic Champagne, Pierre-Étienne Lessard et Sylvie Van Brabant, Éditions Somme Toute (2015)

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Manifeste: élan global pour un nouveau modèle

Plusieurs signataires d’un Manifeste pour un (nouvel) élan global ont tenu une conférence de presse ce midi pour essayer de relancer des idées et des objectifs laissés peut-être trop dispersés, trop flous. Je n’y étais pas, mais je l’ai signé, parce qu’il va, dans toute sa rhétorique, dans presque la bonne direction.

Le Manifeste s’exprime en fonction de l’économie, sans bien cerner ce qui est en cause. On veut «écologiser» et «humaniser» cette économie, mais il n’y a pas de véritable vision de ce qui est en cause dans notre texte. Le Manifeste critique la croissance, mais surtout la croissance infinie et à tout prix. Il y a risque que la croissance anémique voulue – désespérément recherchée – par les élus de la planète soit celle jugée nécessaire pour l’effort de donner un nouvel élan à notre société. À tort.

En effet, le parti pris pour l’économie s’insère dans la volonté de «lancer un vaste chantier de développement véritablement durable, viable, juste et équitable», mais il est clair que les critères pour ce chantier, énoncés à même l’énoncé, doivent être respectés sans rester dans le flou de l’énoncé. C’est pourtant un nouvel élan global qui est nécessaire.

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Des précisions absolument nécessaires

La Manifeste prétend que les solutions existent, mais ne fournit aucune indication de celles-ci. Ce que nous disons est que nous devons agir dans l’espérance de pouvoir faire quelque chose, de nous tromper quant au destin que nous pensons voir se dessiner. Beaucoup de paroles frôlent la rhétorique, mais le fond et les constats sont assez solides : nous sommes dans la dèche, et devons agir.

Le seul élément précis du chemin pour l’action, partant d’une «noirceur nouvelle qui se répand», est l’objectif d’atteindre une réduction de notre consommation de pétrole de 50% d’ici 2030 et de couper nos liens avec le pétrole. Ce qu’il ne dit pas est que – à moins de poursuivre comme des enfants gâtées et ne voir que nos propres intérêts – cela est probablement la moitié de ce qui est requis. L’IRIS nous a déjà fourni l’objectif presque incontournable, une réduction de 40% de nos émissions d’ici 2020 et une baisse presque vertigineues par la suite.

Pour respecter son « espace atmosphérique », le Québec doit réduire ses émissions de CO2 de 3,6 % en moyenne, et cela pour chaque année entre 2000 et 2100. Cela implique une réduction de moitié des émissions dès 2025, par rapport au niveau de 2000. L’empreinte carbone du Québec devrait ensuite passer sous la barre des 20 Mt dès 2040.

Si on la compare avec les objectifs gouvernementaux actuels de réduction de GES, qui s’établissent à 25 % [maintenant 20 % HLM] de moins que le niveau de 1990 d’ici 2020, l’approche par budget carbone implique une action beaucoup plus ambitieuse, soit une cible de 40 % sous le niveau de 1990 d’ici 2020.

Cet élément plutôt défaillant du Manifeste, qui se veut ambitieux, donne une idée de l’ampleur de ce que nous y appelons «la transition». Déjà, le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec a suggéré que le maximum que nous pourrons atteindre, avec une approche réaliste, est une réduction de 15 % en 2025…

L’élan global que nous recherchons comporte beaucoup plus que des changements dans nos relations avec l’énergie fossile. Il comporte des changements radicaux dans notre façon de vivre, dans notre consommation, dans notre reconnaissance de la situation vécue par les trois quarts de l’humanité. Le deuxième chapitre que j’ai écrit pour Les indignés pour mettre en relief les indicateurs qu’il nous faut comme guides met un accent sur l’empreinte écologique et l’Indice de progrès véritable. Il donne du mordant à la volonté de quiconque s’identifie comme «objecteur de conscience» dans le contexte actuel, qui exige davantage que l’on soit «objecteur de croissance».

Objecteurs de conscience, objecteurs de croissance

Le Manifeste réunit les objecteurs – de conscience, de croissance – qui en même temps signifient leur refus de l’abandon. J’y suis, mais mes co-signataires, pour plusieurs, n’ont pas d’idée de l’ampleur du défi. Ils signent en insistant qu’ils vont faire ce qu’il faut, et voilà l’intérêt. Maintenant, il faut commencer par dessiner le chemin. La première étape du parcours : le Conférence des parties à Paris en décembre. Il est écrit dans le ciel que les parties ne réussiront pas à s’entendre sur une programmation qui respectera ce que le GIEC nous dit est essentiel si nous n’allons pas céder notre espérance à l’incontournable.

Cela pose d’énormes défis pour le projet de «développement durable, viable, juste et équitable», expression où le Manifeste empile tout ce qui semble bon dans notre espérance. Par contre, le langage du Manifeste semble rejeter le discours lénifiant de l’économie verte, de la croissance verte, et voilà un fondement me permettant de signer. Le Manifeste prétend que notre territoire «regorge de sources d’énergies renouvelables», presque sûrement un élément fondamental pour le développement proposé dans la tête des rédacteurs, mais passe immédiatement à des objectifs de conservation. Le texte débute, par ailleurs, en insistant sur une situation où les ressources de la biosphère sont limitées et en déclin. Pour le répéter, il veut «créer un modèle de transition écologique» sans aucune précision quant à ce qui est en cause.

Le modèle de développement voudrait peut-être donc se fonder pour certains sur de nouveaux chantiers d’énergie renouvelable. Par contre, dans un contexte où les surplus sont prévisibles pour plus d’une décennie et où de tels chantiers élimineraient les fondements de la volonté de réduire la consommation d’énergie fossile – nécessaire pour de tels chantiers –, il va falloir beaucoup d’imagination pour montrer le caractère écologique et équitable d’une telle «transition».

Le Manifeste accepte l’imaginaire de la Révolution tranquille, contre l’IRIS dans Dépossession, et ils prônent même les objectifs de Brundtland comme si rien ne s’est passé depuis 25 ans : on doit procéder «à la construction d’une économie qui permettra l’amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en protégeant l’environnement». Ce sera une économie où on consommera moins et produira mieux, comme disait-Brundtland. Un regard approfondi sur le sens de l’élan global voulu suggère – montre – que la transition «révolutionnaire» ne pourra être tranquille.

L’espérance presque source de désespoir

À la lecture du Manifeste, je n’arrive pas à bien cerner la «pensée unique» et la «pensée magique» qu’il cible pour identifier le changement voulu, et ma principale crainte face aux initiateurs du Manifeste est que le flou du texte se maintienne dans un flou d’action et d’engagement.

Je n’aurais pas survécu mes décennies d’engagement dans de tels efforts si j’étais porté au désespoir et, pourquoi pas, à la dépression (comme celle subie par plusieurs amis). Reste qu’il est presque désespérant de voir les groupes environnementaux et sociaux maintenir le même discours qui les a animé pendant ces décennies et contourner la nécessité de voir la nouvelle situation en face. Et que dire des 100 000 personnes que le Manifeste veut réunir?

Le Manifeste ne propose rien qui puisse ressembler à des solutions, si ce n’est que le discours en place depuis déjà trop longtemps. Maintenant que c’est lancé, il nous faut connaître les solutions, et les mettre en oeuvre.

 

 

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L’IRIS à la recherche d’un nouveau modèle: le secteur de l’énergie

Ceci est le quatrième et dernier d’une série d’articles portant sur Dépossession : Une histoire économique du Québec contemporain publié récemment par l’IRIS. L’objectif est d’essayer de rendre explicites les composantes d’un nouveau modèle que le livre semble pressentir mais ne présente pas explicitement.

 

Énergie : De la nationalisation è la privatisation, par Eve-Lyne Couturier et Bertrand Schepper-Valiquette

L’histoire de l’électricité au Québec; La petite histoire des hydrocarbures au Québec

Il faut aller dans les sous-sections de chaque partie du chapitre pour voir les détails mais, comme les titres l’indiquent, le chapitre ne fournit que par indirection les pistes pour une vision de la façon dont l’énergie devrait être régie dans la société. L’histoire débute avec des problèmes de corruption, de collusion et de mauvaise gestion au sein des entreprises privées qui opéraient dans le secteur de l’électricité et du gaz il y a 100 ans. Suit une présentation des étapes menant à la nationalisation des compagnies d’électricité (mais non des compagnies possédant leurs propres barrages) sous les régimes de Duplessis, de Godbout et finalement de Lesage.

Un modèle d’affaires pour le service public

Avec les interventions du gouvernement Lesage, dont le travail de René Lévesque, le Québec reconnaît comme un service public l’approvisionnement en électricité aux abonnés résidentiels et commerciaux. Couturier souligne qu’avec l’attribution à Hydro-Québec d’un nouveau statut en 1981 par Jacques Parizeau, l’État devient l’unique actionnaire, Hydro-Québec devient une entreprise à fond social et commence une gestion plus commerciale. Ce processus enlève à la population son rôle comme propriétaire (direct, mais je ne comprends pas très bien la distinction) et met en place l’effort de développement où, en plus «d’offrir le meilleur service au meilleur prix, il faut aussi trouver le moyen de développer le marché tout en étant de plus en plus profitable» (193).

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C’est justement à partir des années 1980 que l’influence grandissante des courants néolibéraux mène progressivement à des changements dans ce sens. La volonté d’intégrer le marché nord-américain mène, dans les années 1990, à la création de la Régie de l’énergie et de l’Agence d’efficacité énergétique et le début de la déréglementation du marché de l’électricité. Hydro-Québec se scinde en quatre entités distinctes «selon un modèle imposé par un marché externe privé, dans le but avoué de maximiser son profit» (198).  Suivent des années de contestation entre Hydro-Québec et la Régie de l’énergie, alors que le gouvernement redéfinit sa place dans le portait. En 2000, la Régie perd son autorité sur les lignes de transmission et leur entretien, et en même temps, avec la Loi 116, elle perd toute juridiction réglementaire sur Hydro-Québec Production, décision qui enlève beaucoup de pouvoir au gouvernement aussi. Le processus de déréglementation comporte l’instauration d’un engagement «patrimonial» et une sorte de redistribution par la voie de l’interfinancement..

(suite…)

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L’IRIS à la recherche d’un nouveau modèle: le secteur minier

Ceci est le troisième d’une série d’articles portant sur Dépossession : Une histoire économique du Québec contemporain publié récemment par l’IRIS. L’objectif est d’essayer de rendre explicites les composantes d’un nouveau modèle que le livre semble pressentir mais ne présente pas explicitement.

 

Mines : L’histoire d’une triple dépossession, par Laura Handal Caravantes

Les rôles du secteur public dans le mode d’administration des ressources minières au Québec; La législation minière québécoise : la place des citoyennes et citoyens, de l’État et de l’environnement; La dépossession économique : l’impact fiscal

Handal Caravantes a déjà présenté en avril 2010 un rapport de recherche pour l’IRIS qui mettait en question le soutien financier par l’État du secteur minier, soulignant le peu de bénéfices pour l’État associé à l’expérience au fil des décennies. Dans le chapitre du livre actuel, elle trace l’histoire du modèle productiviste inacceptable fondé sur le processus de dépossession des ressources, soulignant l’ampleur de la dépossession (169). Dans les deux premières sections, elle met l’accent sur la façon dont l’administration publique a joué un rôle de soutien au développement minier, sans y participer activement, et sur la législation qui favorise le développement à la faveur du secteur privé qui y opère.

Comme son titre l’indique, l’expérience comporte trois dépossessions: matérielle (142 s.), politico-écologique (146 s.) et économique (157 s.). Elle trace entre autres la création de sociétés d’État comme la SOQUEM et la SOQUIP et le rôle de la Caisse de dépôt et de placement et de la Société générale de financement (SGF) dans le financement de différentes interventions. Elle revient régulièrement sur le fait que ces interventions visaient à favoriser le développement par le secteur privé plutôt qu’un «véritable processus de réappropriation populaire de l’exploitation des ressources minérales» (121). Même en termes de développement économique, les résultats étaient mitigés et peu satisfaisants. À partir des années 1980 et la dominance du néolibéralisme, elle note un «recul du rôle commercial et industriel de l’État … il n’y conserve que les fonctions utiles au privé, c’est-à-dire un rôle de bailleur de fonds et la responsabilité d’assumer les risques» (129). C’est le même portait fourni par Pierre Dubois pour le milieu forestier.

L’intervention du gouvernement Marois n’a fait que poursuivre le «modèle extractiviste axé sur l’exploitation et l’exportation massive et à l’état brut des ressources naturelles» (134). Le gouvernement Couillard continue dans cette orientation «vers un modèle de développement risqué et de nature instable» en visant un rôle de partenaire-actionnaire des entreprises (137). Dans la présentation de l’histoire de la législation fondée depuis toujours sur le free mining, elle rentre dans ce qui est mieux connu et qui, comme trame de fond, insiste sur la main-mise des entreprises sur le développement.

Osisko Malarctic photo

Une section de ce chapitre porte sur la carence démocratique qu’il associe au fait que le BAPE n’est pas décisionnel, ce qui contribuerait à la dépossession matérielle et politico-écologique (146-152). Elle note concernant les consultations du BAPE que, «loin de permettre un plus grand contrôle sur l’aménagement de leur territoire d’appartenance, cette insistance aurait plutôt pour fonction d’«encadrer un processus de négociation en continue des conditions de réalisation» des projets» (149). L’implication est claire que le BAPE devrait avoir un pouvoir décisionnel. Le processus de consultation ne donne pas toujours, sinon jamais, les résultats escomptés. (suite…)

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Conseil de bassin de la rivière du Cap-Rouge, 26 mars 2015

J’étais invité comme conférencier à l’assemblée générale en 2014 qui célébrait le 10e anniversaire du Conseil de bassin de la rivière du Cap-Rouge. Un accident survenu quelques jours avant m’a empêché d’y être. Ils m’ont donc invité pour l’assemblée du 11e anniversaire.

J’étais impliqué dans la création du Conseil, tout comme j’étais impliqué à la même époque avec la Fondation québécoise pour la protection du patrimoine naturel (FQPPN), qui travaille sur la protection de sites à Saint-Augustin. Depuis que j’ai laissé la présidence de la FQPPN, le groupe a réussi à finaliser la protection des battures de Saint-Augustin ainsi qu’une partie de la falaise sur la rive du Saint-Laurent. Le Conseil de bassin s’est également maintenu actif avec de nombreuses interventions dans le bassin de la rivière et a même embauché son premier directeur cette année.

Le parcours pour le pipeline Énergie Est est censé inclure les battures de Saint-Augustin, en passant sous le fleuve à cet endroit. Les risques associés au pipeline touchent directement les sites qui sont gérés par le Conseil de bassin et la FQPPN, et j’ai intitulé ma présentation «Comment aborder la question des pipelines?». Le titre du résumé présenté au Conseil de bassin mettait l’accent sur le cadre pour répondre à cette question : «Penser globalement, agir localement?» était une façon à Nature Québec de souligner son approche, pendant un certain temps.

Dans la présentation, je me suis permis de ne pas fournir une réponse à la question du titre de la conférence. Bien sûr, il faut évaluer l’importance des risques d’Énergie Est pour les sites de Cap-Rouge et de Saint-Augustin et s’opposer à son passage s’ils paraissent trop grands. C’est la bataille en amont de celle-ci, contre l’exploitation des sables bitumineux, qui génère la confusion. Encore une fois, cette exploitation constitue un désastre environnemental tout en étant un cul de sac économique, mais ces enjeux ne sont presque pas justifiés comme cibles pour le mouvement de protestation, qui inclut aussi celle contre les pipelines Keystone XL et Northern Gateway.

Comme j’ai indiqué dans une série d’articles l’été dernier, tout indique que nous avons perdu la guerre contre les changements climatiques, notre dépendance envers le pétrole (sale ou moins sale) est tel qu’il est presque inconcevable que les décideurs prennent les décisions nécessaires pour la COP21 à Paris en décembre 2015 pour mettre en branle les actions qui donneraient une chance de tenir la hausse de température sous les 2 degrés C. Ces actions ont été soulignées comme absolument essentielles par le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son 5e rapport en 2013-2014.

Il me paraît fondamental de mettre cette situation en évidence, alors que le mouvement de protestation contre les pipelines et contre l’exploitation des sables bitumineux se fait dans un contexte où les intervenants endossent l’idéologie de la croissance verte/économie verte. Ce faisant, ils évitent de mettre l’urgence, et l’échec probable de nos actions, à l’ordre du jour.

Ma conférence «Comment aborder la question des pipelines?» passe donc dans une certaine confusion entre l’agir local nécessaire et celui, global, où le penser est en place depuis des décennies et où l’action est maintenant essentielle. L’action locale n’est plus (seulement) celle menée par le mouvement environnemental pendant des décennies, incluant les efforts de protéger la biodiversité et les écosystèmes dans une multitude d’endroits. Elle doit tenir compte du fait que nous avons, comme personnes dans les pays riches, comme humanité, dépassé la capacité de support de la planète elle-même. Situer cela dans le cadre international actuel passe proche de nous paralyser, en attendant l’effondrement.

Ma «contre-proposition» : le travail préparatoire à la transition, imposée ou planifiée. Je viens de mettre en ligne différents chapitres que j’ai écrits pour le livre du collectif que j’ai dû finalement abandonner. C’est sous Écrits : Les indignés sans projets? – des pistes pour le Québec. Je viens également de publier quatre articles sur le récent livre de l’IRIS, Dépossession: Une histoire économique du Québec contemporain où je souligne, après une lecture plutôt désappointée, que le collectif d’auteurs n’abordent presque pas un de leurs trois objectifs, les pistes de solution pour préparer la transition en fonction des analyses présentées et constituant les deux autres objectifs.

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Développement minier dans la deuxième moitié de l’ère des métaux

Ce texte représente la version préliminaire du chapitre sur l’activité minière préparé dans le cadre des travaux visant la publication d’un livre fournissant le portrait du Québec dans le contexte de l’effondrement prévisible. Le livre était prévu comme l’oeuvre d’un collectif, mais a dû être abandonné. Il avait comme titre provisoire Les indignés sans projets? – des pistes pour le Québec.

Le texte se fonde sur le chapitre de L’indice de progrès véritable: Quand l’économie dépasse l’écologie. Ce chapitre 8, intitulé « Éliminer son capital sans le reconnaître », représente le plus long chapitre du livre, et va plus loin dans la réflexion présentée ici.

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Jour de la Terre 2012, élections et vague arc-en-ciel

C’était du jamais vu au Québec, à l’image de ce qui se passait ailleurs, en Afrique du Nord, en Europe, aux États-Unis. La population était dans la rue, mobilisée, dans toute sa couleur. Le Jour de la Terre de 2012 était l’aboutissement du «printemps érable», lui même se déroulant dans la foulée du printemps arabe, du mouvement des indignés,  de Occupy Wall Street. J’en étais observateur, fasciné. Et la manifestation pacifique que constituait la marche du Jour de la Terre 2012 sortait d’un cadre pour l’événement qui l’avait rendu presque grotesque. Il semblait y avoir de l’espoir.

Des contacts avec certains participants suggéraient très rapidement qu’il n’y avait pas de mobilisation pour des suites, pour la transformation d’un événement en un mouvement. Ce n’était pas long avant que la réalité s’installe et que la marche soit devenue un souvenir en attendant que les groupes environnementaux s’organisent pour le prochain Jour de la Terre. Absents étaient justement de ce successeur de 2013 les groupes de femmes, d’étudiants collégiaux et universitaires, d’autochtones, de syndicalistes, de tout ce qui avait marqué l’événement de 2012. Nous restions quand même avec la présence d’une opposition officielle à Ottawa résultant de la vague orange qui s’était déferlée sur le Québec lors des élections fédérales de 2011 et qui n’était même pas une composante du Jour de la Terre 2012, mais qui en avait manifesté certains de ses traits.Viet Nam 4 17.05.10

Ce n’était pas une surprise de voir le gouvernement Marois, très rapidement après son élection en septembre 2012, montrer les orientations devenues nécessaires pour n’importe quel gouvernement qui se prend au sérieux dans les démocraties modernes. Comme j’esquisse régulièrement dans ce blogue, dont les trois derniers articles, les enjeux énergétiques deviennent de plus en plus cruciaux, complémentaires aux enjeux fiscaux et économiques marqués entre autres par les défis de l’endettement – et cela sans oublier les inégalités qui marquent les sociétés actuelles et pour lesquelles il n’y a pas de porte de sortie pour le moment. Autant une révision souhaitable de la fiscalité pour inclure davantage les riches dans le financement des activités de l’État ne représente pas une solution miracle à une situation associée à la disparition de la croissance économique et la «richesse» qu’elle a générée pendant des décennies, autant une volonté de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement en combustibles fossiles non conventionnels ne remédie pas à un déclin inéluctable de l’abondante énergie bon marché qui nous a soutenu pendant des décennies aussi.

L’effort de gérer l’espoir, maintenant lui aussi un souvenir plutôt lointain d’une capacité à assurer le bien-être, se bute à ces phénomènes intrinsèques dans la définition de notre situation. Le résultat de l’effort a été une série de décisions qui constituaient, finalement, la répudiation de l’espoir en fonçant la société dans des mesures d’austérité et à la recherche de pétrole autochtone. Même l’illusoire Plan Nord a trouvé une réincarnation dans le Nord pour tous, autre manifestation de l’espoir qui démontre une incapacité à compter.

Le jour du lancement des élections provinciales, Jean-Robert Sansfaçon, mon économiste un peu cible au Devoir, a publié un éditorial qui s’attaque au symbole même de notre situation, une société Hydro-Québec qui – tout en ayant des atouts impressionnants pour notre avenir – n’a plus d’avenir dans le portrait économique que nous nous sommes fait de nous-mêmes. Le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec en fait la démonstration convaincante. L’ère de la production de «richesse» par la construction de barrages est terminée et nous avons même un important coût à payer pendant les prochaines années pour avoir cru trop longtemps dans le rêve, pour avoir poursuivi la production d’énergie au-delà des besoins.

«Qui peut refuser de développer ses richesses naturelles, demandent certains ? En effet… pourvu que cela soit rentable, qu’on en ait vraiment besoin, et qu’on soit prêt à en payer le prix. Ce qui n’est pas le cas», se plaint-il. À la place, nous allons devoir payer plus pour notre électricité. Même l’électricité! et cela face à un prix pour le gaz de schiste aux États-Unis en-dessous du prix coûtant de son exploitation et qui risque d’y rester un certain temps, avant que la bulle de cette énergie non conventionnelle n’éclate. Sans vouloir esquisser une plateforme pour la campagne qui s’amorce, l’éditorial rentre directe dedans, en notant que la campagne ne portera pas sur la politique énergétique, comme elle devrait faire.

Le même jour du déclenchement des élections, c’est plutôt Françoise David et Québec solidaire qui ont occupé la scène en proposant justement une orientation globale, soit de reprendre l’élan du printemps érable (et j’ajoute, du Jour de la Terre 2012). Québec solidaire annonce qu’il a les moyens de se promener à travers le Québec avec un autobus de campagne, pour la première fois. À regarder les enjeux, à regarder l’ancrage des trois partis principaux dans le modèle économique dominant mais sur une voie de sortie, avec une partie de notre bien-être en prime, il y a lieu de penser que le moment est venu de chercher à ressusciter le mouvement du printemps 2012, de transformer l’autobus en symbole de la marche de 2012. Comme dit David, «Je voudrais que toutes les personnes qui ont pris à coeur le printemps érable se demandent: quel parti politique incarne le mieux le véritable changement économique, politique, social et culturel? On est les seuls à l’incarner».

Il n’est pas nécessaire de décortiquer les différents éléments du Plan vert de Québec solidaire, ni les autres parties de sa plateforme (et je laisse de coté Option nationale pour éviter la dispersion du vote). Il n’est même pas nécessaire d’adhérer à l’ensemble de ses prises de position, dont la souveraineté. Québec solidaire nous offre l’occasion de nous mobiliser autour du rejet du modèle économique qui nous a mis dans une situation de crise et qui nous mène dans le mur. Même si lui-même a montré quelques tentations à l’égard du modèle économique qu’il est presque inimaginable de voir hors jeu, cela aussi peut être mis entre parenthèses. On peut se permettre d’imaginer une sorte de caucus des «poteaux» qui seraient élus dans la manifestation d’une vague arc-en-ciel et qui auraient à se débrouiller avec les vrais enjeux, ceux associés aux crises permanentes que j’esquisse dans ce blogue.

Pour répondre au souhait de Sansfaçon de voir la politique énergétique comme élément central de la campagne, j’offrirais même quelques pistes partielles pour les débats. Tout d’abord, une reconnaissance que nous avons perdu la chance de maîtriser les changements climatiques et l’annonce que nous nous retirons des préparatifs illusoires pour une conférence des parties à Paris en décembre 2015. Les élus à travers la planète prétendent vaguement qu’ils vont finalement y arriver à une entente internationale pour faire l’impossible, une réduction  dramatique de notre consommation des combustibles fossiles et des émissions de gaz à effet de serre qui en résultent. Cela fait longtemps que cet enjeu n’est plus environnemental mais social et économique et le symbole des crises marquées entre autres par notre dépendance au pétrole (et au charbon, et au gaz). Viendrait en même temps toute la série de débats qui n’ont pas eu de suites après les émotions de 2012, et qui touchent les autochtones, les jeunes, les femmes, les étudiants, finalement, toutes les couches et toutes les composantes de la société (en oubliant le 1%) qui étaient mobilisés en 2012.

Nous n’aurons qu’à écouter dans les jours qui viennent les discours creux sur la nécessité de traiter des «vraies affaires», de cibler la «prospérité» et de remettre de l’argent dans les poches des «consommateurs» pour en être convaincus: Nous sommes déjà une vague arc-en-ciel qui le savons déjà. Reste à voir si la vague sans force depuis deux ans puisse se transformer en un tsunami.

 

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Histoire de trois chroniques

Ma lecture de journal de lundi était intrigante cette semaine, en raison de deux chroniques par des journalistes, cela après une autre chronique plus que pertinente du samedi précédent.

François Brousseau fournit pour Le Devoir des analyses politiques des dossiers internationaux intéressantes, cela de façon régulière. De temps en temps, il ne peut s’empêcher de se trouver confronté en même temps à des  sujets qui soulèvent la question des critères d’analyse qui méritent réflexion. C’était le cas pour moi en lisant sa chronique sur le progrès politique et social en Tunisie ces temps-ci. Sa description me rappelait l’expérience de la vague orange au Québec il y a deux ans, expérience qui m’a amené à souhaiter une vague arc-en ciel au Québec, histoire justement de nous voir essayer de renouveler nos institutions. J’étais prêt à voir à l’Assemblée nationale une majorité de «potiches», et je n’étais pas seul.

Bref, je me demande si on devrait vraiment regretter «l’amateurisme et l’impréparation» politiques et «l’incompétence économique» des nouveaux politiciens en Tunisie, suivant les propos de Brousseau dans sa chronique. La «compétence économique» me paraît pleine de risques de nos jours. Et le fait que l’opposition à l’Ennahda, avec «des forces éparses et divisées», manquait de structure – autre institution pleine de risque de nos jours – mais a réussi à se donner un «véritable débat social, politique et médiatique» était plutôt encourageant.

Finalement, ses bémols me rappelaient plutôt les espoirs des mouvements de 2011, ceux des indignés et des Occupy Wall Street (où une certaine incompétence économique était complète et voulue!).

Guy Taillefer ne manque pas la chance de mettre l’accent sur cette incompétence économique dans sa chronique «Des arbres et du charbon», portant sur le débat environnement-économie en Inde. La chronique m’a rappelé une émission que j’ai vue à la télévision chinoise en 2009 quand Jairam Ramesh, ministre Indien de l’Environnement à l’époque, était interviewé par un assez bon journaliste à CCTV-9 lors de son passage à Shanghai. Ramesh a souligné que jamais ils ne pourraient faire en Inde ce que la Chine a fait dans la mise en place du PuDong, le quartier financier de Shanghai construit totalement à neuf sur un site presque «vierge», occupé seulement par des milliers de paysans agriculteurs – ils ont été expulsés – et abritant des milieux humides importants.Le quartier PuDong de Shanghai La démocratie indienne, disait Ramesh, ne laisserait pas passer une telle affaire. Je n’avais pas entendu parler des suites dans la carrière de Ramesh, mais Taillefer nous informe que le positionnement de Ramesh en général a «choqué les milieux d’affaires et ses collègues du cabinet» et il a été remplacé.

Le statut «déprimant» de l’occupant actuel du poste, ministre de l’Environnement et de l’Énergie, m’a intrigué. J’ai encore sur mes tablettes la cocarde que j’ai reçue lorsque j’ai participé au Comité international du Nord-Est sur l’énergie (la rencontre annuelle des gouverneurs et des premiers ministres) en 1991, quand j’étais sous-ministre adjoint à l’Environnement. J’imagine que les responsables ne comprenaient pas ce que je faisais là, et j’étais identifié «Environnement et Industry – Province of Quebec»! C’était précisément l’époque où Gérald Tremblay (Industrie) et Pierre Paradis (Environnement) avaient tellement besoin de s’entendre que je proposais à mes amis qu’ils devraient échanger de postes…

Quant au reste, Taillefer laisse l’ambiguïté régner tout au long de la chronique, dont la première phrase souligne qu’il y a «une opinion trop répandue en Inde qui veut que ses lois sur la protection de l’environnement entravent indûment la croissance économique du pays» Il poursuit: »C’est faux, mais ça colle». Rendu à la fin, Taillefer cite Rajiv Lall, un «capitaine de l’industrie des infrastructures», qui affirme que «notre cible de croissance annuelle de 9% est incompatible avec nos aspirations environnementales» et que le moment serait propice, selon lui, de »prendre le temps de réfléchir». Taillefer conclut en notant que Lall ne voit pas du tout que la machine politique y soit disposée, et «en avant la fuite».

Selon Taillefer, le Premier ministre Manmohan Singh se plaint que les «lois vertes» étouffent l’économie indienne. Je donnais justement une conférence hier pour souligner jusqu’à quel point l’ensemble de l’élite politique,  économique et médiatique québécoise va dans le même sens. On ne peut pas se permettre de manquer le bateau face à l’occasion d’exploiter notre pétrole, disaient-ils dans son manifeste récent, cela sans donner des indications qu’ils ont des connaissances de ce qui est en cause. Ils promettaient tout simplement «les plus hauts standards environnementaux» pour gérer la situation.  Nous étions plusieurs à riposter, avec un autre manifeste. Les signataires du premier manifeste n’incluaient pas les André Caillé, Lucien Bouchard et André Boisclair de notre élite québécoise, déjà acquis à l’industrie du pétrole. Carole Beaulieu, éditrice de L’actualité,  semble aller dans le même sens dans son dernier éditorial, et Alain Dubuc cherche même à souligner – à tort – «trois non-sens économiques» dans notre manifeste. La différence que je remarquais en lisant Taillefer: l’Inde a au moins un Rajiv Lall, parmi les capitaines de l’industrie, pour souligner l’incohérence!

La chronique de samedi du journaliste en économie Éric Desrosiers portait sur «l’art délicat de passer à travers les murs» maintenant construits dans l’édifice économique lui-même, et j’y reviens dans mon prochain article sur le blogue en commentant la récente publication de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, La soutenabilité budgétaire des finances publiques du gouvernement du Québec. Leur constat: les finances publiques du Québec ne sont pas soutenables. J’ai abordé l’ensemble de ces enjeux cette semaine dans une conférence que j’ai présentée au Centre universitaire de formation en environnement et en développement durable de cette même Université. Ma conférence s’intitulait «Comment gérer l’échec d’une carrière et celui d’une société?» Le thème de la série de conférences est «Initiateurs de changement» et j’ai dû insister sur l’échec de mes 45 ans d’efforts pour obtenir du changement de la part de nos élites!

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Mémoire soumis à la Commission sur les enjeux énergétiques

Ce mémoire est en fait est une sorte d’application des réflexions du Chapitre 3 Un Québec dont l’énergie dépend du soleil écrit pour Les indignés sans projets?, livre d’un collectif que j’ai essayé d’organiser et qui visait une sortie en début d’année 2014; j’ai abandonné l’effort au début de 2015, mettant les chapitres déjà préparés en ligne ici. La version préliminaire du chapitre lui-même commence à la page 11 et avait comme titre «L’énergie, fondement du fonctionnement de la société». Le livre prenait ses racines dans le constat que le Québec doit se préparer pour des effondrements sur les plans écologique, économique et énergétique. Ce faisant, la plupart des chapitres s’avèrent, selon une vision trop restreinte, irréalistes. C’est le cas de ce chapitre, déposé à la Commission surtout pour mettre en relief l’irréalisme de la vision de celle-ci par rapport à la mienne!

MISE À JOUR 1   Mes commentaires ici sur le travail de la Commission étaient basés surtout sur le document de consultation qu’elle a produite. Son rapport final de février 2014 a fait amende honorable, mais semble clairement tabletté.

 

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« Nécessité économique »: une fuite en avant

La perte d’orientation dans les débats de société semble atteindre un nouveau sommet avec l’éditorial de Bernard Descôteaux dans Le Devoir de samedi 6 juillet dernier, éditorial qui aurait pu arriver, par ailleurs, à un meilleur moment. L’accident au Lac Mégantic plus tard dans dans la même journée a servi à mettre en évidence les implications de son message. Dès ma lecture de l’éditorial, j’ai formulé un commentaire que j’ai envoyé au journal. J’y cherchais à souligner la fuite en avant que représente la pensée de Descôteaux, alors que la «nécessité économique» qu’il priorise est de plus en plus clairement d’une autre époque. En effet, le transport de pétrole (de schiste – pour ce qui est de celui de Lac Mégantic – et de sables bitumineux, en grande partie, si ce n’est le raffiné) est une nécessité si l’économie va continuer à tourner comme il a fait pendant les dernières décennies, et l’accident de Lac Mégantic fait sortir une multitude d’informations sur la situation à cet égard.Tar sands

Un des avantages d’avoir décidé de créer ce site web est que je puis publier mes réflexions quand les médias ne jugent pas cela pertinent, comme c’était le cas cette fois-ci pour mon petit texte. L’enjeu est un peu plus clair pour plusieurs depuis le 6 juillet: d’une part, la «nécessité économique» exige que l’on permette presque n’importe quoi pour au moins maintenir le statu quo sinon augmenter l’activité économique; d’autre part, elle montre jusqu’à quel point nous sommes contraints par le modèle économique actuel à foncer dans le mur, à moins de mettre beaucoup de choses en question. Ce ne sera pas long avant que les changements climatiques ne redeviennent le thème dominant des débats à ce sujet, mais pour le moment l’accident nous ramène sur des risques plus locaux, les débats portant sur les choix de transport, par bateau, par train, par camion (tout le pétrole du Saguenay) ou par pipeline – ou, si nous décidons de nous sevrer du pétrole et de la «nécessité économique», sur un nouveau paradigme de vie.

L’éditorial arrive sur la scène alors que je suis en train de lire Supply Shock: Economic Growth at the Crossroads and The Steady State Solution, de Brian Czech. Je connais assez bien déjà la problématique, mais Czech fournit l’histoire de la pensée (et maintenant de l’idéologie) de la croissance économique, ce que je ne connaissais pas aussi bien. Et je viens tout juste de terminer un échange avec un économiste hétérodoxe qui a conclu avec son rejet de ma lecture de la situation. Celle-ci rejoint les projections du Club de Rome et constate que nous sommes devant des effondrements des bases écosystémiques de notre civilisation, à assez brève échéance. Pour justifier son rejet de ceci, l’économiste souligne qu’il n’accepte pas l’idée qu’il a perdu son temps pendant une carrière qui a couvert plusieurs décennies et qui a été marqué par l’histoire de l’idéologie en question. Autant je constate l’échec du mouvement environnemental au sein duquel je me suis débattu pendant 45 ans, autant je constate l’échec des mouvements sociaux où était engagé cet économiste, mouvements qui cherchaient et cherchent toujours à améliorer le sort des populations. Tout d’abord, ces mouvements ciblaient les populations de leurs propres sociétés, mais avec le temps, il est devenu clair que, même avec des avancées au sein des pays riches, les énormes inégalités qui définissent les liens de ceux-ci avec le reste de l’humanité nous amènent à des projections de perturbations (lire effondrements) à l’échelle de la planète, dont les émeutes de 2008 (en raison du prix du pétrole et du prix des aliments qui en découlait), le Printemps arabe et l’intervention des Indignés n’étaient que des signes avant-coureur.

De tous les journaux au Québec, Le Devoir semble le plus conscient, de par son approche éditoriale, des situations critiques qui définissent les enjeux écologiques et sociaux actuels. Que le directeur du journal intervienne dans le déni explicite de cette approche face à la «nécessité économique» de poursuivre la croissance mérite commentaire. Czech termine son livre en projetant un virage qui viendrait d’une sorte de gêne ressentie par le 1%, mais comme moi, il est bien conscient que l’idéologie de croissance est tellement inscrite dans les moeurs, même  des plus avertis, que la projection n’a pas autant de pouvoir de convaincre que celles du Club de Rome.

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