Schumacher: le sens d’une oeuvre classique

Écosociété a tout récemment publié La fin de l’abondance: l’économie dans un monde post-pétrole, par John Michael Greer. Avant même de parcourir le texte, et après un peu de recherche pour le trouver, le titre original frappe par la différence: The Wealth of Nature: Economics as If Survival Mattered. En effet, Écosociété cherche à rendre sa publication plus attrayante avec son titre, alors que Greer insiste par son titre sur l’héritage de E. F. Schumacher, auteur du classique Small Is Beautiful: Economics as if People Mattered. Greer part des constats qui inspirent le livre en préparation que j’ai mentionné dans mon dernier article, ceux des effondrements qui arrivent, et présente d’intéressantes analyses qui justifie amplement le titre de la version française.

Un impact de la lecture de Greer était l’incitation à retourner à Schumacher, pour relire le livre publié la même année que Halte à la croissance! (1972) (dont Écosociété vient de publier une version française, suivant littéralement le titre de l’original, Les limites de la croissance alors que la traduction répandue est autre).  Il est frappant de voir jusqu’à quel point les constats d’aujourd’hui étaient clairement en vue il y a 40 ans. La grande préoccupation pour l’avenir, de la part des auteurs de Halte! autant que de Schumacher, renforce celle que j’exprime dans mes articles. Elle fait ressortir aussi la fragilité des constats d’effondrements avec calendrier à l’appui; même si ces constats sont d’un tout autre ordre que ceux du calendrier Maya, je me place avec Schumacher, Meadows, Greer et al dans une longue série de prophètes de malheur dont bon nombre se sont trompés. Le premier article de mon nouveau blogue présentait les fondements de ma position.

En même temps, il est réconfortant de voir différents médias souligner le faible nombre de tels prophètes de la Grande Récession, comme si on doit reconnaître l’importance de prévoir et de planifier avec autant de vision que possible. Finalement, la situation rappelle le pronostic d’effondrement d’un autre prophète de malheur, Maurice Strong, dans son autobiographie Where on Earth are We Going?, publié en 2000. Le premier chapitre de ce livre constitue un portrait d’effondrement présenté aux actionnaires de la planète – nous – en date du 1er janvier 2031. En 1990, Strong s’est appelé un «optimiste opérationnel» face aux défis, et je me décris ainsi depuis cette date. Ce blogue est finalement l’indication que cela continue, même si c’est de plus en plus difficile.

C’est bien le philosophe et professeur qui trace les lignes précédentes, en me référant à toute une bibliothèque qui présente les scénarios peu reconnus des décideurs mais d’une cohérence déconcertante! SchumacherEt en effet, ce qui m’a frappé peut-être le plus à la relecture de Schumacher, ce ne sont pas ces scénarios trop bien connus par les personnes qui y portent attention, mais plutôt son chapitre sur l’éducation. Schumacher y manifeste plusieurs de ses convictions profondes, dont une croyance en un être supérieur, la conviction que les oeuvres de science et celles de philosophie sont de nature différente et que le besoin de sortir d’une confusion intellectuelle exige qu’on «accepte consciemment, même si provisoirement, un certain nombre d’idées métaphysiques qui se trouvent en opposition aux idées du 19e siècle», celles de Darwin, de Freud, de Marc, de Comte et même d’Einstein, qui pénètrent la pensée moderne.

Schumacher a peut-être raison que cette pensée «positiviste» explique l’échec des efforts de faire comprendre les scénarios d’effondrements, surtout lorsqu’il situe son jugement dans le contexte d’une condamnation de la «science» économique qui constitue toute la première partie de son livre et qu’il identifie à la «mauvaise métaphysique». La relecture de cette oeuvre classique, comme une sorte de visite à un musée, m’a ramené au débat récent sur le changement de nom du programme des cegeps dans lequel j’ai enseigné pendant un quart de siècle. Arts et Lettres devient Culture et Communications, et plusieurs chroniqueurs croient le changement important, et mal avisé. Moi je le vois intéressant dans un sens plutôt contraire.

Le retour à Schumacher fait ressortir ce qui a marqué tout mon enseignement, tout aussi marginal dans ses orientations que mes efforts de changer celles en matière de développement. Partout, la littérature et les grandes oeuvres sont enseignées en fournissant aux élèves leur contexte historique, en prétendant que ceci est essentiel pour les comprendre. J’ai passé près d’un demi-siècle à proposer, au contraire, qu’il est aussi difficile de comprendre le «sens» d’une époque historique (dont la nôtre, qui évolue sans cesse) que de comprendre le «sens» d’une oeuvre. Tout est question d’interprétation.

(suite…)

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