Le Japon, éclaireur des pays riches? (bis)

Paul Racicot pose une série de questions en lisant mon dernier article sur l’équité entre les générations: «Et qu’en est-il de la population japonaise vieillissante ? Comment fait-elle face à ce phénomène ? Qu’en sera-t-il de son avenir – d’un point de vue démographique – en regard de sa faible entrée d’immigrants dans sa population ?» Une réflexion en guise de réponse.Japon pyramide des âges

J’ai déjà publié mes réflexions sur cet ensemble de questions, dans un article de mai dernier. Racicot pose ses questions à partir de la deuxième partie de mon article sur l’équité entre les générations, où je mets l’accent sur le facteur démographique (alors que c’était le facteur économique auquel je réfléchissais dans mon premier article sur le Japon). Je ne sais pas pourquoi il cible le Japon plutôt que d’autres, mais cela me permet une nouvelle réflexion.

Je ne connais pas le Japon de façon particulière, mais je sais d’abord qu’il s’agit d’une île (archipel), et cela situe l’enjeu démographique : dans les pays continentaux, une population en surabondance ou poussée par celle dominante qui s’étend peut toujours espérer (en principe) migrer quelque part. Cela donne aujourd’hui d’intéressantes populations de «minorités» dans le sud-est asiatique, par exemple. Sur une île, il n’y a pas beaucoup d’options pour la migration. Dans le cas du Japon, la densité de la population est élevée, avec 339,7 habitants/km² sur l’ensemble du pays en 2009 et 1 523 habitants/km² en ne considérant que les zones habitables – considérable, même si c’est seulement le tiers de la densité du Territorie palestinien occupé, celle-ci proche de la densité de l’île de Montréal, qui a une densité de 3 861,6 habitants/km2… Bref, la question de la taille optimale et même maximale de la population se pose assez directement sur une île ou dans une enclave, même si, dans un monde surpeuplé partout, la distinction n’est pas si importante que ça, comme je soulignais en publiant l’autre article avec l’illustration de la planète Terre vue par les premiers astronautes – c’est toute une île…

Mon premier reflexe en lisant la série de questions de Racicot est de me référer à The Security Demographic : Population and Civil Conflict After the Cold War (le document ne semble plus accessible en ligne, et je l’ai donc déjà mis sur mon site). Il s’y trouve une série d’analyses en fonction de quatre facteurs de stress démographique : une forte proportion de jeunes dans la population ; une croissance urbaine rapide ; compétition pour les terres arables et l’eau ; mortalité venant de VIH/SIDA frappant la population adulte. Différents pays se trouvent devant différents défis en fonction de la présence variable de ces stress. La «sécurité démographique» du titre du livre est la stabilisation des enjeux démographiques décrits.

L’historique du Japon à travers une proportion très importante de jeunes dans la période autour de la Deuxième Guerre mondiale se présente aujourd’hui avec une fertilité basse et une proportion de jeunes dans la population également basse. Japon pourcentage jeunesAujourd’hui, les experts ont tendance à trouver une telle situation presque alarmante, même si la situation inverse de la première moitié du siècle dernier l’était beaucoup plus, à en juger par ses conséquences…

Le premier facteur de stress est bien sous contrôle. C’est le troisième qui me paraît pertinent pour répondre aux questions de Racicot. Le Japon figure parmi les quelques pays au monde où l’absence de terres arables est jugée extrême ; il n’y a que 0,04 ha par personne, environ la moitié du seuil critique et le cinquième de ce qui est jugé adéquat, soit 0,2 ha par personne. Pour plusieurs pays, une telle situation est le résultat de conditions géographiques, mais assez souvent, elle est plutôt le résultat d’une augmentation importante de la population. Pour ce qui est de celle du Japon, sa population est passée de 44 millions en 1900 à 92 millions en 1960 à 128 millions aujourd’hui.

La réponse à une telle situation se trouverait, pourrait-on croire, du coté de l’importation des denrées alimentaires. À cet égard, il est intéressant de noter que le Japon se trouve voisin de la Chine (0,1) et de la Corée du Sud (0,04) et pas loin de l’Inde (0,15). Dit autrement, on peut presque trouver dans ces quelques pays le défi souligné à répétition par la FAO à l’effet que des crises alimentaires se profilent à l’horizon. Japon carteLa Corée du Sud et le Japon se trouvent dans la catégorie d’extrême stress démographique, la Chine et l’Inde dans la catégorie de grand stress. Ensemble, il s’agit de prés de 3 milliards de personnes qui se trouvent dans des pays incapables de les nourrir à partir de leurs propres ressources.

Pour répondre donc à la question : le Japon se trouve avec une population trois fois celle d’il y a 100 ans mais en voie de réduire, tranquillement, cette population. Ce faisant, il s’oriente vers une baisse éventuelle du niveau de stress en cause, mais cela ne se fera pas sentir pour longtemps et le pays sera exposé à des risques et des coûts importants face à la concurrence prévisible pour les denrées alimentaires dans les prochaines décennies.

Seuls les économistes (et ceux qui les prennent comme guides) favorisent toujours une croissance démographique finalement n’importe où, histoire d’y trouver une composante importante de la croissance économique. De façon plutôt spontanée, le Japon rejette une telle orientation ; la Chine, avec la loi d’un seul enfant, a évité l’ajout d’environ 400 millions de personnes à sa population, même si des démographes et des économistes semblent toujours favoriser une reprise de sa croissance démographique ; l’Inde pour sa part ne donne pas d’indication d’une stabilisation de sa population, qui risque dans quelques années de dépasser celle de la Chine (j’ai déjà fait un petit calcul à cet égard : l’Inde connaît l’ajout net à sa population de plus de 50,000 personnes, par jour).

Dans ce contexte, la formulation de la dernière question de Racicot semble fournir une indication d’où elle vient, soit du pays du modèle économique. La réponse: les stress démographiques du Japon seront moindres s’il n’y a pas d’immigration. Pour un pays destiné à connaître quand même des stress extrêmes dans son effort de nourrir sa population, il s’agit d’une bonne affaire…

Facebooktwitterlinkedinmailby feather

1 commentaire.

  1. Merci pour cette réponse bien articulée… que je viens tout juste de lire en ce dimanche, 27 avril 2014. Mais où avais-je donc les yeux ?! 😉

    Je me suis donc abonné à vos publications (ou avertissements de…) via courriel.

    Au plaisir de vous lire à nouveau.

Répondre à Paul Racicot Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Translate »