Et après l’abandon d’Énergie Est…?

Une bonne partie de ce texte vient d’un document plus court soumis à différents éditeurs au moment du lancement du livre Trop tard en novembre dernier. Le texte n’a pas été retenu et il me paraît opportun de le publier moi-même ici.

 

La décision de TransCanada d’abandonner la construction du pipeline Énergie Est (comme par ailleurs celle d’abandonner l’exploitation sur Anticosti…) ne devrait pas constituer une grande surprise. Si l’opposition citoyenne au projet l’avait évidemment rendu problématique, il était aussi clair qu’il était devenu pour la compagnie une source de grande préoccupation sur le plan financier, ce qu’une connaissance des enjeux économiques en cause aurait permis d’entrevoir. Voir par exemple cet article de l’automne dernier dans Alternatives Journal. Or, l’ensemble de la classe politique qui est intervenu (et qui intervient toujours) dans le dossier pétrolier affiche curieusement un manque de connaissances de ces enjeux.

Peak oil, declining EROI and the new economic realities:: New limits to growth?Charles Hall, Stephen Balogh and Jessica Lambert 2012

Avec la baisse constante du rendement des nouvelles sources d’énergie (leur ÉROI), plus de ressources de la société doivent être consacrées à la production d’énergie (la composante noire)  et moins reste pour les autres activités de la société, sociales et économiques (la composante rouge). Source: Charles A. S. Hall et al, 2012 – Une variante de cette figure est utilisée par Alain Vézina dans le texte dont il est question à la fin de cet article.

Pétrole conventionnel, pétrole non conventionnel

De leur coté, les entreprises pétrolières ne semblent pas prendre la pleine mesure des défis. Les grandes agences internationales de l’énergie reconnaissent certes que la production du pétrole «conventionnel» va subir un déclin précipité d’ici une quinzaine d’années (à moins de nouvelles découvertes finalement imaginaires), avec un épuisement progressif mais rapide de ce qui reste des énormes réserves conventionnelles qui ont propulsé l’économie mondiale depuis près de cent ans. Mais on peine à reconnaître le fait que le potentiel du pétrole et des autres énergies fossiles dites «non conventionnelles» – le pétrole et le gaz de schiste, les gisements exploités en eaux très profondes, les sables bitumineux – est insuffisant pour compenser le déclin du conventionnel.

Pire, ces énergies non conventionnelles ont un rendement sur l’investissement en énergie (ÉROI) très bas par rapport aux rendements stupéfiants du pétrole conventionnel, ce qui est malheureusement très peu reconnu. Par conséquent, elles seront non seulement incapables de remplacer les énergies conventionnelles, mais leur propre production sera incapable de soutenir notre système économique fondé sur un accès à des sources d’énergie bon marché à haut rendement. Depuis 2014, la baisse du prix du pétrole est le fruit d’une réaction des sociétés à des prix élevés et insoutenables dans la période précédente, combiné à un surplus de production du pétrole et du gaz de schiste de moins en moins rentable. Cette situation est loin d’être inédite. Depuis les années 1970, le prix élevé du pétrole a régulièrement coïncidé avec les périodes de récession dans les pays industrialisés, incluant la Grande Récession, qui à été précédée par des prix du pétrole records. La question se pose si le faible prix sur les marchés depuis plus de trois ans est le reflet d’une demande risquant d’être en baisse pour longtemps et un ralentissement des économies en conséquence.

De nombreuses indications nous portent à croire en fait que les économies des pays riches soient sur le point d’entrer dans la période décrite par les projections du rapport Halte à la croissance en 1972, soit le début de l’effondrement du système économique autour de 2025. Le modèle informatique utilisé à l’époque par les chercheurs du MIT était assez simple, mais décrivait de façon très juste le fonctionnement de base du système, totalement dépendant d’un approvisionnement en ressources naturelles, et en particulier en énergie, dépendance inconciliable avec les limites de cet approvisionnement qui se manifestent de plus en plus. Un ensemble de «matières premières» sont rendues de moins en moins facilement accessibles et de moins en moins bon marché.

À la recherche d’outils pour y répondre

Le public semble totalement dépourvu d’outils pour bien prendre la mesure de cette situation. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le transport basé sur des véhicules privés et l’étalement urbain se conjuguent avec le rôle du pétrole et de la construction automobile dans l’économie mondiale. À titre d’indication, la liste des 12 premières entreprises du Fortune 500 de 2012 incluait Walmart et 11 entreprises du secteur de l’énergie (fossile) et du secteur automobile. Si la prise de conscience démarre lentement, la montée d’un discours centré sur les véhicules électriques ne tient pas compte du fait que la production électrique dans le monde industrialisé provient toujours d’énergie fossile (à raison d’environ 80%) et que les ressources nécessaires pour constituer une flotte de véhicules électriques à même de remplacer les véhicules à essence nécessitera un approvisionnement énorme en matières premières.

Pire, cette approche ne reconnaît d’aucune façon les énormes inégalités dans le monde actuel, entre autres en matière de transports privés. Des milliards d’humains dépendent actuellement de transports actifs ou, pour une minorité, de mobylettes et de petites motocyclettes. L’Europe connaît aujourd’hui le défi des migrations provenant non seulement de zones de guerre, mais d’une partie importante de l’Afrique subsaharienne dont la population risque de doubler dans les prochaines décennies. Le président Trump a centré une partie importante de sa campagne sur la crainte que suscite la venue possible d’un flot de migrants du sud de la frontière des États-Unis. Alors que nous cherchons à maintenir notre mode de vie, fondé sur notre modèle économique, des milliards d’être humains n’arrivent pas, n’arrivent plus à envisager un avenir semblable au nôtre, et n’acceptent plus cette situation. Le potentiel pour un effondrement social qui accompagnera l’effondrement économique est énorme.

En décembre 2015, l’ensemble des pays signataires de l’accord de Paris ont montré leur incapacité de concilier ce modèle économique avec les énormes réductions de gaz à effet de serre nécessaires pour limiter le réchauffement climatique. Et particulièrement leur incapacité à diminuer leur consommation d’énergies fossiles. Prétendre que Paris a été un succès est un déni devant la nécessité de réduire notre consommation d’énergies fossiles, et ce, rapidement. Il est temps pour la société civile de reconnaître ce déni et de procéder à un changement de discours (et de pensée) susceptible d’amener la société à confronter l’imminence d’un effondrement.

Une nouvelle société à mettre en oeuvre

Une nouvelle société doit s’imposer rapidement, et avec elle un nouveau modèle économique qui devra d’abord abandonner la fixation sur la croissance et sur le PIB comme indicateur de progrès à cet égard. Notre modèle économique montre actuellement des signes d’épuisement. On peut déjà le constater dans les régions où le secteur forestier prédomine, lequel se serait effondré selon les indicateurs des marchés n’eut été le soutien de l’État. On le voit dans les territoires où domine une agriculture industrielle totalement dépendante des énergies fossiles, ce qui provoque une dégradation des milieux de vie. Et on l’observe finalement dans les régions minières où l’industrie, soutenue par nos gouvernements, exploite nos ressources non renouvelables sans que ne soit comptabilisé cet appauvrissement de notre capital naturel.

Ces diverses activités sont maintenues et subventionnées par nos gouvernements, notre société, parce qu’elles maintiennent de nombreux emplois et participent du maintien de la croissance économique, qui à son tour donne l’impression de générer les revenus nécessaires. Mais c’est finalement l’important endettement de notre société qui soutient cette illusion, à travers l’endettement gouvernemental et celui des ménages, comme de l’endettement écologique. Et c’est justement cet endettement, dont le remboursement éventuel relève de l’illusion, qui est mis en cause par l’effondrement projeté.

Nos vies citadines, pour la grande majorité d’entre nous, dépendent entre autres d’un approvisionnement continu en énergie – pour nos transports, pour nos activités commerciales et manufacturières, pour nos logements, pour tout. Nous sommes à la veille de perdre une bonne partie de cet approvisionnement avec la raréfaction des énergies fossiles conventionnelles et l’effondrement de l’économie qui en dépend. Face à cela, il est temps, pour la société civile, de s’y mettre : il faut initier un effort de planification d’une société qui vivra, tout d’abord, avec la moitié moins d’énergie. Dans cet effort, l’hydroélectricité, une énergie sûre et permanente («durable» dans un langage dépassé) fera l’envie de nombreuses sociétés totalement dépendantes de l’énergie fossile. Il n’est plus le temps de chercher à planifier le maintien de notre mode de vie, qui dépasse de loin la capacité de support de la planète, qu’il y ait effondrement ou non. Il est temps d’accepter la vision du monde réel qui se présente, dans laquelle nos dépassements sont en train de nous rattraper. Nous n’avons pas 50 ans pour le faire; nous avons à peine 10 ou 15 ans.

D’autres réflexions sur le sujet en cours

Le sociologue Alain Vézina travaille depuis un certain temps sur un texte suivant les grandes lignes de cet article et qui permet de voir plusieurs arguments de mon livre en version abrégée; son texte est en révision plutôt permanente… En attendant que la rubrique pour le suivi de mon livre sur ce site soit prête – il n’y a pas de grande demande! – , j’ai convenu avec Alain de mettre en ligne son texte dans sa version actuelle, que voici. On ne trouve pas au Québec beaucoup de textes en ce sens…

Jeudi dernier, j’ai fait une présentation dans un cours de sciences politiques de l’Université de Montréal portant sur les politiques environnementales; la présentation constituait ma vision de l’histoire du mouvement environnemental à travers mon expérience personnelle, pour cerner les enjeux actuels. Pour cette deuxième partie, il s’agissait d’une autre variante de la pensée du livre. Pour le moment, je ne réussis pas à mettre le document en ligne, mais cela viendra.

Christoph Stamm, le chargé de cours qui m’a invité [à faire la présentation aux étudiants], a produit un article dans le cadre de ses recherches qui s’intitule «Si la transition écologique avait lieu … Une prospective sociologique pour élargie la discussion sur la responsabilité des entreprises» (Revue de l’organisation responsable, vol. 10,(2), 75-87). Il est intéressant dans la perspective de mon livre, et mérite lecture; vous pouvez en obtenir une copie en le contactant à christoph.stamm@umontreal.ca

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Nos présuppositions de base doivent être questionnées

Dans mon dernier petit article, je soulignais l’absence d’analyse critique de la part des journalistes et même des spécialistes d’un élément fondemental dans la récente annonce par l’administration Trump de l’ouverture de grandes régions des côtes américaines à l’exploration pétrolière. Une analyse des coûts de l’exploration et des capacités des pétrolières d’investir les fonds nécessaires mérite d’être faite, devant des informations des dernières années indiquant que ces coûts sont excessifs en termes de la capacité des sociétés à consommer ce pétrole à un prix qui génère un profit aux investisseurs.

Absence d’analyse du modèle économique

De façon plus générale, il y a une absence généralisée de réorientation des critiques de projets de développement économique face à un constat tout aussi général à mon avis de l’échec de l’influence voulue de ces critiques sur les décideurs. Il est très rare que ces critiques soulignent un fondement de la prise de décision en démocracie, soit que les candidats à des postes décisionnels répondent aux attentes des citoyennes dans leurs propositions et leurs programmes; il y a aussi une absence de reconnaissance que ces attentes sont définies dans la grande majorité des cas par la conviction que leurs vies de «consommateurs» ne permettent pas les réorientations requises par les critiques, soit des réductions dramatiques dans leur «niveau de vie» qui est fonction du dépassement de l’empreinte écologique et d’une surconsommation de produits matériels au cœur des crises contemporaines.

Le sommet des plus hauts édifices de la ville chinoise de Wenling émerge du smog. Selon l’OCDE, la pollution atmosphérique «devrait devenir la principale cause environnementale de décès prématurés», surtout en Asie, où plusieurs villes dépassent les normes de l’Organisation mondiale de la santé.

Source: Agence France-Presse via Le DevoirLe sommet des plus hauts édifices de la ville chinoise de Wenling émerge du smog. – C’est rare que les véritables enjeux ressortent du smog des revendications environnementales et sociales.

Le 12 décembre, Stéphane Brousseau a introduit dans son réseau de contacts et d’échanges le rappel d’un document de l’OCDE de 2011 couvert par un reportage du Devoir. Il l’a fait sans commentaire autre que son jugement que c’était «toujours d’actualité»… J’ai esquissé une courte réponse :

J’ai lu l’article, de plus en plus rapidement au fur et à mesure que je reconnaissais les propos, mais sans avoir noté que tu nous fournissais un article de 2011. En effet, dans le temps, j’ai eu l’occasion de commenter cet article, en commençant avec le constat que l’OCDE prévoit des problèmes environnementaux qu’il faut éviter alors qu’elle présumait comme inéluctable une croissance économique qui aboutit en 2050 à une activité économique quatre fois celle d’aujourd’hui!

Je suggère que l’article est toujours d’actualité, non pas parce que nous nous montrons toujours incapables de «compenser les impacts liés à la croissance économique» (citation du rapport) – c’est certainement vrai quand même – , mais parce qu’il nous montre un leadership mondial toujours incapable de se défaire de l’illusion que cette croissance (et celle démographique aussi) vont continuer nécessairement, en dépit de l’extravagance du portrait, et du concept…

Personne à ma connaissance n’a répondu ni au message de Brousseau ni à ma réflexion là-dessus. Curieusement, par contre, un autre message de Brousseau (du 20 décembre) a généré une série de réactions. Il s’agissait d’un autre travail de l’OCDE – la même organisation que celle de 2011 qui fait ses évaluations en fonction d’une visée pour la croissance qui va la voir quadrupler d’ici 2050 – en prenant ses constats comme du cash. Il s’agissait d’une critique à l’effet que «le Canada [a été] pointé du doigt par l’OCDE pour son irresponsabilité climatique…» C’est une critique qui peut être adressée à l’ensemble des pays ayant signé l’Accord de Paris, pour qui l’objectif (raté) est de mettre en place des mesures pouvant mitiger les changements climatiques (lire: réduire les émissions de GES) alors que le développement économique se poursuit en générant ces mêmes émissions.

Le réseau semble plus motivé par des interventions à caractère environnemental dans l’actualité, et il est frappant de constater jusqu’à quel point celles-ci sont celles prônées par l’OCDE: ne pas freiner le développement mais le rendre plus vert. Il est plus que surprenant, après tant d’expériences, après tant d’années, de voir la société civile acheter l’approche des instances économiques, acceptant en même temps implicitement cette vision d’un monde en 2050 de sociétés dont l’activité économique sera quatre fois plus importante qu’aujourd’hui. Sauf que l’OCDE constate la catastrophe en 2050 suivant ces mêmes tendances. Est-ce que la société civile québécoise, dans ses interventions, pense vraiment  que nous allons pouvoir nous rendre à quatre fois plus de cette activité économique qui est, dans son fondement même, destructrice?

Les réponses à la deuxième intervention de Brousseau peuvent peut-être être résumées par une à l’effet que «les solutions technologiques ne peuvent être efficaces sans une nécessaire révolution sociale écologique! C’est sur cette question que les écolos doivent centrer leurs réflexions et engager un débat social radical». Une telle vision semblerait sortir du moule de l’OCDE, mais en fait, les implications d’une telle posture me paraissent peu reconnues, noyées dans une vision qui s’appellent l’économie verte. Mon livre cherche à mettre en évidence les faiblesses de cette vision. La réplique de Brousseau a du sens, et rejette explicitement le paradigme de l’OCDE: «les faits actuels tendent à démontrer, avec la tendance des stratégies comportementales qui se maintiennent, que le réel débat est de stopper l’économie mondiale et de revoir complément le fonctionnement en société de l’espèce humaine!».

Le problème inhérent dans les critiques

J’ai relu mon analyse du rapport de l’OCDE de 2011. Avec tout ce qui tournait autour de Rio+20 en 2012, non seulement sommes-nous venus à considérer la croissance et le progrès comme allant de soi, mais «si nous ne voulons pas voir s’interrompre la progression du niveau de vie que nous connaissons depuis cinquante ans», il faut maintenir la croissance, en la rendant (ou plutôt en l’appellant) «verte». Le rapport souligne ceci tout en constatant que ses projections pour 2050 sont catastrophiques, presque à l’instar des projections de Halte à la croissance [1] dans son scénario «business as usual».

Les constats ne sont pas sans contradictions :

Des stratégies sont nécessaires pour parvenir à une croissance plus verte. Si nous ne voulons pas voir s’interrompre la progression du niveau de vie que nous connaissons depuis cinquante ans, il nous faut trouver de nouveaux moyens de produire et de consommer. Et même redéfinir ce que nous entendons par le «progrès», et comment nous le mesurons.

Tout en insistant sur une redéfinition du notre conception du «progrès», le rapport est fondé sur la volonté de maintenir «le progrès que nous connaissons depuis cinquante ans». C’est la quadruture du cercle pour les auteurs: maintenir le progrès tout en redéfinissant le progrès. Et il est à noter que cet aspect fondamental du rapport est laissé à sa toute fin, présumément comme un défi à long terme et différent des autres.

Quatre politiques majeures sont nécessaires pour renverser ces tendances, selon l’OCDE. On y voit une série de propositions qui circulent depuis des lunes, et qui sont censées permettre à l’économie à se maintenir.

D’abord, rendre la pollution plus coûteuse que les solutions plus vertes, au moyen d’écotaxes ou d’échanges de permis d’émissions. Les gouvernements doivent aussi mettre un prix sur les biens et services produits à même le patrimoine naturel ou sur les «services écosystémiques», comme tarifer les grands usages de l’eau ou les ressources rares.

Les gouvernements doivent aussi supprimer les subventions préjudiciables à l’environnement, qu’il s’agisse d’irrigation ou de combustibles fossiles, et concevoir des réglementations et des normes efficaces pour enrayer le déclin de la biodiversité, comme les milieux humides, tout comme ils doivent assujettir leurs politiques économiques aux priorités de conservation des écosystèmes et des ressources vivantes. Ils doivent aussi encourager l’innovation verte dans la foulée du débat qui doit se faire à Rio, par exemple, en juin prochain, où on tentera de lancer une politique économique mondiale et verte.

Voilà la définition presque de l’économie verte, la poursuite des interventions du mouvement environnemental depuis des décennies en changeant de nom ce qui est en cause. L’OCDE ne reconnaît pas que le geste d’insérer dans l’activité économique des mesures qui tiennent compte de la pollution et des services écosystémiques, voire qui cherchent à maintenir la biodiversité de la planète, annulent cette activité avec des coûts qui dépassent les rendements (voir par exemple mon livre sur l’IPV). On peut citer un seul passage de mon texte de 2012 où on voit les capacités des économistes, toujours dernière de telles interventions, de manquer la cible en décrivant le virage nécessaire:

«Une action précoce est rationnelle, du point de vue environnemental et économique», insiste le rapport. Par exemple, un prix du carbone qui refléterait les dommages infligés au climat «pourrait réduire les émissions de GES de près de 70 % en 2050» par rapport au scénario du laisser-faire. La croissance économique serait ainsi réduite de 0,2 % par an en moyenne, soit environ 5,5 % du PIB mondial en 2050.

Vraiment?

Source http/www.af-info.or.jp/blog/b-info_en/img/BPL-Paris-Night-1000.jpg

Extrait de la déclaration de novembre 2017 des lauréats du prix Blue Planet   Source Asahi Glass Foundation

La mise à jour pour 2018: Un «virage» autre que celui de l’OCDE?

Cette relecture m’a amené à revoir la récente intervention des 15 000 scientifiques publié le 13 novembre dans la revue BioScience dans l’activité autour du One Planet Summit à Paris. J’étais curieux de voir s’ils intervenaient de la même façon que l’OCDE et la société civile en général. Couvert par un reportage du Devoir, le texte constate parmi une multitude de passages: «il faut réviser notre économie pour réduire les inégalités et veiller à ce que les prix, la fiscalité et les systèmes incitatifs tiennent compte des coûts réels que les modes de consommation imposent à notre environnement». C’est la répétition des revendications du mouvement environnemental depuis des décennies, y compris pour une économie verte. La manifeste termine avec la liste explicite (sans ordre ni priorisation) de que ce que ces scientifiques ont pensé nécessaire pour éviter la catastrophe. Vers la fin, on note deux recommandations qui comportent «(l) revising our economy to reduce wealth inequality and ensure that prices, taxation, and incentive systems take into account the real costs which consumption patterns impose on our environment; and (m) estimating a scientifically defensible, sustainable human population size for the long term while rallying nations and leaders to support that vital goal.»

Ces 15 000 scientifiques sont strictement dans le moule des innombrables autres au sein des interventions de la société civile (celles-ci fondées au fil des décennies justement sur les connaissances scientifiques) et ne font, finalement, que mettre en évidence ce qui a été mis en évidence sans cesse depuis longtemps. La seule mention de l’économie dans la liste ne représente qu’un vœu pieu, à la différence du nombre de signataires, et cela ne change strictement rien ni à l’analyse ni aux résultats.

Depuis la publication de mon livre en novembre, le pdg de la Fondation Suzuki du Canada a réussi à faire passer un texte dans Le Devoir qui (i) permet à des lecteurs au Québec de le connaître un peu (il est nouveau, je crois, et spécialiste en gestion de crises) et (ii) énonce ce qui semble être de nouvelles orientations pour l’organisme pan-canadien qui vont dans le sens de mon livre.

Faisant suite à la dernière analyse de l’année par Gérard Bérubé du 28 décembre dans le même journal, mettant l’accent sur l’échec de la COP21 et de l’Accord de Paris, Stephen Cornish annonce une année 2018 «de décisions». Le texte est rafraichissant, tellement cette intervention de la Fondation Suzuki à son siège social semble aller beaucoup plus loin que d’habitude.

Le texte de la Fondation met en question plusieurs mauvaises orientations qui marquent la faiblesse du positionnement des groupes. Dans une note que je lui ai adressée, je cite plusieurs de ces orientations:

  • «Il n’est plus acceptable d’affirmer que la transition prendra du temps. Nous n’en avons plus.»
  • «Il faut également cesser de prétendre que les transformations à venir se feront dans le confort et que la technologie à elle seule nous fournira une panacée. Nous ferons bientôt face à des chocs climatiques et à des contraintes écologiques qui non seulement limiteront notre développement économique futur, mais auront un impact sévère sur notre qualité de vie.»
  • «Dans ce contexte, notre modèle économique, érigé sur le gaspillage et la surconsommation, tire à sa fin, que nous le voulions ou non.»
  • «Devant cet état de fait, nous devons sortir de nos ornières et remettre en cause certains fondements de notre modèle de développement économique qui nous condamnent à l’inertie et à l’effondrement.»

Ces (nouvelles) orientations mettent en cause l’ensemble des interventions traditionnelles de la société civile: l’idée d’une transition y est omniprésente, permettant une acceptation de la lenteur des changements; une confiance dans le rôle des énergies renouvelables à remplacer l’énergie fossile qui fonde notre niveau de vie y est fondamentale, permettant de ne pas s’inquiéter; la remise en question de notre modèle économique y est absente (remplacée par l’idée de l’économie verte) – à moins que la restriction à «certains» de ses fondements représente l’abandon de ces nouvelles orientations qui iront clairement à l’encontre de ce que le public est prêt à entendre…

Le texte termine avec ce qui est quand même presque inquiétant, tellement il abonde dans une sorte d’optimisme capable de faire dévier tout le reste :

Vous mettez un accent à la fin, je lui dis, sur «l’extraordinaire solidarité humaine» et notre «capacité de nous réunir et de nous entraider». Je conviens qu’il faut garder une attitude positive, mais sans se permettre de baigner dans l’illusion. J’ai justement eu l’occasion cette semaine d’échanger avec un autre pdg d’un autre organisme de la société civile (celui-ci ayant reçu le prix international Planète Bleue). J’étais consterné par une intervention signée par plusieurs de ces récipiendaires du Prix qui baignaient justement dans le déni. Je me permets de terminer en citant mon message à cet autre pdg.

Et voilà, l’occasion pour souligner ce défi, en citant cette autre note.[2]

La COP21 passait proche d’être une tromperie, les Nations Unies ayant échoué, après d’intenses efforts sur plusieurs années, à obtenir des engagements des différents gouvernements de réductions des émissions de GES permettant de cibler avec confiance une hausse maximale de la température de 2°C. Les «contributions» volontaires derrière l’Accord de Paris, qui parle d’un objectif mais non de véritables engagements, nous met devant une hausse probable de 3°C. Je ne suis pas de l’avis des lauréats du Blue Planet à l’effet de le maintien de la hausse à 2°C est possible. Le texte de la déclaration [résumé dans la figure ci-haut], s’insère dans les nombreux cris d’alarme qui ne veulent pas affronter le défi et mettre en question le système économique qui est derrière les crises, et les échecs. Vous avez tout simplement ajouté vos voix à celles récentes des 15 000 scientifiques et aux centaines d’interventions similaires au fil des ans, maintenant la même approche alors que la situation s’aggrave et aucun changement n’est opéré.

Votre texte propose qu’il est possible technologiquement de remplacer notre énergie fossile avec des énergies renouvelables – ce qui n’est pas possible et qui – probablement pire – représente and soutient la volonté de maintenir notre niveau de surconsommation grossière identifié par l’empreinte écologique depuis deux décennies – et est désirable économiquement – quelque chose que la COP21 de Paris a montré une impossibilité sans la prise de mesures qui sont incompatibles avec le maintien de ce même système de surproduction et surconsommation (alors que des milliards de pauvres dans de nombreux pays ne participent pas à cette surconsommation).

Votre texte propose même le mythe que les possibilités humaines sont infinies et ainsi glisse tout simplement dans le déni.

Mon livre est un effort de (i) fournir les fondements  pour la reconnaissance que nous avons échoué et (ii) fournir quelques idées quand à des pistes vers une nouvelle société radicalement différente, société que les pays riches vont être obligés d’accepter, qu’ils le fassent volontairement ou qu’ils soient forcés de le faire.

Ils nous faut urgemment de nouvelles interventions qui admettent l’échec et endossent la rejet du maintien de notre système économique… Cela n’est pas très populaire… Mes cibles depuis des années maintenant sont celles dans l’arène économique, presque désespérément prise par l’idéologie de la croissance. My prochain article sur le blogue va partir d’une intervention de l’OCDE en 2011 qu’un ami a circulé récemment. Celle-ci lance le cri d’alarme pour une énième fois, constate que nous devons faire plus pour mitiger les impacts de la croissance économique et accepte les projections des économistes à l’effet que nous allons quadrupler notre activité économique d’ici 2050 tout en réduisant nos émissions à zéro…

[1] Voir aussi http://gaiapresse.ca/analyses/le-paradigme-economique-et-ses-defis-une-reductio-ad- absurdum-pour-rio20-280.html, « Le paradigme économique et ses défis : Une reductio ad absurdum pour Rio+20 » et «en finir avec l’illusion de la croissance» http://www.harveymead.org/ecrits-2/etat-du-quebec-2011/

[2] The COP21 came close to being a hoax, with the United Nations having failed, after rather intense efforts over several years, to obtain the agreements from the world’s governments that would be necessary to keep the rise in temperature under 2°C. The agreements obtained, behind the Paris Agreement which talks about an objective but not a commitment, have us heading towards 3°C. Contrary to the claim made by the Blue Planet laureates, I argue that the 2°C is not achievable. Your text in the box below, from the original mailing, fits into the large number of cries of alarm that are afraid to take on the challenge of challenging the economic system which is behind the problems, and the failures. You’re simply adding your voices to those of the 15 000 scientists recently and the hundreds of other similar interventions over the years, continuing with the same approach as things get worse and no change is achieved.

Your text even proposes that it’s technologically feasible to replace our fossil fuels with renewables – something that is not possible and which – probably worse – represents and endorses the desire to maintain our present state of gross overconsumption which the footprint has been identifying for two decades now – and economically desirable – something that the Paris COP21 showed us is an impossibility without taking measures which are incompatible with the maintenance of that system of overproduction and overconsumption (even as billions of people remain poor in numerous countries not able to participate in that gross overconsumption).

Your text even endorses the myth that human possibilities are infinite and thereby simply slips into denial.

My book is an attempt to (i) provide the foundations for the recognition that we’ve blown it and (ii) provide some ideas as to the radically new society which rich countries are going have to convert to, whether they do it on purpose or have it forced on them.

We’re in radical need of new interventions that admit failure and endorse a rejection of the maintenance of our economic system… That’s not popular… My targets have been for years now those in the economic arena, almost hopelessly caught up in the growth ideology. My next post for the blog is going to pick up on an intervention of the OECD in 2011 that a friend has recently circulated and which launches the alarm for the umpteenth time, notes that we have to do more in dealing with the impacts of our economic growth, but assumes the projections of the economists that we’ll quadruple our economic activity by 2050 while reducing our emissions to zero…

 

 

 

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Ouverture de trois océans à l’exploration pétrolière, vraiment?

Je ne puis résister cette brève intervention.
Voilà un reportage dans Le Devoir sur l’annonce de Trump d’ouvrir les zones pour l’exploration (et l’exploitation) pétrolière qui, avec le sous-titre et le texte, met l’accent traditionnel sur l’aval de ces opérations. Aucune indication que la plateforme de Shell dans la photo est probablement celle qui a été enlevée alors que Shell se retirait de la zone parce que l’opération ne s’avérait pas rentable.
À cela on peut ajouter le retrait des « majors » de la zone des sables bitumineux, pour la même raison. Pour des raisons différentes, la volonté de Trump de rouvrir les mines de charbon aux États-Unis risquent de se buter au même phénomène: cette exploitation n’est plus rentable face au gaz de schiste bon marché qui va durer encore quelque temps, mais seulement quelque temps.
Il est temps que nos interventions – celles des journalistes, des militants, des scientifiques – ciblent mieux l’enjeu économique associé au fait que nous sommes devant une énergie fossile non conventionnelle et très coûteuse à exploiter pour notre ressource à l’avenir. Cet avenir va être très différent de ce que nous souhaitons voir.

Trump veut ouvrir trois océans à l’exploration pétrolière

Le plan américain est aussitôt dénoncé par des scientifiques, des environnementalistes et même au moins un gouverneur républicain.

5 janvier 2018, Alexandre Shields

Photo datant de 2013 qui montre une plateforme pétrolière de Shell dans la baie Kiliuda, en Alaska.
Photo: James Brooks Associated Press Photo datant de 2013 qui montre une plateforme pétrolière de Shell dans la baie Kiliuda, en Alaska.

Le gouvernement Trump a dévoilé jeudi un vaste plan visant à permettre les forages pétroliers et gaziers dans la quasi-totalité des eaux côtières américaines. Les océans Atlantique, Pacifique et Arctique sont visés par le projet, conçu pour favoriser l’exploitation en mer pendant plusieurs années, malgré les risques environnementaux.

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L’effondrement social, menace de complément à l’effondrement économique

NOTE: Je viens de mettre à la page d’accueil une nouvelle section

où vous pourrez sous peu faire part de vos commentaires

sur le livre Trop Tard.  Voir à droite.

Les illusions, selon…

Lors de la rédaction de Trop Tard, j’étais amené par deux ou trois raisonnements différents à l’élimination de l’auto privée comme seule «solution» aux problèmes qu’elle nous occasionne, cela presque sans tenir compte de la nécessité de cela pour réduire nos émissions de GES, mais en tenant compte des exigences de l’effondrement que je crois à nos portes.

Les débats pendant les élections municipales à Québec cet automne étaient fascinants dans leur accent sur un troisième lien, mettant en évidence l’engouement pour l’auto qui domine la radio poubelle de la Capitale. Il importait peu qu’une telle infrastructure ne réglera pas les problèmes de congestion et d’aménagement, dont l’origine est cette volonté d’investir temps, argent et cœur dans le luxe que représente l’automobile privée. Le monorail de l’IRÉC ne faisait pas partie des débats à Montréal, où la ligne rose et des autobus prenaient la place, mais Robert Laplante, directeur de l’IRÉC, a néanmoins réussi à passer à travers les filtres du Devoir pour faire paraître un article sur le sujet le 6 décembre dernier sur le sujet. Comme le troisième lien, le monorail qui serait placé entre les voies des autoroutes de la province représente une non solution à un probléme mal défini.

http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/516077/happy-noel-mon-vieux

Source Josée Blanchette, Le Devoir, le 22 décembre 2017

Même s’il n’est presque pas nécessaire de faire la promotion de la proposition à l’effet qu’il faut abandonner l’automobile privée, tellement elle ira de soi dans un avenir rapproché, je pense qu’il est essentiel que la société civile réoriente ses interventions dans le but de préparer le public pour le déclin et, ce faisant, qu’elle fasse des propositions pour un véritable transport public ni hi-tech ni exemplar de développement industriel qui seraient à encourager pour simplement aider à la «transition» qu’il faut envisager, qui s’imposera.

Plus j’y pense, plus je trouve que cette vision d’un avenir rapproché n’est pas autant l’illusion qu’elle me semblait il n’y a pas si longtemps. L’extravagance du raisonnement de l’IRÉC et le manque total de ciblage des promoteurs d’un troisième lien me paraissent bien plus coupés de la réalité, celle définie par les grandes tendances de fond dans le monde actuel.

Les inégalités, à mettre dans le portrait

Trop tard met l’accent sur l’effondrement prochain du système économique qui définit notre développement depuis des décennies, et ne fait référence qu’en passant à l’importance des inégalités croissantes qui définissent nos sociétés mêmes, cela aussi depuis des décennies. Je n’ai pas essayé d’aborder les énormes enjeux auxquels sera confrontés l’ensemble des sociétés de la planète à cet égard, mais dans une note du manuscrit préliminaire, j’ai souligné l’importance de ces enjeux, de ces défis :

Tropic of Chaos: Climate Change and the New Geography of Violence de Christian Parenti (Nation Books, 2011) présente une vision d’ensemble de ce qu’il appelle la «convergence catastrophique», où un nombre important de pays présentent les conditions de pauvreté et de violence pour rendre la venue des changements climatiques une situation source de grandes déstabilisations sociales. The Security Demographic: Population and Civil Conflict After the Cold War, de Richard P. Cincotta. Robert Engelman and Danièle Anastasion (Population Action International, 2003) fournit des perspectives complémentaires, les 14 ans depuis sa publication n’ayant rien changé quant aux analyses.

Dans une autre note préliminaire pour le chapitre 3, j’ai poursuivi la référence à ce qui pourrait s’avérer très important pour le portrait de l’avenir (ce l’est déjà…):

La question des inégalités, à l’échelle internationale autant qu’à l’échelle du Québec, représente une sorte de toile de fond pour toute notre narration, et un facteur déstabilisant majeur dans le monde contemporain cherchant de nouvelles formes de société.

Dans The Spirit Level: Why More Equal Societies Almost Always Do Better (Allen Lane, 2009), Richard Wilkinson et Kate Pickett présentent une synthèse d’un grand nombre d’études en psychologie, en sociologie et en économie pour montrer que plusieurs perturbations dans nos sociétés sont fonction d’inégalités, plutôt que le contraire.

Inégalités WID 2018

Source: Rapport sur les inégalités mondiales 2018, Alvaredo, Chancel, Piketty, Saez, Zucman (pour plus de clarté pour ces figures, consulter le document d’origine dont le lien est fourni dans le texte – http://wir2018.wid.world/files/download/wir2018-summary-french.pdf)

Parmi les perturbations, celles associées à: la vie en communauté; la santé mentale; la santé et l’espérance de vie; l’obésité; la performance en études; les naissances chez les adolescentes; la violence; le recours à l’emprisonnement; la mobilité sociale. On y constate que les États-Unis se distinguent tout au long de la présentation comme manifestant les pires résultats dans tous les domaines, cela à partir des plus grandes inégalités de tous les pays de l’OCDE. On peut penser que Trump a eu l’intuition de cette situation dans ses démarches pour la présidence, aussi fourvoyées soient-elles ses démarches prévisibles comme président.

Éric Desrosiers a consacré son analyse du 15 décembre dans Le Devoir à un tout récent rapport portant sur les inégalités dans le monde, fondé sur le World Wealth and Income Database (WID). Il limite son reportage sur les chiffres du Rapport sur les inégalités mondiales 2018, présumant, doit-on soupçonner, de leurs conséquences à la Pickett et Wilkinson.

WID 2018 E#

Il y a peut-être un peu d’espoir du côté de l’Europe, si elle peut être épargnée des migrations massives qui rendront celle du passé récent faibles par comparaison. Source: Rapport sur les inégalités mondiales 2018

La romance avec l’auto, la pointe de l’iceberg

La moindre réflexion sur ces questions aboutit assez rapidement à un constat de fond: l’auto privée ne rentrera jamais dans la vie des milliards de pauvres de la planète – même les économistes les plus fermés ne pourraient que constater cela, tellement le changement comporterait une augmentation de la consommation de matières premières et d’énergie à des niveaux stratosphériques. L’inégalité ainsi reconnue aboutit rapidement au constat d’une nouvelle situation: la cible de notre réflexion est plutôt mal orientée lorsque nous soulevons des questions concernant notre romance avec l’auto. C’est notre romance avec la richesse matérielle  dans les pays riches qui doit constituer notre principale cible.

Il faut situer les débats sur l’auto dans leur contexte global, ce que l’on ne fait presque jamais. J’y reviens assez souvent: l’empreinte écologique actuelle de l’humanité, avec des milliards de pauvres dans le monde, dépasse la capacité de support de la planète. L’application du budget carbone du GIÉC, auquel je reviens assez souvent aussi, est calculée en fonction d’une distribution égalitaire du droit d’émettre des GES, allant carrément à l’encontre de la situation actuelle en termes de distribution du fardeau.

Personne ne pense vraiment que les pays riches vont réduire leur empreinte écologique ou leur empreinte carbone, même s’il y a beaucoup de discours en ce sens. Effectuer de telles réductions comporterait finalement l’abandon de notre modèle de vie (voir l’insistance sur cela par George H.W. Bush à Rio en 1992…), cela fondé sur notre modèle économique. Et au cœur d’un tel abandon se trouverait l’abandon de l’automobile privée, symbole et manifestation dans la réalité de notre surconsommation et de notre contribution au réchauffement planétaire. Là aussi, j’en parle assez souvent, citant entre autres la place des compagnies d’énergie et d’automobile dans la liste d’entreprises de la Fortune 500.

L’effondrement social

Les deux citations plus haut, de Parenti et de Wilkinson et Pickett, décrivent une situation hautement problématique. Cela inquiète grandement les organisateurs du World Economic Forum de Davos, qui publie une étude des risques chaque année. Celle de 2017 est éloquente, montrant que les inégalités de revenu et la polarisation croissante des sociétés y figurent au même niveau que le changement climatique comme tendances lourdes, et l’impact préoccupant le plus important signalé est l’instabilité sociale profonde dans le monde.

Global Risks 2017 Fig 1 https://www.weforum.org/reports/the-global-risks-report-2017

Source: Global Risks Report 2017, World Economic  Forum

Ma propre recherche m’amène à conclure – c’est le cœur de mon récent livre – que le système économique responsable, finalement, des changements climatiques et d’un ensemble d’autres crises environnementales et sociales, va s’effondrer de lui-même à plutôt brève échéance, fonction de son incapacité de se transformer.

Ce que les citations ci-haut et le portrait fourni par le Forum économique mondial de Davos ajoutent au portrait est l’identification d’une autre source d’effondrement, celui d’un ensemble de pays dont les institutions qui les soutiennent se déstabilisent progressivement, mais assez rapidement. Il s’agira surtout des pays pauvres, mais des pays riches comme les États-Unis risquent de se trouver du nombre alors qu’il risque d’être question de migrations massives de personnes quittant les pays en voie de perdre leurs fondements sociétaux – et ces personnes ne se rendront pas chez nous en auto…

Aurélie Lanctôt le 29 décembre et Josée Blanchette le 23 décembre ne s’aventurent pas explicitement sur les implications des inégalités pour les sociétés, mais on sent la présence d’un nouveau portrait frôlant l’effondrement dans leurs textes. Blanchette écrivait alors qu’elle accompagnait son mari économiste qui participait à une conférence à Paris à laquelle était associé Thomas Piketty, un des principaux auteurs du rapport sur lequel Desrosiers faisait porter sa chronique et du World Wealth and Income Database dont il est tiré (je ne vois aucun économiste québécois associé à l’équipe derrière cette initiative).

Gérard Bérubé, journaliste couvrant les dossiers économiques, constate le refus et le déni face à la situation depuis au moins deux ans dans une série de chroniques dans Le Devoir. La plus récente fait l’enterrement de l’Accord de Paris, cela en tenant compte des enjeux économiques. Son intervention allait de pair avec celle du Groupe de réflexion sur le développement internationale et la coopération du même jour.

L’arrivée et la disparition de la croissance américaine

Robert Gordon, économiste et professeur à l’University Northwestern aux États-Unis, a récemment consacré quant à lui un livre costaud sur cette question, en utilisant les mêmes types de données que celles utilisées par le rapport couvert par Desrosiers mais se restreignant à celles pour les États-Unis, pays où les inégalités sont parmi les plus importantes au monde en dépit de son statut comme le pays ayant la plus grande activité économique de tous les pays (voir la figure plus haut).

À cet égard, il importe de souligner que les inégalités ne sont pas la même chose que les niveaux de revenu; elles peuvent exister entre des gens plus ou moins bien dans le grand portrait des choses, comme aux États-Unis, et entre des gens très pauvres et des riches, comme c’est le cas en Inde et de nombreux autres pays pauvres. Desrosiers termine son analyse avec un aperçu de cette situation:

Les inégalités de richesse n’augmenteraient toutefois pas partout aux États-Unis, disaient les chercheurs. Elles se seraient notamment réduites au sein des ménages les plus pauvres. En 2007, les Blancs les plus pauvres disposaient de cinq fois plus d’actifs nets (42 700 $) que les ménages hispaniques (8400 $) et de dix fois plus de richesse que les Noirs (4300 $). Aujourd’hui, ces écarts ont fondu de moitié. Malheureusement pas parce que les ménages appartenant aux minorités visibles ont tellement amélioré leur sort, mais parce que durant la crise les Blancs ont vu leurs avoirs fondre de moitié et que rien n’a véritablement changé depuis.

Le livre de Gordon, The Rise and Fall of American Growth: The U.S. Standard of Living Since the Civil War (2016) aborde les enjeux d’une perspective qui souligne des tendances lourdes dans l’accroissement des inégalités au fil des décennies, finalement sur plus d’un siècle. Gordon n’aborde pas la question de la croissance dans le cadre que je mets en question depuis longtemps, celui où le bien-être des populations dépend de la croissance de l’activité économique ne tenant pas compte de nombre de ses impacts. Il corrige le PIB pour ces défaillances nombreuses comme outil pour bien cerner le bien-être, y compris la question des externalités corrigées par l’IPV, en suivant sa réflexion sur le bien-être, sans approche théorique à la question.

Son analyse montre que les inégalités révèlent une situation où le bien-être – le «niveau de vie» – connu pendant les Trentes Glorieuses est en déclin inéluctable aux États-Unis. Il termine le livre avec une série de recommandations (salaire minimum adéquat, impôt sur les riches, financement adéquat de l’éducation à tous les niveaux, prise en main des conditions aboutissant à un niveau très important d’emprisonnement, correction des iniquités fiscales…) qui pourraient contrer les tendances, mais ne suggère d’aucune façon qu’elles seront adoptées; elles vont à l’encontre de tout le positionnement des Blancs et des Républicains américains, qui passe proche de dominer l’agenda politique dans ce pays.

Indirectement, ses constats suggèrent un effondrement du système, fournissant une perspective plutôt complémentaire à celle fournie par le modèle de Halte à la croissance: le modèle qui incarne le rêve américain dans les interventions du gouvernement, voire de la société, aboutit à la destructuration des fondements économiques de cette même société.

Je ne connais pas de modèle qui cherche à projeter ces perturbations sociales dans l’avenir, et il n’y a pas de date cible qui circule comme celle de Halte. Le Rapport sur les inégalités 2018, comme le rapport de Davos, projettent quand même les tendances, peu reluisantes. Reste que l’effondrement social, avec ses propres composantes décrites entre autres par Wilkinson et Pickett, ira en s’accentuant avec l’arrivée des problèmes du modèle économique, alors que ce modèle est au coeur même des problèmes que vivent les sociétés pauvres.

Inégalités WID 2018 E11

Source: Rapport sur les inégalités mondiales 2018

Le rapport WID de 2018 note que «si l’aggravation des inégalités ne fait pas l’objet d’un suivi et de remèdes efficaces, elle pourrait conduire à toutes sortes de catastrophes politiques, économiques et sociales.» Cela ressemble drôlement aux cris d’alarme lancés par le milieu environnemental depuis des décennies…

Le livre de Gordon était écrit avant l’élection de Donald Trump, mais fournit un ensemble de données et d’analyses qui permettent de comprendre la vigueur de sa base contre toute prise en considération d’autres critères que leur propre survie dans le rêve américain. C’est une situation qui est assez bien décrite aussi par Hillbilly Elegy: A Memoir of a Family and Culture in Crisis (2016), de J.D. Vance, également écrit avant l’élection de Trump, également fournissant des perspectives sur le désarroi de la population Blanche des États, celle qui a connu le déclin, relatif et en termes absolus, décrit par Desrosiers dans son dernier paragraphe.

 

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