Quelques éléments du portrait de la nouvelle société qui se dessine

Je pensais bien que j’allais pouvoir enfin faire une différence. Mon premier objectif en devenant Commissaire au développement durable  en 2007 était d’entreprendre des démarches (contacts en Alberta, en Nouvelle Écosse et en Californie) pour m’assurer que j’allais pouvoir calculer l’empreinte écologique du Québec et que j’aurais les ressources nécessaires pour le faire. Finalement, cela a pris neuf mois de travail de deux personnes, une comptable et un économiste spécialement recruté.

IPC page couv

Le travail par le bureau du Vérificateur général en faisant des vérifications avec l’IPV comme guide aurait eu des effets, alors que le calcul de l’IPV par un individu, sans pouvoirs de vérification, ne semble avoir rien donné…

Pendant ce travail, nous avons découvert que l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) ne possédait pas des données pour les secteurs des ressources, clé pour les travaux sur l’empreinte, ni pour les externalités, soit les impacts environnementaux et sociaux de nos activités «économiques» qui seraient clé pour le travail sur l’Indice de progrès véritable (IPV)[1]. Suivant le modèle, ces activités économiques étaient considérées prioritaires, et l’ISQ avait les données pour le calcul du Produit intérieur brut (PIB), l’indicateur fétiche de ces activités. Une partie du travail sur l’empreinte comportait la réduction des 2500 catégories d’activités du PIB suivies par l’ISQ aux 1200 catégories utilisées dans la méthodologie pour le calcul de l’empreinte. Une autre partie consistait en la recherche et la cueillette des données sur nos ressources naturelles, dans les ministères sectoriels comme Ressources naturelles, Agriculture et Environnement.

Le résultat, jugé suffisamment robuste pour devenir officiel, était à l’effet que le Québec, dans l’ensemble de ses activités sociales et économiques, dépasse par trois fois la capacité de support de la planète en reconnaissant une distribution équitable de cette capacité parmi les quelque 7,5 milliards d’êtres humains.

C’était le coup d’envoi pour me lancer dans le travail sur mon deuxième objectif, prioritaire. Je voulais calculer un IPV pour le Québec, suivant une méthodologie assez robuste mais peu reconnue et comportant le calcul – et implicitement les approches pour faire le calcul – de l’ensemble des externalités associées à l’ensemble des activités jugées «économiques». Je me proposais par la suite d’utiliser les informations recueillies et les approches développées, et l’IPV lui-même, pour réorienter le travail de vérification qui incombe au Commissaire ainsi qu’au Vérificateur général du Québec (VGQ) lui-même.

Dans le temps – et toujours aujourd’hui – l’ensemble des vérifications suivent une approche qui reconnaît implicitement le modèle économique omniprésent comme l’indicateur de base pour évaluer l’état du développement de la société, soit le mandat de base du VGQ. L’empreinte écologique nous dit déjà que cet état de développement est grossièrement sous-estimé quant à ses impacts et ne représente d’aucune façon un développement qui peut être considéré «durable» selon la compréhension de la Commission Brundtland (CMED) acquise durant les années 1980.

L’IPV comme constat d’échec du développement

J’avais donc identifié l’IPV comme le guide pour le travail de (i) nous faire comprendre que notre développement n’est pas durable et (ii) nous fournir des pistes pour concevoir des changements assez radicaux dans le but de réorienter le développement au sein du gouvernement et, finalement, de la société. Cela commence par une bonne compréhension des défauts du développement actuel en fonction d’un examen des défauts du PIB comme façon de le suivre.

IPV env1

Le coût des impacts des activités économiques par secteur, en montrant l’importance très importante des impacts des émissions de GES en termes des changements climatiques.

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Le coût des impacts des activités économiques dans les différents secteurs, en enlevant le coût des changements climatiques. La ligne pour l’activité minière, par exemple, tient compte de la non reconnaissance de la part des responsables de la perte de capital en cause.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Les externalités des activités économiques de la société dans les secteurs de caractère incidence sociale. Contrairement à la situation en matière environnementale, où il n’y a pas de bénéfices positifs, le travail non rémunéré représente une composante démesurée de la situation sociale et elle est positive.

 

Les données n’existent pas pour évaluer les externalités avec la précision possible pour le PIB dont les données, et les méthodologies pour les chercher et les organiser, sont recueillies  et développées depuis des décennies. On peut donc reconnaître que le calcul de l’IPV manque d’une certaine précision, selon les secteurs et la qualité des données disponibles. Il reste qu’un PIB qui surestime la valeur du développement de 75% (notre résultat) et d’autres calculs plus précis arrivant peut-être à des situations où il surestimerait de 60% ou de 80% ne change pas le constat de base, que l’exclusion des externalités dans le modèle économique actuel est désastreux et contribue à l’ensemble des crises en cours qui peuvent être justement associées à des mauvais calculs dans les décisions de poursuivre différents projets de développement, et finalement, dans l’évaluation du développement lui-même.

L’IPV aboutit à ce constat d’un coût des externalités à la hauteur de 75% de ce qui est proposé comme progrès économique et social. Nos activités en foresterie, en agriculture et en extraction minière constituent une somme nulle pour la société en termes de bénéfices – des emplois – et cela au dépens de la dégradation majeure des forêts, des sols et des cours d’eau et une perte sèche de capital naturel. Quant aux activités industrielles associées à la manufacture, les coûts associés aux impacts de leurs émissions de GES sont tels que cet ensemble d’activités jugées économiques serait voué à des restructurations radicales si la comptabilité se faisait de façon plus réaliste et raisonnable.

Que faire? Comment en prendre compte?

Il n’en est jamais (ou presque) question dans les interventions cherchant à pousser les décideurs à poser les gestes nécessaires, comme, je crains, lors de la manifestation mondiale organisée pour le 27 septembre [2]. Justement, l’ensemble des acteurs de la société ne semblent avoir aucune idée de l’importance des mesures requises, selon l’échéancier qui s’impose, pour ramener notre développement à une taille soutenable, et cela pour l’ensemble de l’humanité. Je mentionne régulièrement le calcul de Normand Mousseau en 2011, alors qu’il était co-président de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec: pour essayer de respecter la cible du gouvernement Marois d’une réduction de 25% dans les émissions de GES pour 2020, il aurait fallu envisager entre autres le retrait des routes de la moitié de notre flotte d’automobiles. Les interventions récentes du GIÉC double la taille du défi, suite à l’adoption de l’Accord de Paris en décembre 2015, maintenant ciblant 2030.

Gérer les émissions comporte un changement de société

Gérer les émissions comporte un changement de société, situation qui n’est jamais (ou presque) reconnue. Les débats de société changeraient dramatiquement si les véritables enjeux étaient reconnus.

Probablement la principale intervention de la société civile face à cette situation est de cibler le développement des énergies renouvelables pour remplacer les énergies fossiles dont notre utilisation est derrière les impressionnants coûts associés aux changements climatiques. Après des décennies de développement, ces énergies renouvelables ne représentent toujours pas plus que 5% de l’énergie utilisée dans le monde, cette utilisation continuant à croître dans une sorte d’inconscience totale.

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En pourcentage de l’énergie produite, les énergies renouvelables occupent toujours une toute petite place dans l’ensemble. Elles ont servi surtout à fournir une partie de l’excédent requis dans la croissance importante de la production au fil des ans. Source Philippe Gauthier

Les actions requises pour ramener notre développement à un niveau acceptable (sur les plans humain et environnemental) sont tellement importantes que, soit les intervenants se montrent incapables de les concevoir, soit qu’ils décident de ne pas en parler parce que les décisions politiques et sociales qui seraient en cause seraient tout simplement inimaginables [3]. Tous les agissements couverts par les médias se font dans un vide presque complet, et semblent représenter finalement une sorte de déni face à l’effondrement qui se prépare.

Dans Trop Tard, je propose en Annexe un communiqué de presse/déclaration d’échec imaginaire qui s’attache directement à ce manque d’identification des actions nécessaires, signé de façon imaginaire par les organismes de la société civile qui ne font pas leur travail actuellement, restant dans le flou. L’effort, qui se voulait l’esquisse d’«un programme pour une nouvelle ère», s’est montré imaginaire aussi, avec absolument aucun retour de la part des groupes.

L’IPV comme guide pour un autre développement respectueux des limites de la planète

Ce qui est fascinant est que l’IPV nous fournit, par sa méthodologie et les résultats des calculs, des pistes pour mieux comprendre le sérieux de notre «prédicament» (Halte à la croissance a été publié dans le cadre du projet du Club de Rome portant sur le «prédicament» de l’humanité). La « valeur » de notre développement tel que conçu par l’IPV s’estime à environ la moitié de celle suggérée par le PIB. Important, voire dramatique dans ses implications pour la nouvelle société qu’il nous faudra chercher, la moitié de la valeur de l’IPV est fournie par ce que Statistique Canada identifie et suit à la trace comme le travail non rémunéré.

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Le travail non rémunéré, suivi dans le détail par Statistique Canada, représente l’équivalent, en contribution au progrès de la société, aux coûts environnementaux associés aux activités économiques dont la contribution au progrès de la société est presque illusoire dans une perspective de long terme. Elle représente, finalement, la moitié du progrès tel qu’identifié par l’IPV.

Statistique Canada est tout aussi clair quant à la provenance de cette contribution à notre développement: elle provient en bonne partie du travail des femmes à la maison et dans le soin des enfants, cela, disons-nous, au détriment d’une autre activité, économique et «réelle».

Nous voilà donc avec le début d’une vision de notre défi face aux changements structurels qui s’imposent, qui vont s’imposer que nous agissions ou non. La moitié de notre développement à l’avenir pourrait bien devoir provenir du bénévolat. Lorsque nous pensons à l’importance des grands secteurs de la santé et de l’éducation, par exemple, dont le financement (obtenu dans la société actuelle en recourant assez souvent à des dettes qui ne seront vraisemblablement jamais remboursées) ne sera pas disponible pour un gouvernement dans une société «sobre» n’ayant pas de sources de revenus comme c’est imaginé aujourd’hui. À l’époque, avant la Révolution tranquille, ces secteurs étaient gérés et comblés en main-d’œuvre par des religeuses et religeux bénévoles, et il est difficile d’imaginer comment nous pourrons les maintenir à l’avenir autrement, surtout pour ce qui a trait à l’enseignement supérieur et aux soins de santé dépendants de technologies sophistiquées et dispendieuses.

Pour le premier, il s’agit presque explicitement d’activités visant à fournir des connaissances et des expertises aux acteurs économiques plutôt que d’efforts favorisant le développement de l’esprit humain dans une vision générale et globale. J’ai passé toute ma vie professionnelle comme enseignant/professeur dans cet effort de former des esprits et non d’éventuels travailleurs sur le plan technique. C’était clé par ailleurs dans la vision qui a mené à la création des cégeps et l’importance qui y est accordée aux cours communs, l’enseignement général. Cet enseignement ne nécessite pas de laboratoires dispendieux ni de recherches coûteuses, et irait de pair avec la reconnaissance obligatoire à l’avenir de notre place dans l’univers, de notre place sur cette planète que nous avons trop longtemps considérée comme seulement une source de ressources et non comme notre milieu de vie finalement plutôt fragile.

Pour le deuxième, il s’agit d’une atteinte à la qualité de vie et à l’espérance de vie de toute la population à l’avenir, alors que, actuellement, nous commençons à reconnaître la taille du défi avec la reconnaissance que le résultat de notre croissance démographique excessive dans le passé aboutit aujourd’hui à ce que l’on appelle le vieillissement de la population et une augmentation prévisible des coûts des soins de santé dans le système. C’est à noter, mais ne fait pas partie de la réflexion courante, qu’à moins d’avoir pu continuer à augmenter la population sans limites, un tel vieillissement en était un aboutissement inévitable.

Devant l’effondrement

Cela fait un bout de temps que les articles de ce blogue, et les contributions des commentateurs, ont souligné la difficulté de bien cerner ce qu’il faut faire face aux constats d’un effondrement imminent de notre système de production industrielle. Je l’associe à une sorte de paralysie. Une bonne partie de la réflexion, au sein du public en général et dans les médias, cible les gestes pour essayer d’enrayer l’avancement des changements climatiques, cela en fonction de réductions massives (pas toujours quantifiées) dans nos émissions de GES, dans un effort de maintenir le système mal foutu qui est en place.  C’est presque par indirection que la taille excessive de notre empreinte écologique, reflétée par le constat d’échec du recours au PIB comme guide, entre dans la réflexion.

Finalement, même cet ensemble de paramètres des crises qui sévissent n’aboutit pas à l’effondrement tel que projeté par Halte à la croissance et tel que confirmé par des mises à jours des projections avec les données réelles et – plus récemment – par la reconnaissance même par les acteurs du secteur de l’énergie que le pétrole conventionnel commence un déclin qui est perçu, par ces acteurs, comme un nouveau stress à gérer plutôt que le début de la fin (voir les graphiques tirés du  rapport de HSBC qui figurent dans mes deux derniers articles)…

 

Lectures recommandées:

Le rapport de la banque HSBC de 2017: Global Oil Production: Will Mature Field Declines Drive the Next Supply Crunch?

La mise à jour en août 2018 des réflexions de Jeremy Grantham: « The Race of Our Lives Revisited »

Philippe Gauthier: «La transition énergétique comme justification de la décroissance»

 

[1] Voir pour les détails Harvey L. Mead, avec la collaboration de Thomas Marin, L’indice de progrès véritable : Quand l’économie dépasse l’écologie (MultiMondes, 2011)

[2] La couverture des manifestations prévues oublie complètement l’organisation, par le même organisme 350.org, de manifestations similaires à New York le 21 septembre 2014, juste avant un (autre) sommet sur les changements climatiques convoqué par le secrétaire général à ce moment-là Ban Ki-Moon. La cible précise de ces manifestations était le projet de pipeline Keystone XL, abandonné par la suite par le promoteur pour des raisons économiques. La cible plus globale était la COP21 prévue pour Paris en décembre 2015, où des années d’efforts (et de manifestations) ont abouti à un échec, les engagements volontaires des pays signataires de l’Accord de Paris permettant d’espérer une hausse de températeure de la planète d’environ 3°C, la catastrophe.

[3] Voir par exemple l’intervention de certaines parlementaires américaines avec le Green New Deal, auquel Naomi Klein fait référence lors d’une entrevue à CBC le 17 septembre. Klein se trouve à mi-chemin dans sa décennie zéro, échéancier marquant son livre Tout peut changer de 2014.

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L’effondrement plutôt que la décroissance

MISE À JOUR LE 1ER FÉVRIER 2020

La conférence se retrouve maintenant sur Youtube à  https://youtu.be/PAzH-T_ze5U

 

La fin de semaine du 7-8 septembre à Montréal était consacrée à un colloque constituant une sorte de suivi du Festival de la décroissance conviviale, cela avec plus d’une centaine de participants. Il s’agissait de faire un pas plus loin, en ciblant, avec le titre et le programme, «L’effondrement: Fin d’un monde, construire un nouveau», la vision d’une décroissance qui ne se fera pas de façon planifiée et structurée. La première journée cherchait à comprendre les composantes de l’effondrement qui semble inéluctable, et la deuxième à imaginer le nouveau monde qui viendra.

En dépit des apparences

J’étais conférencier pour lancer la réflexion pour la première journée et j’insistais sur la pertinence du travail des informaticiens de Halte à la croissance qui projettaient – je propose avec raison – que l’effondrement ne viendra pas des crises qui semblent les plus apparentes, dont les changements climatiques et la pauvreté, font l’objet d’une couverture constante des médias, mais d’un déclin dans l’approvisionnement en pétrole de notre énorme et complexe système de production industrielle pendant la prochaine décennie.

Nouveauté dans ma présentation, reprenant le cœur de la première partie de mon livre Trop Tard, est la contribution d’une analyse approfondie par la banque HSBC (autrefois Hong Kong Shanghai Bank of Commerce) datant de 2017 et qui met à jour, avec les mêmes résultats, les projections de 2012 de l‘Agence internationale de l’énergie que j’utilise dans le livre: les gisements de pétrole conventionnel actuellement exploités vont diminuer de peut-être la moitié d’ici 2030 (Figure 1).

HSBC 1

Figure 1, une variante de la figure dans mon dernier article. HSBC a fait en 2017 une analyse en profondeur de l’ensemble de la production mondiale de pétrole, pour aboutir à la conclusion qu’un déclin est imminent et presque inévitable; le graphique part du potentiel où 81% des gisements actuels sont en déclin, ce qui indique une baisse d’environ la moitié de la production actuelle, qui se situe à environ 91 millions de barils par jour (mbd). Il s’agit d’une sorte de mise à jour du graphique tiré des données de l’Agence internationale de l’énergie qui se trouve à la page 145 de mon livre.

Comment aborder le défi?

Comme je cherchais à suggérer dans la réflexion du dernier article du blogue, le constat global est tel que les gestes concrets pour éviter l’effondrement semblent n’avoir aucun impact, tellement l’inertie est devenue forte, et des gestes pour nous préparer pour ce qui s’en vient sont extrêmement difficiles à cerner, comme la journée de dimanche a bien montré. La rencontre s’est terminée avec une présentation de Francis Dupuis-Déri sur l’intérêt de l’action directe, prenant différents exemples du mouvement anarchiste plutôt récents.

J’ai bien eu l’impression que mes courts commentaires sur les manifestations qui sont planifiées pour septembre contre la paralysie face aux changements climatiques, à l’effet qu’elles sont en continuité avec ce qui dure maintenant depuis un demi-siècle et qui par son échec nous a laissés face au mur de l’effondrement, n’étaient pas perçus comme très conviviaux par plusieurs. En fait, je ne m’y oppose certainement pas, cela stimulant l’engagement, mais elles ne donneront pas plus que leurs prédécesseurs.

J’aurais pu ajouter que ces manifestations ciblent justement un défi qui n’est pas celui qui sera central dans les prochaines années – en dépit de ses impacts déjà énormes – , soit le déclin des réserves en pétrole conventionnel face à notre insatiable demande toujours en croissance et qui ne paraît tout simplement pas, cela peut-être parce que les pétrolières et toute la communauté économique qui gravite autour se montrent aussi incapables que les politiciens (voire les environnementalistes) à saisir la situation et les gestes qui s’imposent face à elle.

Je souligne à cet égard l’intervention sur le blogue de Raymond Lutz rendant personnelles les difficultés du positionnement de bon nombre de participants au colloque. Dans les jours suivant le colloque de Montréal, j’ai eu l’occasion de collaborer au tournage d’un balado avec Marisol Drouin, écrivaine en résidence à la Maison de la littérature logée à l’Institut canadien à Québec. Marisol avait publié son premier roman Quai 31 en 2011 qui cherchait à fournir l’imaginaire d’un réfugié climatique.

Le thème de sa résidence est l’effondrement, rien de moins, et le défi qu’elle décrit pour l’imaginaire de son deuxième roman Je ne sais pas penser ma mort semble similaire à celui de trouver des façons de s’insérer dans l’imaginaire de l’effondrement – je vais le lire! La Maison va utiliser le balado dans le cadre du Festival Québec en toutes lettres, qui tient cette année sa 10e édition sous le thème Pour la suite du monde, en octobre. Voilà des efforts, je crois, d’imaginer le défi de l’effondrement, par comparaison aux efforts pour contrôler les dérapages du système actuel, qui continuent.

 

 

 

 

 

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Notre incompréhensible empreinte

Lors de son émission à Radio-Canada le samedi 10 août, Boucar Diouf a lancé une série de questions à son jeune auditoire portant sur des gestes qu’il serait prêt à poser pour contribuer à la cause de la réduction des émissions de GES, Entre autres, il a demandé: Seriez-vous prêts à abandonner les voyages en avion? (Figure 1) Très peu de personnes dans l’auditoire, pourtant jeune et ayant probablement peu d’expériences avec des voyages en avion, ont répondu dans l’affirmative. La même question était posée pour l’émission du Téléjournal du dimanche 18 août, avec les mêmes réponses.

Figure 1. Pour beaucoup de gens (qui peuvent se le permettre) les voyages aux destinations soleil font partie de leurs comportements habituels, ici Parque nacional Jeannette Kawas, Tela, Honduras

La place de l’aviation civile dans nos vies

Pendant cette même période, l’émission Découverte de Radio-Canada faisait une série de trois reportages sur l’aviation civile (1, 2, 3), couvrant entre autres les technologies de construction des appareils de plus en plus grands, l’organisation derrière les 100 000 vols quotidiens dans le monde, la préparation des repas pour des millions de voyageurs, et les questions de sécurité.

Presque comme trame de fond revenaient régulièrement les projections pour les années 2030 où l’industrie s’attend à ce que l’activité soit le double d’aujourd’hui. La série se termine avec quelques réflexions sur le développement de l’aviation civile d’ici quelques décennies; l’émission avait déjà consacré deux ou trois reportages au Solar Impulse, avion expérimental entièrement solaire qui – de toute évidence – ne semble offrir aucune chance réaliste de représenter l’avenir (Figure 2).

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Figure 2. Une connaissance de la vie dans les pays pauvres, non toujours violents (ici, le marché à San Juan Comalapa, Guatemala), permet de mieux comprendre les enjeux.

Pendant les reportages de Découverte, il n’y avait aucune mention du défi des changements climatiques associés aux émissions de GES, pour lesquelles l’aviation est responsable d’environ 5%, seulement une sorte d’obéissance à la nécessité de rendre les appareils moins consommateurs de kérosène. Contexte pour moi dans ceci, le livre Heat: How to Stop the Planet Burning (2006) où l’auteur George Monbiot, journaliste du Guardian, cherche à voir les potentiels pour des réductions des émissions de GES dans les différents secteurs d’activité; il constatait un seul véritable échec dans sa recherche, justement dans le secteur de l’aviation, où il ne voyait pas de véritables pistes de solution.

L’incompréhensible défi personnel

Ce portrait général situe la plupart des options suggérées pour des actions concrètes de la part des individus face aux défis des changements climatiques. Certaines activités sont tellement inscrites dans les comportements sociaux, dans le fonctionnement normal des sociétés, que les interventions des individus s’avèrent finalement presque inutiles alors que des transformations radicales de ces sociétés semblent être la seule piste possible pour répondre aux défis. Je puis arrêter de prendre l’avion, abandonner l’auto, vendre la maison pour vivre dans une plus petite, etc. Si les gestes ne sont pas à l’échelle de la société, je ressens que cela ne changera rien.

La Terre transformée en fonction de l'empreinte écologique

Figure 3. Cette carte déformée de la Terre est faite en fonction de l’empreinte écologique de chaque pays. Il fait paraître clairement que le changement requis dans les pays riches, pour permettre aux pays pauvres de sortir de leur pauvreté, est presque inconcevable.

En même temps, à moins d’être vraiment déjà retiré de la société – très peu de monde – les actions suggérées nous rentrent directement dans le corps, dans notre mode de vie, même si de nombreux comportements, comme la mode VUS répondant à une priorité énoncée des manufacturiers, par exemple, ne se justifient d’aucune façon. George H. W. Bush pouvait bien sembler très égoïste en disant à Rio en 1992 qu’il ne fallait pas toucher au mode de vie américain en cherchant des solutions inscrites à l’ordre du jour de l’humanité lors de ce Sommet; nous réagissons presque de la même façon face aux options offertes par Diouf, par exemple.

Je me posais moi-même la question, ayant entre autres fait quatre voyages en Chine depuis dix ans, en plus d’un voyage en Amérique centrale l’an dernier. Je ne pouvais justifier mes voyages en Chine, même si l’objectif était de me donner des balises pour une meilleure compréhension de ce pays clé pour l’avenir de l’humanité. Quant au voyage en Amérique centrale, je retournais au Honduras, où j’ai eu un projet pendant six ans dans les années 1990, soutenu par l’ACDI et parrainé par Nature Québec, le voyage se faisait après plus de 20 ans d’absence; je voulais voir ce qui avait changé, ce qui ne le justifiait pas plus. C’est à noter que le projet au Honduras comportait deux voyages en avion par année pendant les six années…

Des enjeux de société

J’entends qu’un voyage aller-retour Montréal-Paris comporte l’émission d’autant de GES que l’utilisation d’une voiture (un VUS?…) pendant une année, et j’ai récemment entendu qu’une croisière d’une semaine – peut-être pas le quotidien pour la plupart des gens, même dans les pays riches – représente l’équivalent d’un vol Londres-Tokyo aller-retour… En fait, plus nous regardons notre vie quotidienne, plus nous avons de la difficulté à voir comment réduire sensiblement notre empreinte écologique, qui pourtant et de façon générale dépasse la capacité de support de la planète par trois ou quatre fois. Il est impossible de concevoir comment nous pourrions réduire cette empreinte à un niveau équitable pour toute l’humanité et adaptée à la vie sur cette terre avec ses 8 milliards d’autres humains (Figure 3).

Nous pouvons cesser de voyager en avion, cesser d’acheter des véhicules privés (pas juste des VUS…), cesser de manger de la viande. Dans l’ensemble, rien dans des changements de comportement de notre vie quotidienne n’aboutirait à une empreinte du niveau à cibler. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que nos gouvernements, que nos sociétés riches n’arrivent pas à prendre les décisions nécessaires pour répondre aux appels du GIÉC pour des réductions massives dans nos émissions de GES.

C’est dans ce contexte que l’on doit situer la critique constante des gouvernements pour leur inaction face aux défis et à l’urgence. Les actions gouvernementales nécessaires iraient directement à l’encontre des comportements sociétaux et la volonté des gens de préserver leurs conforts. Elles seraient rejetées, même si les responsables gouvernementaux y pensaient, ce qu’ils ne sont presque pas capables de faire de toute façon.

L’effondrement?

Nous ne vivons pas un effondrement actuellement, en dépit des indications que les changements climatiques sont sur le bord d’être hors de contrôle, que les inégalités entre pays et entre populations sont soulignées par les immigrations qui deviennent massives, que l’approvisionnement en eau potable pour les grandes villes de la planète s’annonce de plus en plus problématique; ces thèmes dominent pourtant l’agenda et l’actualité. L’effondrement projeté par Halte à a croissance, que j’essaie de mettre à jour dans mon livre et dans ce blogue, n’en sera pas tout d’abord un dans ces grands secteurs de crise, mais surviendra plutôt de déstabilisations économiques associées à un approvisionnement déclinant en énergie qui est pourtant totalement nécessaire pour le système et dont l’utilisation est de plus en plus exagérée (voir la Figure 4). Encore une fois, et en dépit des préoccupations actuelles pour une possible récession économique dans le court ou le moyen terme, ces problèmes en cause dans l’actualité ne semblent pas être associés à une déstabilisation structurelle de l’économie, des économies.

HSBC projections

Figure 4. HSBC a fait en 2017 une analyse en profondeur de l’ensemble de la production mondiale de pétrole, pour aboutir à la conclusion qu’un déclin est imminent et presque inévitable; les graphiques (a. 81% des gisements sont en déclin; b. 64% des gisements sont en déclin) indiquent une baisse d’environ la moitié de la production actuelle, qui se situe à environ 91 millions de barils par jour (mbd). Il s’agit d’une sorte de mise à jour du graphique tiré des données de l’Agence internationale de l’énergie qui se trouve à la page 145 de mon livre.

Aux États-Unis, tout comme maintenant au Canada aussi, l’orgie de dépenses dans des résidences cossues et souvent secondaires, ainsi que dans des véhicules allant carrément à l’encontre de toutes les propositions pour des réductions importantes des émissions dans le secteur des transports, donne l’impression d’une sorte de déni, d’une dernière répudiation face à l’ensemble des crises qui sévissent. Nulle part il n’y a d’indications qu’il y a possibilité de changement structurel et radical dans l’approvisionnement en énergie, ce qui permet le fonctionnement de tout cela. Voir à cet égard un article récent dans La Presse+ où la journaliste interviewée se montre encore fixée sur la venue d’énergies renouvelables et d’interventions gouvernementales comme source de salut. On cible, à la place de ces pistes, les sachant illusoires, l’élimination des pailles de plastique.

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