Dans le concret

Pendant les Fêtes passées dans Charlevoix, j’ai eu plusieurs occasions inattendues de réfléchir sur notre situation dans le concret. Une soirée en compagnie de capitaines de notre marine marchande s’est attardée sur un événement ayant récemment fait les nouvelles. Un navire tout neuf, costruit en Europe, pendant son premier voyage traversant l’Atlantique pour rejoindre la petite flotte de sa compagnie, s’est trouvé obligé de virer et retourner au port en Europe. C’était un navire équipé de nouveautés technologiques installées pour répondre aux exigences environnementales, et des équipements en cause fonctionnaient mal, montrant justement qu’ils ne sont pas encore rodés. Le rodage viendra, mais c’était presque surprenant d’apprendre que nous sommes aux tout débuts de la «transition».

Pendant la même soirée, j’ai échangé avec le fils d’un des capitaines. Il avait été marin pendant dix ans, mais devant les obligations de retourner aux études de formation pour pouvoir penser avancer dans le domaine, il a plutôt choisi de quitter la marine marchange pour devenir camionneur long-cours. Cela fait trois ans qu’il vit dans son camion semi-remorque avec ses deux chiens, n’ayant pas encore de famille ni de pied à terre; il est venu à la soirée en utilisant le tracteur de son camion. Il y a deux ans, il avait été obligé d’acheter un nouveau camion. En échangeant avec le vendeur d’une des marques réputées et dont il voulait acheter le nouveau modèle, le vendeur lui a conseillé d’acheter un des vieux modèles, les nouveaux étant équipés de nouveaux équipements permettant de mieux répondre aux exigences environnementales et n’ayant pas la même performance. En même temps, il m’a informé qu’il n’avait pas encore installé l’aileron sur le toit du camion pour diminuer la résistance au vent, tout en montrant qu’il connaissait les bénéfices qu’il en tirerait avec son installation; cela allait venir quand même assez rapidement, a-t-il indiqué.

Un moment donné pendant ce temps, mon épouse m’a passé le bulletin municipal débutant avec une note de presque deux pages du maire de la petite municipalité, en concertation avec l’ensemble de la MRC de Charlevoix. Il y annonçait une programmation de la municipalité visant à faire d’elle un leader dans la gestion intégrée des déchets; plusieurs mesures de réduction font partie du programme. La bonne volonté du maire, sa volonté de voir sa municipalité se mettre en action face aux défis environnementaux, étaient évidents. En même temps, je ne pouvais qu’être frappé de voir une telle orientation paraître comme une nouveauté et un pas en avant, alors que j’étais responsable de la mise en place d’une telle programmation à l’échelle provinciale en 1990-1991. Tout au long du quart de siècle et plus pendant lequel nous avons suivi les efforts de procéder, nous avons dû noter les problèmes de la mise en œuvre: notre démarche a accompagné entre autres les suites au feu de pneu de Saint-Amable, qu’on essaie depuis ce temps à recycler – mais peut-on vraiment penser recycler tous nos pneus usagés? – ; une volonté à détourner des sites d’enfouissement des quantités importantes d’emballages (sans vraiment cibler ce qui était emballé…); de multiples efforts via RecycQuébec (créé dans les démarches du début des années 1990) et Collective Sélective Québec à assurer une gestion du recyclage alors que, au fil de ce quart du siècle, les matières à recycler ont triplé et les déchets eux-mêmes (les «matières résiduelles») ont doublé. En dépit de la bonne volonté, le maire (et l’ensemble des municipalités de la MRC) se trouvent deux décennies en retard et face à une situation beaucoup plus difficile qu’il y a un quart de siècle.

De retour à Québec après les Fêtes, j’ai passé chez mon cordonnier d’un quart de siècle pour faire réparer les semelles de mes bottes de randonnée, qui se désagrégaient à vue d’œil; il avait resemellé mes chaussures l’été dernier, mais avec obligation de commander les semelles en cuir tellement son travail se réduit ces temps-si à coller ce qui se décolle. Impossible, m’a-t-il informé, les nouvelles semelles de ces bottes de qualité sont maintenant biodégradables, se déagrègent un moment donné, et ne peuvent être réparées même si le cuir de qualité de ces bottes étaient encore un très bonne condition. J’ai trouvé une colle faite spécialement pour les chaussures en faisant un peu de recherche, et je suis actuellement en train de tester la possibilité de colmater les brèches dans les semelles avec un produit qui n’est sûrement pas vert, mais qui va peut-être permettre d’allonger la vie de mes bottes.

Ouf. Cela fait assez longtemps que je ne cherche plus à contribuer à l’amélioration de nos activités économiques et privées en essayant de diminuer les impacts de nos produits courants de consommation, devant la croissance continue et impressionnante de cette consommation elle-même et en reconnaissance de l’importance qu’il faut accorder, non pas – non plus – à nos déchets, mais à cette consommation même dont l’ensemble des intrants, devant la croissance de tous ces produits qui à leur tour vont devenir inéluctablement des déchets.

J’ai déjàmanifesté un certain espoir dans les prospectives de développement technologique dans le domaine des transports, suivant l’analyse et le rêve de Tony Seba (une recherche sur mon site utilisant « seba » mènent à un ensemble d’articles où j’essaie d’intégrer la question de l’automobile dans la réflexion). J’ai l’impression que ces récents constats des Fêtes ne touchent pas vraiment au secteur de l’automobile. D’après mes 60 ans d’observation des technologies en cause, je dis souvent que c’est un des secteurs où le développement technologique a été le plus impressionnant. Nous ne connaissons presque plus les crevaisons, les démarrages difficiles, les pannes de tous types; nous avons vu l’ajout aux fonctionnements de base des radios et des lecteurs de disques, du chauffage et de la climatisation, un confort assez particulier. Et nous savons que les multinationales en cause peuvent générer des économies dans la consommation d’essence et faire des hybrides, voire des véhicules électriques autant qu’elles veulent, si elles veulent. Clé dans le rêve de Seba: une diminution non planifiée d’environ les trois quarts des véhicules en circulation et une diminution correspondante de la consommation d’énergie pour permettre cette circulation, avec l’arrivée de véhicules électriques et autonomes. Voilà la clé, je me dis: ce n’est peut-être pas évident que la technologie pour le véhicule autonome ne se trouvera dans la même situation que les nouvelles technologies cherchant à améliorer la performance environnementale.

Mes constats du temps des Fêtes n’ont fait que confirmer mon jugement à l’effet que nous ne réussissons pas dans nos efforts d’améliorer notre empreinte écologique ni notre demande en ressources, mais que, par la bande, il y a un élément dans la «transition» passant par un effondrement de notre production industrielle qui vient directement de ce système de production mais qui pourrait permettre à adoucir notre chute.

 

 

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