Le jeu de poker face aux changements climatiques

Sur la page titre, le récent document de Calderón et Stern sur les enjeux économiques associés aux changements climatiques s’affiche : «Nous vivons à un moment de grand potentiel – We live in a moment of great opportunity». Nous avons déjà vu ce discours ici, lors de la parution du document de consultation de la Commssion sur les enjeux énergétiques du Québec. Celui-ci proposait que la menace apparente des changements climatiques constituait plutôt une occasion d’affaires. Après des mois de consultation et d’analyse, les commissaires ont fait amende honorable dans leur rapport final. Leur conclusion : le Québec ne pourra même pas atteindre un objectif de réduction de ses émissions qui correspond à ce qui est jugé minimalement nécessaire par le GIEC, alors qu’en même temps nos dirigeants fonçaient les yeux fermés dans le sens opposé, avec leur Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole.

Comment comprendre le message de Calderón et Stern?

Le problème avec un document comme celui de Calderón et Stern est qu’il ne constitue pas une analyse de la situation actuelle et à venir, mais l’imposition d’une orientation et la présentation de toute une série de mesures qui – si elles étaient réalistes – pourraient concrétiser l’orientation dans la réalité. C’est un peu comme un jeu de bluff au poker, DSC00365.JPG - Version 2sauf que les

 

mains sont ouvertes. Le lecteur qui l’analyse est obligé d’y aller avec la démonstration de sa faiblesse, alors que le journaliste ne fait que constater la gageure. C’est ce que fait Éric Desrosiers à deux reprises dans Le Devoir, d’abord dans un reportage intitulé «Protéger la terre à un coût dérisoire», ensuite dans une chronique intitulée «Rompre avec l’inertie».

Desrosiers revient sur le jeu de poker en soulignant, dans un autre contexte, la faiblesse de l’ensemble des efforts de gérer les risques de l’avenir avec une planification sérieuse :

Aussi boiteux que puisse souvent être l’exercice, le fait d’attribuer un coût monétaire à un problème est parfois le meilleur moyen de mettre en lumière son importance (gravité) relative et de se faire entendre dans un monde où l’économie est la valeur cardinale.

Une commission indépendante a dévoilé cette semaine un volumineux rapport dans lequel des experts estiment le coût économique de la lutte contre les changements climatiques d’ici 2030 à moins de 1 % à 4 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, soit l’équivalant d’un petit retard de croissance de 6 à 12 mois sur un horizon d’une quinzaine d’années.

On pourrait discuter longuement de la fiabilité de telles estimations sur des phénomènes aussi complexes, ainsi que du caractère réducteur de ramener à un coût économique un problème touchant tellement d’autres facettes de notre vie sur terre. Ces chiffres ont tout de même le mérite de retourner contre leurs auteurs les arguments de ceux qui — sur la base de données factuelles tout aussi fragiles sinon plus encore — disent que la bataille contre les changements climatiques ramènerait nos économies à l’âge de pierre.

Ce message est repris en éditorial par Guy Taillefer le lendemain du sommet de New York où il note quand même qu’il n’y a pas de plan B, que le bluff est dangereux. Jeudi le 25 septembre Gérard Bérubé ajoute sa voix à ce qui semble être une unanimité au sein des journalistes du Devoir, à l’effet que les leaders économiques ont fourni les réponses aux catastrophistes et que le tout semble raisonnablement en main.

Mes efforts comme catastrophiste de vulgariser les travaux du Club de Rome et d’une multitude d’autres analyses concernant les effondrements possibles dans un proche avenir constituent une mise blank, un appel au bluff où je présente mon jeu, aussi défaillant soit-il. Pour poursuivre l’image, (suite…)

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350.org : si j’étais environnementaliste

Avis : À noter à ce jour du 21 septembre que, si j’étais environnementaliste, je serais en train de faire campagne avec 350.org pour l’adoption des mesures proposées dans l’ensemble des documents prônant l’économie verte comme approche à favoriser face, entre autres, à la menace des changements climatiques. En effet, c’est sûrement cela que les groupes sont en train de faire, plutôt que de travailler à l’analyse la plus objective possible de cette approche et à l’alternative qui s’impose pour mieux nous positionner face aux risques devant nous. Je serais prêt à gager que 350.org, pas plus que les autres, n’a pas élaboré un programme pour l’atteinte de ses objectifs accompagné d’une analyse des risques associés à sa poursuite. Que tout soit orienté vers l’économie verte et qu’aucune analyse ne soit en train d’être faite en fonction des implications du pic de pétrole et de l’imminence apparente de l’effondrement projeté par le Club de Rome me paraît presque absurde. Le récent document signé Calderón et Stern montre encore une fois les risques que le mouvement est en train d’encourir sans en évaluer les conséquences de l’échec probable.

Ce n’est pas la première fois récemment que je me vois en train de lire un volumineux document prônant les objectifs du mouvement environnemental et signé par ceux qui ont refusé de les reconnaître et de les mettre en œuvre pendant des décennies. Le brassement autour de Rio+20 en 2012 nous en a fourni toute une collection sous la thématique de l’économie verte, et maintenant c’est le brassement autour des préparatifs pour Paris 2015 qui prend la relève. Le tout récent document déposé aux Nations Unies par Felipe Calderón et Nicolas Stern suit ceux du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) mené par Jeremy Sachs, Risky Business signé par les millairdaires Bloomberg, Paulson et Steyer et l’intervention du Fonds monétaire international (FMI) sur l’importance de bien établir le prix de l’énergie. La plupart de mes récents articles portent sur ces documents, dont ceux du FMI.

La lecture attentive du The New Climate Economy Report constitue tout un défi. Des pages et des pages proposent ce que le mouvement environnemental propose depuis toujours. La différence : le rapport est le fruit du travail d’une commission formée de 24 décideurs, venant presque exclusivement des milieux économiques et politiques, conseillée par une quinzaine d’économistes de haut niveau, et il met l’accent sur la croissance économique – «economic prosperity and development» – que les nations doivent viser tout en contrôlant le dérapage du climat. On y trouve justement et entre autres les ministres de Finance de nombreux pays en complément aux politiciens qui les écoutaient pendant tant de temps. La menace des changements climatiques est maintenant craint partout, et finalement par de nombreux décideurs eux-mêmes, non sans un certain déni évident (comme dans le DDPP) devant les contraintes énormes (insurmontables) qu’ils reconnaissent tout au long du document.

Le défi est de voir ce qui est changé dans la pensée de ces politiciens et économistes qui leur permet d’accepter d’emblée l’agenda des mouvements environnemental et social. Tout y est ou presque dans la vision d’une «meilleure croissance qui améliore la qualité de vie à travers les dimensions du revenu, de meilleure santé, de villes plus vivables, de résilience, de réduction de la pauvreté et de l’innovation plus rapide» tout en atteignant un «meilleur climat» (41). Il faut également essayer d’évaluer l’importance du fait que ces décideurs des milieux économiques, suivant les interventions du FMI, (i) acceptent l’importance de tenir compte des coûts des externalités (qu’ils préfèrent appeler des «market failures», des défaillances des marchés) tout en (ii) négligeant complètement une partie importante de ces externalités. Dans l’ensemble, les coûts de ces externalités représentent entre les deux-tiers et les trois-quarts du PIB lui-même, selon les calculs d’indices de progrès véritable faits pour de nombreux pays.

 

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La première partie de la réponse semble claire : le rapport du GIEC et l’expérience presque quotidienne de dérèglements climatiques ne permettent plus le déni (en oubliant Harper et même Couillard). Par contre, le rapport insiste qu’il «ne porte pas sur les mesures pour réduire les émissions de GES, que d’autres ont fait de façon compréhensive» (p.12). Le programme «compréhensif» du DDPP, probablement le plus important proposé à date, n’arrive pas à atteindre les résultats nécessaires pour respecter les calculs et l’échéancier du GIEC.

L’analyse de la deuxième partie de la réponse est le vrai défi : le rapport entérine une croissance économique pour les prochaines décennies qui est presque hallucinante (sauf pour les économistes) et cherche à fournir les pistes (suite…)

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Le schiste : la bulle financière de notre temps

Il y a lieu de croire que l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste n’est pas rentable, et l’accent sur ces nouvelles ressources (en y ajoutant les sables bitumineux) représente l’équivalent d’une bulle financière. Les coûts de l’exploitation sont tels que des analystes connaissant les enjeux financiers et économiques en cause prévoient l’éclatement de la bulle d’ici quelques années à peine. Une telle analyse fournit une perspective différente pour la résistance qui s’impose alors que nous nous approchons de l’effondrement de notre système économique actuel.

[voir les deux mises à jour à la fin de l’article pour d’autres références]

Il y a une sorte de découragement au sein des groupes écologistes face au développement des énergies fossiles non conventionnelles, surtout le pétrole et le gaz de schiste, mais aussi les sables bitumineux. Dans une perspective de contestation traditionnelle, tout semble déjà joué auprès des décideurs, obnubilés par l’idée d’une Amérique saoudite avec de riches gisements qui se trouvent un peu partout.

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Lors d’échanges sur le sujet de temps en temps, il s’avère difficile de présenter une autre perspective avec rigueur, tellement la littérature sur le sujet est abondante et contradictoire. Pourtant, de nombreuses indications suggèrent que le fondement économique de ce développement est sérieusement déficient et qu’il s’agit actuellement d’une sorte de bulle financière qui cache l’effondrement en progression. Il me paraît pertinent de fournir ici la perspective difficile à formuler spontanément lors d’échanges informels. Les sources reviennent pour la plupart du temps dans mes différents articles et plusieurs sont associés aux analystes du phénomène du pic de pétrole.

Une autre perspective économique

Le thème de bulle financière est la perspective qu’en donne Tim Morgan, analyste financier anciennement de Tullet Prebon qui a écrit Perfect Storm“Shale Gas : The Dotcom Bubble of Our Times”, publié au mois d’août dans le journal The Telegraph en Angleterre, ne fournit pas une analyse, et suit ce qui circule déjà dans d’autres milieux, mais cible bien le contraste entre le discours et la réalité qui marque souvent les bulles (merci à Enjeux énergies pour avoir fourni la piste). Un survol des quelque 375 commentaires sur l’article donne une idée de la confusion dans les débats actuels, et n’aboutit pas à beaucoup de clarification. Une référence intéressante est faite à des progrès sur le plan de la technologie, mais rien ne met en cause le constat de base : un rendement financier négatif aux États-Unis, dans le schiste.

Mark Lewis, ancien directeur de recherche pour la Deutsche Bank, a publié dans The Financial Times en novembre 2013 un article qui fournit les détails de la situation. “Toil for oil means industry sums do not add up” met en évidence les investissements (capex, ou capital expenditures) de plus en plus importants de l’industrie pour une production de moins en moins importante et cela à un coût de plus en plus important. La combinaison de ces éléments fournit une perspective pour le développement des hydrocarbures qui suggère que nous atteignons des limites dans un approvisionnement qui détruira les fondements économiques de nos sociétés.

C’est assez intéressant de noter que Morgan et Lewis semblent rejoindre le Canadien Jeff Rubin dans la liste d’anciens joueurs des milieux financiers qui sont arrivés à cette même perspective et qui ont quitté leur milieu pour devenir intervenants à titre personnel ; je manque les détails pour Morgan et Lewis à cet égard.

Le phénomène de la Red Queen

À son tour, Thomas Homer-Dixon, analyste à qui je me réfère souvent, a fait paraître un texte dans The Globe and Mail en décembre dernier. “We’re Fracking to Stand Still” présente la problématique par le biais des énormes investissements requis pour tout simplement maintenir l’approvisionnement acquis; (suite…)

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