Automobile, électrique ou pas: fausse bonne idée? fuite en avant? passage obligé?

Le Québec se prépare pour l’élaboration d’une politique énergétique, et les enjeux sont assez dramatiques. Une série de textes dans Le Devoir par Pierre-Oliver Pineau, Jean-Robert Sansfaçon en éditorial, et Jean François Blain, montre finalement la difficulté de bien situer ces enjeux dans un cadre approprié. Un texte que j’ai soumis au Devoir en élabore quelques unes des difficultés, en soulignant que c’est l’automobile elle-même et non son électrification qui doit être mise en cause. Toute la discussion s’insère dans l’approche au développement économique du gouvernement et de nombreux intervenants privés, et c’est rare d’y trouver une prise en compte des implications du pic de pétrole, de l’empreinte écologique (ou l’empreinte carbone) ou d’autres indicateurs de contraintes écologiques. Pourtant, ces contraintes paraissent de plus en plus incontournables et rendront inutile l’effort de conception de la politique si elle n’en tient pas compte.

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Le mémoire que j’ai soumis à la Commission sur les enjeux énergétiques est tout à fait irréaliste, ciblant une transformation rapide et complète de notre flotte de véhicules en hybrides ou électriques, au fur et à mesure de leur remplacement. Le débat tourne autour d’analyses qui montrent jusqu’à quel point nous sommes confrontés à des situations où bon nombre de décisions en matière de développement paraissent, et aujourd’hui sont, irréalistes. À l’instar de la Commission, l’annonce de sa Stratégie d’électrification des transports cible, en priorité, non pas le bienfait que représenteraient une diminution de notre dépendance du pétrole et une certaine réduction de nos émissions de GES, mais plutôt la possibilité qu’une industrie manufacturière puisse naître de cette initiative. Comme c’est presque toujours le cas, les objectifs environnementaux, qui deviennent de nos jours des enjeux reconnus explicitement même si tardivement par les interventions en faveur d’une «économie verte», doivent s’insérer dans la poursuite du développement économique, de la croissance de l’économie.

Ceci se manifeste dans les chiffres proposés dans le débat concernant la flotte de véhicules québécois. Je retiens la référence de Pineau à 350 000 véhicules ajoutés à la flotte chaque année, mais je me demande s’il ne s’agit pas plutôt du nombre de véhicules remplacés; sur 15 ans, on remplacerait la flotte de 4,5 M de véhicules au complet – sauf qu’il faut bien reconnaître qu’il y aura des augmentations aussi selon les tendances bien en place. Le gouvernement Charest proposait, suivant Pineau et Sansfaçon, d’électrifier 300 000 véhicules pour 2020, ce qui n’aurait été que 10% de la flotte, tout en étant un nombre impressionnant et probablement hors d’atteinte selon une vision réaliste. Le gouvernement Marois, dans la nouvelle Stratégie, ne propose d’électrifier que 12 000 véhicules, nombre dérisoire mais probablement plus réaliste…

En réalité, et contrairement aux orientations gouvernementales, l’intérêt de l’initiative visant l’électrification de la flotte de véhicules n’est pas qu’elle semble verdir l’économie, surtout pas l’espoir que nous développions une expertise mondiale pour la filière manufacturière en cause. L’initiative est une exigence économique en soi. Les économistes Pineau et Sansfaçon, dans leurs contributions au débat, ne semblent pas voir ceci. Ils ciblent une réduction des émissions de GES en priorité mais ne montrent d’aucune façon comment ils voient cela arriver, face aux constats de la Commission sur les enjeux énergétiques. Celle-ci montre que l’objectif de réduction des GES rentre directement dans le modèle économique et sociétal que nous avons et suggère dès le départ que l’objectif est irréaliste.

C’est Blain qui voit ceci de façon claire, dans son calcul des coûts. Électrifier toute la flotte de 4,5 M de véhicules réduirait les dépenses des ménages pour le transport de 6,5 G$ par année. Il suggère par contre que cela libérerait autant pour «oxygéner l’économie intérieure et soutenir la diversité de nos activités économiques productives». Ceci souligne le véritable enjeu de cette initiative, que Blain ne met pas en évidence.

Le Québec sera-t-il en mesure de supporter les coûts du maintien de son modèle des transports actuel, inscrit profondément dans son modèle économique? Est-ce que la transition vers une indépendance du pétrole nous permettra de soutenir le coup des effondrements en cours et à venir dans un avenir de plus en plus rapproché? L’électrification nous mettra peut-être à l’abri de certains soubresauts économiques ailleurs dans le monde, sans pour autant que nous puissions poursuivre l’ensemble de nos «activités économiques productives» qui sont en cause dans ces effondrements.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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2 Commentaires

  1. J’ai lu avec intérêt le dernier article de votre blogue au sujet des voitures électriques et hybrides. Je voulais vous laisser une commentaire mais je n’y suis pas parvenu. Il faut rentrer un code (un captcha) que je n’ai pas su faire fonctionner. Voici donc ce que je voulais publier sur votre blogue et porter à votre connaissance :

    « Encore une excellente analyse de votre part. Merci. J’aimerais simplement apporter un bémol aux vertus des voitures électriques. Certes, un passage rapide vers ce type de véhicule réduirait notre dépendance au pétrole et nous ferait faire de grandes économies, mais quelle serait l’empreinte écologique du remplacement de toute notre flotte automobile à essence par des véhicules électriques ? Comme vous le rappelez, il s’agit de se débarrasser de 4,5 millions d’autos et surtout d’en produire autant ! Quel coût en énergie, en eau, matériaux, minerais (certains se dirigeant vers la pénurie), et en pollution ? Et donc quel impact sur les habitats et les écosystèmes ? Et aussi, quel coût en énergie si toutes les voitures doivent être alimentées par de l’électricité ? Allons-nous harnacher les dernières rivières sauvages qu’il nous reste ? Serons-nous contraints d’implanter des milliers d’éoliennes, d’usines marémotrices, de centrales géothermiques, etc. ? Sans parler des conséquences faramineuses si une telle transformation s’effectuait à l’échelle mondiale… Je crois que nous devons surtout réduire, réduire, réduire. Nous devons métamorphoser nos façons de vivre et de penser, comme vous y contribuez si vivement.
    Ainsi que vous pouvez le voir, je suis au moins aussi idéaliste que vous (mon mémoire soumis à la Commission sur les enjeux énergétiques doit être aussi irréaliste que le vôtre). Car au fond, comme vous le soulignez, ce n’est pas de la voiture électrique dont il est question, mais de la voiture ».

    Thierry Lefèvre

  2. Je suis entièrement d’accord avec les propos. Mon intervention cherche à bien cerner les enjeux associés au débat sur l’électrification de notre flotte, mais mon texte préparé pour Le Devoir souligne à la fin que «le passage obligé de Blain n’est probablement pas autant l’électrification de notre flotte de véhicules que la réduction massive de cette flotte, électrifiée ou non ». Dans la partie de mon mémoire que représente le chapitre pour le livre à paraître je vais plus loin. J’y présente une esquisse qui, partant d’une flotte électrifiée, souligne l’empreinte de l’automobile, en soi, tout comme le coût trop important qu’elle risque de représenter dans un avenir rapproché. J’aboutis au constat à l’effet qu’«il est fort à parier que le coût du véhicule personnel, dont les coûts annuels sont estimés à environ $7 000-$8 000, devienne néanmoins prohibitif pour un bon pourcentage de la population avec la hausse prévisible de l’ensemble des coûts en cause ».

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