Pipelines – réflexion sur les cadeaux de Noël

Les projets de pipelines pour désenclaver les nouvelles exploitations pétrolières et gazières animent partout les discussions, au sein du mouvement environnemental, mais également de façon plus générale. Je prends Le Devoir du 7-8 décembre pour alimenter une réflexion, en lien avec plusieurs articles déjà publiés sur ce blogue; pour une présentation globale des enjeux, voir la note socio-économique de l’IRIS de septembre dernier.

En effet, alors que tout le monde est au courant maintenant et de façon générale des changements climatiques, sans que cela n’ait le moindre effet sur la prise de décision qui s’impose à leur égard, la compréhension par la société de ce qui est en cause est pleine de failles. C’est finalement une question de nos «émissions de gaz à effet de serre». La provenance de ces émissions, tout en étant complexe, nous ramène presque directement à notre dépendance à l’énergie fossile depuis des décennies. Nous savons que nos autos exigent du pétrole, mais nous ne nous posons pas de questions quant à la provenance de ce pétrole. Nous savons que ces mêmes autos, avec ce même pétrole, sont responsables d’émissions, mais celles-ci sont invisibles. Nous entendons parler des fois de la dépendance de notre agriculture à ce même pétrole, sans vraiment en saisir l’importance de cela.

Nous voilà donc ramenés à des débats que nous pouvons comprendre, histoire de pipelines (et de voies ferrées, une autre histoire) dans notre cour, au cœur de nos villes. Les sources d’approvisionnement du pétrole sont depuis longtemps outre-mer, et Ultramar, pour les gens de Québec, en est presque le symbole et non seulement par son nom. Ils voient les gros pétroliers amarrés au quai de l’entreprise, directement en face de Québec, DSC07122et ils ont suivi le débat sur le projet de port méthanier à Lévis dont l’emplacement se serait retrouvé à quelques kilomètres plus à l’est. Tout cela les préoccupait et les préoccuppe (plus ou moins) en raison du risque d’accidents sur le fleuve, parce que le pétrole et le gaz qui sont en cause proviennent d’outre-mer par bateau.

Depuis un certain temps, il est question de deux pipelines au Québec (en laissant à d’autres les débats sur Keystone XL et sur Northern Gateway), l’un de Transcanada, l’autre d’Enbridge; il est aussi question d’un lieu d’entreposage du pétrole venant de l’ouest, soit à Lévis soit à Cacouna, ciblé pour un autre port méthanier il y a quelques années. Cela, sans même nous poser de questions sur nos deux raffineries en place depuis des décennies.

Tout d’un coup, nous voilà confrontés à un processus d’exploitation plus près de chez nous, chez nous. Fort probablement, l’accident à Lac Mégantic l’été dernier a allumé les esprits figurativement autant qu’il a mis le feu dans cette communauté-même. Nous sommes devenus un peu plus conscients du fait que le «sang» de notre société coule partout, et non seulement sur le fleuve et sur le sol de pays lointains.

Conscient de l’intérêt dans l’opinion publique, Le Devoir nous présente donc toute une série d’articles : à la une, la prise de connaissance par les «riverains» de l’oléoduc qui passe déjà tout près de chez eux, sinon par une emprise carrément dans leur cour; ensuite un article sur les démarches de relations publiques (au sens positif et négatif) de l’entreprise Enbridge responsable d’un réseau impressionnant d’oléoducs et de gazoducs à travers l’Amérique du Nord; finalement, un article sur différentes parties du tracé de l’oléoduc 9B dont Enbridge veut changer la direction du flux (le pipeline est déjà là, depuis des décennies).

Tout cela est accompagné d’une couverture de la commission parlementaire portant sur le sujet, sur la réaction des intervenants, dont les groupes environnementaux, à la décision de cette commission de recommander l’inversion du flux de l’oléoduc 9B et même un article sur la problématique du transport ferroviaire…

Dans une perspective plus large, peuvent s’ajouter à ce portrait: le débat à Québec concernant des voies réservées pour les autobus et les taxis sur l’autoroute Robert-Bourassa récemment remise en plein service, et où l’ajout de ces voies réservées, aux yeux de tout le monde dans les deux autres voies, ne comporte aucun changement dans la congestion aux heures de pointe; le débat à Montréal concernant la construction du nouveau Pont Champlain qui, non plus, ne réglera le défi de la congestion aux heures de pointe; la prise de conscience de l’ensemble de travaux sur la remise en état de nos infrastructures routières au coût de dizaines de milliards de dollars.

Nous voyons les autoroutes, et en comprenons jusqu’à un certain point les enjeux les concernant. Nous ne voyons pas les oléoducs et, semble-t-il, ne les voulons pas. Voilà une nouvelle prise de conscience, et un jugement fondé sur une sorte d’illusion, en ce qui a trait à notre dépendance au pétrole et, plus généralement, à l’énergie tout court. Ce qui se cache derrière les pompes à gaz à nos postes d’essence (où le prix monte sans cesse) commence à rendre les émissions à la base des changements climatiques un peu plus «visible».

Nos sources d’énergie fossile sont de plus en plus «non conventionnelles». C’est la façon de décrire le fait que nos sources d’énergies aujourd’hui font partie de la grande problématique du pic de pétrole. Nous exploitons des gisements (i) qui sont plus loin qu’avant et sans les infrastructures nécessaires pour leur exploitation facile (les sables bitumineux et les oléoducs manquants), (ii) qui sont dans des eaux de plus en plus profondes et dont l’exploitation est de plus en plus coûteuse et risquée (les gisements au Golfe du Mexique et le Deepwater Horizon), (iii) qui ne sont même pas des gisements comme nous avons connus depuis 100 ans, et qui exigent des approches à l’exploitation elles aussi coûteuses, risquées et toujours en manque d’infrastructures (sables bitumineux, pétrole et gaz de schiste au Bakken alimentant le désastre de Lac Mégantic, possiblement gisements à Anticosti).

Les pipelines sont déjà partout, à notre insu. Les voies ferrées sont partout, et transportent des matières plus ou moins dangereuses, encore plus ou moins à notre insu. Les autoroutes sont partout, et nous le savons, ayant amplement le temps de contempler leur présence pendant nos séjours dans les bouchons de la circulation. Rien de ceci n’est nouveau : nous endurons la congestion des heures de pointe depuis des décennies, et nous prenons pour acquis que nous aurons l’essence qu’il nous faudra (les années 1970 nous ont fait peur, temporairement et pour une première fois) pour poursuivre l’exercice.

Ce qui est nouveau est le fait que les ressources énergétiques non renouvelables se sont tranquillement épuisées, pour ce qui est des sources les moins chères et les plus accessibles. Aujourd’hui, le «pic du pétrole» signale un virage qui s’impose. Les enjeux critiques ne sont pas les impacts occasionnés aux territoires terrestres en surface ou en profondeur, aux océans et à l’atmosphère par notre exploitation et notre consommation d’énergie fossile. Ce ne sont pas les risques associés au transport ferroviaire ou par pipeline de cette même énergie fossile, souvent dangereuse mais qui doit être déplacée quand même. Ce n’est même pas la perte de temps qui persiste dans les bouchons de circulation que nos projets d’infrastructures cherchent à peine à résoudre.

Les enjeux critiques pour notre société contemporaine sont ceux associés à la diminution de notre approvisionnement en énergie fossile bon marché, l’incapacité des énergies que nous voulons décrire comme vertes à constituer de véritables alternatives à ce que nous sommes en train de perdre. L’enjeu critique est de concevoir une société d’un avenir assez rapproché – une ou deux décennies, et non pas un siècle – qui se sera adaptée à un approvisionnement en énergie beaucoup moins important que ce que nous avons connu. Les sociétés pauvres savent ce que c’est déjà. À nous de confronter une sorte d’équité imposée de l’extérieur qui nous amène à rejoindre les rangs d’une humanité où les inégalités risquent d’être moins importantes, mais les défis énormes.

En conséquence de cette situation, nous sommes confrontés à un avenir qui sera radicalement différent du passé, mais dont nous ne reconnaissons même pas les principales problématiques. On peut les résumer en une seule, soit le rendement énergétique de nos gisements de pétrole et de gaz (et de charbon). Au fur et à mesure que nous investissons une plus grande partie de notre «richesse» dans l’approvisionnement en énergie, nous nous trouvons avec de moins en moins de cette «richesse» pour tout le reste de nos activités.

Nous pouvons bien chercher à mieux encadrer le recours à des pipelines et à des voies ferrées pour le transport de nos ressources, pour minimiser les risques d’accidents et de la pollution qui en découlerait. Nous pouvons nous opposer à l’exploitation même des sables bitumineux, dont les impacts locaux sont majeurs et dont les impacts en termes d’émissions sont beaucoup plus importants que ceux du pétrole conventionnel.

Ce que les débats sur les pipelines sont en train de nous montrer, c’est notre totale dépendance à une énergie dont les enjeux s’approchent de plus en plus près de nous, dans nos cours – jusqu’ici, c’était sur nos autoroutes. Nous n’avons pas plus d’argent aujourd’hui qu’il y a une ou plusieurs décennies, mais notre approvisionnement en énergie coûte de plus en plus cher parce que la ressource devient de plus en plus rare. Première idée concernant nos cadeaux de Noël : nous avons de moins en moins les moyens de nous les offrir, ce que nous ne reconnaissons pas encore. Notre système économique est en jeu.

Il y a une limite à notre capacité de vivre avec la baisse de rendement énergétique qui définit les ressources non conventionnelles. Ce rendement, environ 100 :1 il y a un siècle, au début de notre dépendance, est rendu aujourd’hui à quelque part entre 15 :1 et 3 :1. Ceci aboutit à une deuxième idée concernant nos cadeaux de Noël : nous avons de moins en moins les moyens de nous les offrir, étant obligés d’investir de plus en plus dans le fonctionnement de nos activités de base, liées de façon inextricable à de sources d’énergie autrefois meilleur marché. À la limite, une vraie, notre société ne peut même pas survivre avec de telles dépendances.

Le prix à la pompe ne représente plus et seulement un cadeau de Noël que nous offrons aux pétrolières…

 

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1 commentaire.

  1. Raymond Lutz

    Je n’ai pas suivi le débat local de près: Y a-t-il quelqu’un quelque part (mis à part M. Mead!) qui a mentionné, évoqué, fait allusion ne serait-ce que du bout des lèvres à l’affirmation de nombreux scientifiques selon laquelle ON NE PEUT SE PERMETTRE DE BRULER LES DERNIÈRES RÉSERVES D’HYDRO-CARBURES? Non, personne? Pas même Amir Khadir?

    Sont-ils fous? Oh, et probablement que le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (la NSA canadienne) surveille ce blog pour y épier les discours ‘radicalisants’. Mes majuscules déclencheront sûrement une alerte dans leurs algos de data mining.

    http://www.huffingtonpost.ca/2013/10/09/csec-secret-meetings-energy-companies_n_4071257.html

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