L’IRIS à la recherche d’un nouveau modèle: le secteur minier

Ceci est le troisième d’une série d’articles portant sur Dépossession : Une histoire économique du Québec contemporain publié récemment par l’IRIS. L’objectif est d’essayer de rendre explicites les composantes d’un nouveau modèle que le livre semble pressentir mais ne présente pas explicitement.

 

Mines : L’histoire d’une triple dépossession, par Laura Handal Caravantes

Les rôles du secteur public dans le mode d’administration des ressources minières au Québec; La législation minière québécoise : la place des citoyennes et citoyens, de l’État et de l’environnement; La dépossession économique : l’impact fiscal

Handal Caravantes a déjà présenté en avril 2010 un rapport de recherche pour l’IRIS qui mettait en question le soutien financier par l’État du secteur minier, soulignant le peu de bénéfices pour l’État associé à l’expérience au fil des décennies. Dans le chapitre du livre actuel, elle trace l’histoire du modèle productiviste inacceptable fondé sur le processus de dépossession des ressources, soulignant l’ampleur de la dépossession (169). Dans les deux premières sections, elle met l’accent sur la façon dont l’administration publique a joué un rôle de soutien au développement minier, sans y participer activement, et sur la législation qui favorise le développement à la faveur du secteur privé qui y opère.

Comme son titre l’indique, l’expérience comporte trois dépossessions: matérielle (142 s.), politico-écologique (146 s.) et économique (157 s.). Elle trace entre autres la création de sociétés d’État comme la SOQUEM et la SOQUIP et le rôle de la Caisse de dépôt et de placement et de la Société générale de financement (SGF) dans le financement de différentes interventions. Elle revient régulièrement sur le fait que ces interventions visaient à favoriser le développement par le secteur privé plutôt qu’un «véritable processus de réappropriation populaire de l’exploitation des ressources minérales» (121). Même en termes de développement économique, les résultats étaient mitigés et peu satisfaisants. À partir des années 1980 et la dominance du néolibéralisme, elle note un «recul du rôle commercial et industriel de l’État … il n’y conserve que les fonctions utiles au privé, c’est-à-dire un rôle de bailleur de fonds et la responsabilité d’assumer les risques» (129). C’est le même portait fourni par Pierre Dubois pour le milieu forestier.

L’intervention du gouvernement Marois n’a fait que poursuivre le «modèle extractiviste axé sur l’exploitation et l’exportation massive et à l’état brut des ressources naturelles» (134). Le gouvernement Couillard continue dans cette orientation «vers un modèle de développement risqué et de nature instable» en visant un rôle de partenaire-actionnaire des entreprises (137). Dans la présentation de l’histoire de la législation fondée depuis toujours sur le free mining, elle rentre dans ce qui est mieux connu et qui, comme trame de fond, insiste sur la main-mise des entreprises sur le développement.

Osisko Malarctic photo

Une section de ce chapitre porte sur la carence démocratique qu’il associe au fait que le BAPE n’est pas décisionnel, ce qui contribuerait à la dépossession matérielle et politico-écologique (146-152). Elle note concernant les consultations du BAPE que, «loin de permettre un plus grand contrôle sur l’aménagement de leur territoire d’appartenance, cette insistance aurait plutôt pour fonction d’«encadrer un processus de négociation en continue des conditions de réalisation» des projets» (149). L’implication est claire que le BAPE devrait avoir un pouvoir décisionnel. Le processus de consultation ne donne pas toujours, sinon jamais, les résultats escomptés.

Ce jugement semble plutôt lui-même minimiser un fondement du processus démocratique qui met la priorité fondamentale sur les décideurs élus. Il peut y avoir des déficiences dans les travaux du BAPE, même si l’organisme a une réputation justement pour la qualité des processus de consultation qu’il mène. L’effort de «corriger» des déficiences, en lui donnant un mandat décisionnel, nous mettrait dans la situation représentée par la décision en 1996 de créer la Régie de l’énergie.

Devant l’énorme complexité des enjeux dans le secteur de l’énergie, le gouvernement a décidé à ce moment-là de donner un mandat décisionnel à un organisme expert dans ce domaine (le chapitre 4 de Dépossession en parle). Le gouvernement réussit néanmoins à intervenir en fonction d’une volonté d’influer sur le développement énergétique, induisant des conséquences pour les travaux de la Régie. On peut voir le cas des surplus d’énergie actuellement, résultat de décisions de poursuivre le développement éolien et de petites centrales et qui ont amené Hydro-Québec à demander une augmentation de ses tarifs pour couvrir le coût des pertes qui leur sont associées. Il ne semble pas opportun de vouloir une telle agence décisionnelle dans le secteur minier, agence qui aurait un mandat technique qui serait moins proche du processus participatif voulu que ce qui est permis par les consultations du BAPE.

La dépossession économique

La deuxième section du chapitre conclut avec le constat de «la faiblesse structurelle des pouvoirs publics en termes de gestion et d’harmonisation des usages du territoire» (157). C’est la mise en contexte pour la présentation des énormes faiblesses constatées du coté économique dans la troisième section. Handal Caravantes y distingue les deux régimes de redevances, l’un axé sur les profits et l’autre sur la valeur brute des expéditions. Peu importe le régime en cause, elle passe à travers l’histoire d’un État qui a constamment négligé l’obtention de bénéfices pour l’exploitation des ressources non renouvelables qui est en cause. Elle indique que l’approche jusqu’en 2013 a été de privilégier le régime basé sur les profits et conclut que «la faiblesse de ces contributions [les paiements de redevances] est attribuable aux lacunes de l’ancien système de redevances québécois, lequel calculait les droits miniers en fonction du profit des entreprises (par opposition aux droits basés sur la valeur brute de la production annuelle)» (165-166). Il est difficile à suivre cela dans le détail tel que présenté, mais le constat se fait en dépit des nombreuses critiques à l’effet que le gouvernement ne cherchait pas – peu importe le régime en cause – des bénéfices importants, pour ne pas nuire aux investissements et au développement minier.

Dans son rapport de recherche de 2010, Handal Caravantes ne conclut pas sur la pertinence de la nationalisation des opérations d’extraction et de transformation de ressources minières; la dernière recommandation du rapport proposait une commission d’étude, à l’image de la Commission Coulombe pour le milieu forestier, qui «pourrait être l’occasion de mener un débat de société sur la possibilité de nationaliser l’industrie minière, et, à plus long terme, sur l’option de réorienter l’économie vers d’autres secteurs d’activité plus avantageux pour la société aux plans économique et socio-écologique». L’analyse que j’ai faite dans mon livre sur l’Indice de progrès véritable, sur les enjeux des opérations dans le secteur en fonction des bénéfices pour l’État tenant compte des redevances (presque inexistantes) et des pertes de capital naturel, m’a amené à proposer une sorte de nationalisation. J’ai repris la réflexion en 2013 en écrivant le chapitre sur le développement minier pour le livre fournissant le portrait d’un Québec face à l’effondrement. J’y cite le rapport de vérification que j’ai produit comme Commissaire au développement durable qui souligne que, entre 2003 et 2008, «le gouvernement a dépensé en bénéfices fiscaux, en crédits d’impôt et en subventions directes pour l’exploration et l’exploitation plus de deux fois les bénéfices obtenus par les droits miniers. Cela n’inclut pas le coût du maintien du personnel du Ministère nécessaire pour (essayer d’) encadrer toute cette activité, ni, probablement, d’autres dépenses.»

C’est à l’image des activités dans le milieu forestier: l’intervention de l’État dans la partie extractive des opérations minières en est une de soutien et se fait à perte, l’État se tient à distance quant à l’exercice d’un contrôle sur les activités de transformation (quand il y en a) et il ne prend pas les mesures nécessaires pour obtenir un bénéfice positif de l’ensemble des opérations. Comme j’ai mentionné dans l’article sur le milieu forestier, c’est clairement le modèle d’Yvan Allaire qu’il faut regarder pour le secteur minier, même si le PQ et le PLQ rejettent l’idée, insistant pour continuer à donner les ressources minérales en échange d’emplois et occasions de construction d’infrastructures fournies par les opérations minières.

Handal Caravantes insiste sur la facilité avec laquelle les industriels pourraient contourner l’effort de saisir une partie de leurs profits par des jeux comptables (161-169). Allaire propose au contraire qu’il y a moyen de le faire et fournit, ce faisant, une composante clé d’un modèle où l’exploitation minière est conçue justement comme un effort de la part de la société de profiter de ses ressources non renouvelables, clairement l’objectif de Dépossession. Ceci exige de reconnaître qu’il s’agit d’une approche aboutissant à un épuisement des gisements et à un appauvrissement du capital de la société.

Le chapitre note presque en passant (154) que nous sommes, pour plusieurs métaux, dans une situation analogue à celle qui définit le pétrole, où les gisements «conventionnels» approchent l’épuisement et les nouveaux gisements sont plus difficiles d’accès et plus coûteux à exploiter. Cette situation fournit en même temps un signal quant au caractère non renouvelable de ces ressources et une occasion de reconnaître l’intérêt d’exercer un contrôle sur les ressources non conventionnelles qui seront exploitables, possiblement, dans les prochaines décennies (160-161). Cela fournit la contexte pour le titre de mon chapitre de 2013. «Développement minier dans la deuxième moitié de l ‘ère des métaux».

Un nouveau modèle à caractériser

Handal Caravantes a bien souligné la situation dans la dernière recommandation de son rapport de recherche de 2010, déjà cité, et qui ouvre la possibilité de «l’option de réorienter l’économie vers d’autres secteurs d’activité plus avantageux pour la société aux plans économique et socio-écologique». Ceci semble être sa réponse à l’argument des miniers à l’effet qu’une décision de ne pas exploiter les gisements au maximum comporte un risque que des substituts soient trouvés qui rendront aléatoires d’éventuelles rentes provenant des réserves déjà connues. J’aborde cette problématique dans mon propre chapitre écrit pour le livre Les indignés sans projets?

La conclusion du chapitre est percutante, revenant sur cette vision :

Les changements d’orientation proposés constituent une opportunité pour repenser complètement le secteur de l’extraction et en moderniser le cadre administratif, afin de lutter contre les injustices sociales, écologiques et économiques qui y sont associées. Idéalement, ces changements créeraient des espaces plus démocratiques, où l’on oserait remettre en question la viabilité – et peut-être même la pertinence – du secteur, mais l’on pourrait aussi anticiper l’ère postextractiviste à venir. (172)

Finalement, il faut que la société obtienne ce qui peut être obtenu, voyant les entreprises du secteur privé comme des contractuels auxquels la société fournit un rendement «raisonnable», mais cela à partir d’une position d’autorité sur les ressources et sur leur exploitation. À ce sujet, il est plutôt surprenant que Handal Caravantes ne fasse aucune référence au travail d’Yvan Allaire, qui rentre dans le détail de la proposition avec une expertise reconnue. La conclusion suggère, sans déployer une justification, qu’un taux de 10% prélevé sur la valeur brute de la production «nous semble raisonnable» (172) pour assurer un bénéfice pour l’État, mais tout le chapitre, tout le livre suggèrent plutôt une intervention plus radicale. La piste de l’IRIS ne sort pas le gouvernement d’une approche où il est «raisonnable» de laisser aux industriels du secteur une très grande partie des recettes, ce qu’Allaire appelle le surprofit, dans une perspective où le modèle productiviste est maintenu. Handal Caravantes insiste:

La logique marchande qui a animé les politiques étatiques dans le secteur, le cadre juridique permissif offert à ce dernier et les différents régimes de redevances mis en place, tous privilégiant les intérêts des minières, ont dépouillé l’État et la collectivité des ressources minérales en tant que telles, de tout pouvoir décisionnel quant è leur exploitation et ses conditions, ainsi que des potentielles retombées économiques associées au secteur. (169-170)

Comme pour le milieux forestier, tout le chapitre suggère une prise de contrôle par l’État de l’ensemble des opérations, cadre dans lequel les industriels seraient des contractuels permis de s’aventurer dans l’exploitation des ressources selon leur propre expertise, mais générant au maximum un profit raisonnable, l’État faisant valoir dès le début qu’il interviendra sur tout surprofit. Il est curieux que dans les deux cas la vision du nouveau modèle soit laissé ainsi sans traitement précis.

NOTE: Éditions Vie Économique a produit en 2012 un numéro spécial «Développement minier: vers un nouveau modèle pour le Québec» qui mérite bien la consultation.

 

Demain, le secteur de l’énergie, où la nationalisation a déjà eu lieu.

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