Anticosti : ni pour le fracking ni pour une protection intégrale

En 2003, Nature Québec (avec son ancien nom de l’Union québécoise pour la conservation de la nature – UQCN) et trois autres organismes sont intervenus pour contester un effort du gouvernement du Québec d’enfler grossièrement le pourcentage de son territoire qui était censé être protégé. Il incluait parmi les aires protégées presque toute l’île d’Anticosti ainsi qu’un grand territoire de mise bas du caribou sur la Côte Nord. Les quatre groupes, les principaux qui suivaient le dossier d’aires protégées dans la province, insistaient sur le fait qu’Anticosti n’était pas un territoire qui méritait la désignation d’aire protégée au sens strict mais que la province traînait le pied pour en désigner d’autres qui méritaient un tel statut. En 2006, comme président de Nature Québec, je suis intervenu devant une commission de l’Assemblée nationale, avec la responsable de sa commission des Aires protégées, pour réitérer cette position.

Le passé revient sur la scène

Mon jardin, avec ses chevreuils, ne mérite pas plus le statut d'aire protégée qu'Anticosti. Il mérite, par contre, d'être protégé, comme Anticosti, de toute intention d'exploitation par le fracking, une technologie aux impacts dévastateurs.

Mon jardin, avec ses chevreuils, ne mérite pas plus le statut d’aire protégée qu’Anticosti. Il mérite, par contre, d’être protégé, comme Anticosti, de toute intention d’exploitation par le fracking, une technologie aux impacts dévastateurs.

Récemment, en décembre, un journaliste de Cogeco Diffusion FM93 m’a contacté pour me rappeler de ces interventions, qu’il avait découvertes en faisant une recherche sur le site de l’Assemblée nationale ; il demandait si j’étais toujours du même avis concernant Anticosti. Je lui ai répondu que oui, et j’ai fait une courte entrevue. En février, un journaliste du Journal de Québec et de TVA m’a contacté en suivant la même piste, et avec la même question. Évidemment, leur intérêt était les déclarations du premier ministre Couillard quant au statut de «milieu naturel extraordinaire» ou «joyau naturel intact» que mériterait l’île, selon lui.

C’était fascinant de voir comment les moteurs de recherche de nos jours peuvent trouver presque n’importe quoi. C’était davantage fascinant de voir le Premier ministre intervenir d’une façon qui allait à l’encontre de tout ce qu’on connaît de lui en matière d’engagement environnemental – il n’en a pas – et cela en en fournissant un argument qui n’avait tout simplement pas de fondement. Mon soupçon :  Couillard arrivait finalement à comprendre que l’exploitation d’Anticosti, par le fracking pour le gaz et/ou le pétrole de schiste, ne se ferait jamais. Avec les travaux de Marc Durand pour le Québec et, plus généralement, de J. David Hughes pour l’Amérique du Nord, nous pouvions prétendre depuis le début que les coûts d’une telle exploitation ne se justifieraient jamais, même s’il s’y trouvait des gisements. M. Couillard avait finalement compris, et cherchait à se peinturer en vert sous – à mon avis – de faux prétextes. C’était presque grotesque.

Le 30 janvier dernier, dans Le Devoir, une vingtaine de personnalités avec – pour celles que je connais – une réputation qui méritent respect, est intervenue avec une sorte de manifeste qui soutenait qu’Anticosti est un joyau écologique et qui manifestait leur appui au positionnement de M. Couillard.

Anticosti est un joyau écologique situé en plein coeur du golfe du Saint-Laurent, vaste étendue d’eau bordée par cinq provinces, aux rôles et fonctions multiples. Ses écosystèmes, qui abritent une des plus importantes biodiversités du Québec, demeurent une des richesses exceptionnelles de notre territoire, et la science continue de déployer des efforts considérables afin de mieux comprendre ce milieu de vie complexe, qui constitue un pilier essentiel de notre économie régionale. Toute infrastructure pétrolière ou gazière sur et en marge d’Anticosti pourrait avoir des impacts non seulement sur l’île elle-même, mais aussi sur l’écosystème marin et côtier du golfe. C’est le cas, pour ne citer qu’un exemple, de la fragile métapopulation de saumons de l’île qui fut désignée comme « espèce en voie de disparition » par le COSEPAC, en 2010. Comment peut-on concilier notre obligation légale de protéger cette espèce emblématique (au caractère traditionnel pour les peuples autochtones) avec le développement pétrolier ?

Ma lecture du manifeste est à l’effet que c’était un travail plutôt magistral d’un agent de communications quelque part dans le gouvernement, qui a obtenu l’adhésion des signataires à un point qui méritait attention, mais qui n’était pas le sujet en majuscules dans le titre : ANTICOSTI : «L’avenir du Québec ne repose pas sur les hydrocarbures», selon le premier ministre. Des scientifiques confirment. J’ai appris presque aussitôt, par un article dans Le Devoir du même jour, que le cabinet du ministre de l’Environnement avait justement confirmé avoir sollicité l’appui des groupes et des scientifiques.

Fascinant, et inquiétant. En fait, Anticosti disparaît du manifeste (jusqu’à la mention du saumon à la fin) avant la fin de la première ligne, où une transition est effectuée, presque imperceptible et portant à confusion si relecture n’est pas faite, de l’île au golfe du Saint-Laurent. En fait, les signataires insistaient sur l’importance du golfe sur le plan écologique, et ils contestaient la volonté de procéder à du fracking sur l’île avec toutes les infrastructures qui seraient en cause. Déjà Martine Ouellet, quand elle était ministre de l’Énergie, avait souligné dès la première semaine de son mandat qu’elle ne voyait pas le jour où le fracking serait une technologie acceptable, tellement ses impacts sont dévastateurs. Mme Marois ne l’a pas soutenue dans cette position, et M. Couillard suit dans les traces de Mme Marois en voulant poursuivre ailleurs ce qu’il constate ne sera pas faisable à Anticosti.

Le journaliste de TVA m’est revenu plusieurs jours après, alors que je pensais qu’il était passé à autre chose, pour demander que je passe en entrevue. Je l’ai fait, en même temps qu’André Desrochers de l’Université Laval. Ce dernier, plutôt dans son style, a insisté sur l’erreur de M. Couillard mais en ajoutant que les groupes allaient être obligés de chercher d’autres arguments pour contester l’exploitation de l’île – il s’est déjà montré favorable à l’exploitation. De mon coté, j’ai essayé d’insister dans l’entrevue sur une volonté du Premier ministre de chercher une sortie du dossier qui lui fournirait en apparence des atouts. Je connaissais les (autres) arguments des groupes depuis probablement deux ans, et ne voyais pas d’avenir pour l’exploitation sur l’île (pas plus que M. Couillard, maintenant).

Le vrai débat et le débat tordu

Nous voilà aujourd’hui devant une situation où M. Couillard a déclaré qu’il n’y aurait pas d’exploitation sur Anticosti, où une telle déclaration donne toutes les apparences d’une intervention faite en fonction de connaissances probablement internes mais soupçonnées fortement depuis des années, mais où la véritable volonté du manifeste reste pertinente. Les signataires voulaient insister sur l’importance de protéger – non pas surtout Anticosti, qui va rester à l’épreuve des volontés des pétrolières maintenant révolues – mais le golfe du Saint-Laurent. Ils n’avaient pas de raison particulière de vouloir soutenir directement les déclarations du Premier ministre.

Ce qui est malheureux est qu’il n’y a justement aucune raison de croire que le gouvernement a abandonné ses intentions de développement économique par l’exploitation d’hydrocarbures dans d’autres parties du territoire du Québec. Le golfe est probablement et toujours dans sa mire. Les signataires du manifeste ont été presque bernés, ces signataires ayant surtout des connaissances et des expertises touchant le golfe, et non pas l’île. Étrange quand même que la démarche du cabinet du ministre de l’Environnement, par un intermédiaire quelconque, a gagné (temporairement) la bataille des communications.

Quant aux interventions des journalistes (voir un texte du Journal de Québec), quelques indications me laissent croire que leur intérêt journalistique ciblait l’intérêt économique de l’exploitation des gisements pétroliers et gaziers du Québec. Le débat centré sur Anticosti ne contribuera rien à cela, tellement c’est un dossier perdu d’avance pour les promoteurs,. Le ralliement des signataires à la conversion de M. Couillard aux convictions écologiques risque de se buter à la déception…

Une intervention récente de représentants de Nature Québec par un texte d’opinion dans Le Soleil revient sur tout ceci en fournissant d’intéressantes précisions et en faisant le point qui a été perdu de vue suite aux déclarations de M. Couillard, et peut-être par les journalistes: «Il n’y a aucune frilosité à défendre [Anticosti] et à constater que la fracturation hydraulique est incompatible avec son hydrologie particulière. Dire le contraire c’est mystifier les gens.» Comme le texte le dit explicitement, l’île d’Anticosti, ainsi que plusieurs autres endroits dans la province, recèle un intérêt qui mérite qu’on y apporte une certaine attention pour toutes sortes de raisons; comme je souligne implicitement en bas de vignette, tout le territoire mérite d’être épargné des ravages d’une exploitation par le fracking.

 

 

 

 

 

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6 Commentaires

  1. Je suis passablement d’accord avec H. Mead: le premier ministre utilise l’argument « environnemental » du pseudo joyau écologique d’Anticosti pour des retombées avant tout politiques. Se draper dans l’étendard vert du défenseur du chevreuil et du saumon, ça peut permettre de doubler le PQ par la gauche (comme Trudeau l’a réussi avec le NPD), mais ce n’est pas là la raison essentielle de son désistement dans le pétrole d’Anticosti. Le gisement n’est pas rentable et ne le sera jamais (http://bit.ly/1Sib33V). Le PM peut difficilement énoncer publiquement cette raison, car il devrait désavouer son propre ministère des Finances qui a produit un rapport très favorable au projet, mais en commettant une erreur de taille, qui double les ressources exploitables: http://bit.ly/1lqVU2L

  2. Alain Vézina

    Le fait de ne pas connaître Anticosti de façon appropriée me maintiendra en silence personnel. Probablement que de rehausser l’image unique d’Anticosti poursuit effectivement un pouvoir de fascination à effet politiques de toutes parts. C’est évidemment facile. Mais dans l’optique décrite par ce livre, il y a probablement lieu de considérer le paysage d’Anticosti non pour son caractère de nature unique mais pour sa participation à ce processus simultanément local et global.

    http://www.nytimes.com/2016/03/01/science/e-o-wilson-half-earth-biodiversity.html?_r=0

  3. Vincent Gerardin

    Harvey, je suis bien d’accord avec ton texte. L’on a beau prendre une position stratégique pour le futur en appuyant le PM – qui a tout sauf d’être un authentique politicien préoccupé par les CC, la conservation du patrimoine naturel, et l’île d’Anticosti -, ça ressemble à un pétard mouillé.
    Nous sommes devant l’un des problèmes propres à certains mouvements environnementaux, toujours prêts à encenser le PM, hier Charest, aujourd’hui Couillard, jusqu’à en faire des leaders. C’est de la pauvre stratégie qui cache trop souvent des intérêts corporatistes autres. Nous avons déjà vu ça avec cette vision d’un Plan Nord devenu un idéal pour la planète grâce à son objectif de protéger 50 % du territoire. Une farce humaine plutôt triste.

  4. Vincent,

    En effet, ma préoccupation n’est pas la bonne caractérisation d’Anticosti en termes de sa biodiversité – il y a pour cela certaines évidences -, mais le jeu politique qui se manifeste ici, du coté gouvernemental mais aussi du coté de la société civile. M. Couillard n’a certainement pas eu une conversion à la St-Paul pendant la COP21, même si le manifeste vient proche de le dire…

  5. Je comprends mieux mon malaise devant ce manifeste. J’ai questionné certains signataires. Le terme « joyau écologique » leur a sûrement échappé. Anticosti n’est pas un joyau « écologique », du moins dans sa partie terrestre. Celle-ci a en effet été complètement bouleversée par l’introduction d’espèces animales, dont le cerf de Virginie, à tel point qu’on doive adopter des mesures pour lui redonner sa composition forestière d’antan. Anticosti n’est pas, surtout pas, une « île vierge » ; elle est peuplée depuis fort longtemps, elle a été colonisée, altérée, exploitée pour son bois, sa faune et ses paysages.

    Cette île demeure tout de même un joyau de nature, de biodiversité, un lieu magique entouré d’un littoral splendide et parcouru de rivières aux eaux émeraude et aux chutes inoubliables. Une biodiversité indéniable et une géologie spectaculaire qu’il faut protéger.

    Quant à son éventuel pétrole, il sera toujours là. Peut-être un jour, lorsque les méthodes d’extraction et de transport s’appuieront sur de solides garanties environnementales et sur une acceptabilité sociale unanime pourrons-nous vraiment avoir l’heure juste sur ses réserves énergétiques. Mais ce n’est pas demain la veille…

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