Interlude: Hulot semble exposer un déni

Quand mon livre est sorti en novembre, aucun média écrit n’a jugé bon d’en faire un compte-rendu, voire en parler. Assez curieusement, dans la foulée de la démission de Nicolas Hulot comme ministre de la Transition écologique en France, plusieurs interventions dans la presse suggèrent qu’il a été lu, mais présumément jugé trop audacieux [pour une entrevue san prétention aux solutions, à Radio-Canada quatre mois après, voir ici]. Sous-entendu: les catastrophistes ont raison, mais c’est trop dur à gérer. D’autres le juraient tout simplement flyé.

Le dilemme sur la page d’Idées (et ailleurs) …

La page Idées du Devoir du 5 septembre souligne le dilemme. Francine Pelletier, qui exprime régulièrement son indignation, voire son désespoir face à notre incapacité à prendre les décisions qui s’imposent en matière d’environnement (au sens très large), manifeste sa déception face à cette situation, en ciblant la campagne électorale en cours. Elle présente une réflexion sur le mystère derrière le refus de la jeune génération à se montrer informée des défis qui nécessitent leur action.

Sur la même page, François Delorme, économiste à l’Université de Sherbrooke, débute son article «Les illusions perdues» en indiquant sa condescendance face à mon évaluation de la situation il y a deux ans. Ce serait apparemment d’autres interventions, de Jean Lemire et Patrick Lagacé, et surtout de Nicolas Hulot, qui l’amènent aujourd’hui à renoncer à ses illusions. Il cite Hulot à l’effet que c’est l’économie de marché qui est la racine même du problème, et un cancer pour l’environnement. Hulot ne croit plus que le changement nécessaire viendra, et, ajoute Delorme, lui non plus. Il termine en soulignant que «ce sont les jeunes qui portent l’avenir» et il leur cède la place. À suivre Pelleter et les sondages, ce ne sont pourtant pas ces jeunes qui voient clair, qui vont poser les gestes qui s’imposent.

Ces gestes incluent la reconnaissance générale par les économistes, et par les politiciens qui les suivent comme guides, que le système économique dominant est un cancer (Hulot et Delorme) et – impossible à imaginer – qu’il faut, aujourd’hui, constater l’urgente nécessité d’abandonner ce système, aujourd’hui. Cela irait de pair avec l’abandon du consumérisme ciblé par Delorme. En fait, il suggère l’abandon de l’automobile comme principal moyen de transport et l’abandon d’une diète carnivore en mettant de l’avant des mesures d’économiste pour montrer les illusions qu’il a perdues. Ce ne sont pas les jeunes auquels il faut penser pour relever le défi que Hulot insiste est pour maintenant. C’est nous.

En janvier dernier, après la sortie de mon livre, Josée Blanchette a préféré couvrir le livre Utopia XXI d’un Français, Aymeric Caron. Ce livre propose de rêver, « de nous arrêter et de réfléchir autrement en apportant des propositions rafraîchissantes face au marasme ambiant.» Dans sa chronique de vendredi passé, Blanchette semble elle-aussi reconnaître des «illusions perdues» et mentionne mon livre dans le paragraphe suivant celui où elle donne raison à Hulot. Elle me classe parmi les «éco-cyniques» ou les «éco-désespérés» ayant perdu la foi.

Je me considère en effet un «ex-environnementaliste» ayant perdu mon temps pendant 45 ans de combats, mais mon livre cherche à dessiner des éléments du monde que Delorme laisse aux jeunes à dessiner, un monde où nous aurons subi l’effondrement du système économique que nous refusons résolument à abandonner et seront confrontés à une absence de consumérisme et d’automobiles partout, d’une diète carnivore venant d’une agriculture industrielle qui devra être convertie en agriculture paysanne.

Finalement, Lionel Levac, qui avait signalé en juin dernier le livre plein d’optimisme et de déni de la Fondation Suzuki Demain, le Québec, est intervenu samedi dernier, encore une fois dans la foulée de l’intervention de Hulot, pour recommander mon livre à l’émission de Joël Le Bigot.

… qui doit se résoudre

Pelletier semble le dire de façon régulière: cela fait assez de discours sur nos problèmes environnementaux, sur les catastrophes climatiques, sur l’effondrement qui est, je suggère, à nos portes. Nous avons les analyses des scientifiques et d’autres experts sur ces enjeux depuis des années, voire depuis des décennies. Hulot a exposé un déni et une incompréhension portant sur les petits gestes, mais souligne que lui-même n’a pas beaucoup d’idées sur ce qu’il faut faire pour préparer l’avenir sombre qui nous guète. Ce qu’il nous faut, à travers le renoncement et l’abandon des illusions, est de chercher à décrire et à préparer ce qui nous attend – dans la mesure où nous pensons que cela vaut toujours la peine. J’en esquisse quelques lignes dans ce qui constitue les deux tiers du livre.

 

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5 Commentaires

  1. Sylvie Woods

    Bonjour M. Mead,

    M. Hulot a démissionné à la suite d’une saga médiatique dans les journaux nationaux français lorsque Brigitte Bardot, soutenue par sa fondation de protection des animaux, a traité publiquement Nicolas Hulot de «couillon» parce qu’il a consenti des droits de chasse à un lobby de chasseurs sur le territoire français. Cette saga a duré tout l’été et, à la fin de ses vacances estivales, coïncidence, Nicolas Hulot a offert sa démission à Macron par la voie de France Inter.

    On minimise dans cette affaire la sortie de Mme Bardot qui a jeté un doute profond sur la légitimité de Nicolas Hulot, qui faisait figure d’icone écologique en France à la suite de son livre Le Pacte écologique et de son passé médiatique (producteur d’émissions). M. Macron avait besoin de Nicolas Hulot pour cautionner ses politiques de croissance économique, surtout avec le réchauffement climatique qui commence à sévir brutalement en Europe et en Amérique, avec les incendies et les canicules incessantes de cet été. Le pouvoir doit s’asseoir sur une légitimité nécessaire à son maintien auprès de la population pour exercer sa fonction, tout comme M. Hulot. Il devait partir pour sauvegarder son image d’écologiste: elle commençait à se défaire, à la suite des sorties de la fondation de Mme Bardot.

    M. Hulot a été obligé d’admettre qu’il était impuissant à changer quoi que ce soit dans ce gouvernement et c’est ce qu’il a affirmé sur France Inter, autrement dit, que son rôle se réduisait à cautionner le gouvernement Macron. N’est-ce pas le même rôle que jouent les groupes environnementaux du Québec qui ont produit un petit document dans les médias pour donner une cote aux partis politique en fonction de leurs politiques environnementales, dénoncer la CAQ et un peu le parti libéral…

    Pour finir par conclure: tout de même tous les partis font consensus sur la nécessité d’agir face au réchauffement climatique! Quelle farce. Jamais ces groupes n’auraient eu idée d’évaluer les impacts destructeurs de la croissance économique du Québec dans ce document, ni mentionner sa dette écologique révélée par le Global Footprint Network parue cet été.

    Personne ne remet en cause leur légitimité comme environnementalistes en cautionnant de tels partis politiques. Je vous remercie de l’avoir fait en écrivant votre livre Trop Tard.

    • Merci de la note.

      J’ai regardé l’entrevue et trouvais que Hulot semblait vraiment ébranlé, et ses propos très justes. Peu importe qu’il ait pris sa décision finale face à l’expérience avec le lobby des chasseurs, il me semblait qu’il y avait plus que sa réputation en jeu, une découverte sur le tard qu’il fallait qu’il regarde la situation en face.

      D’accord sur l’incapacité des environnementalistes de sortir de l’inertie des décennies consacrées vainement à l’effort de faire ce que Hulot semblait penser pouvoir faire avec Macron. Finalement, ils cautionnent surtout le système économique lui-même, ce que Hulot rejette explicitement, et dont le rejet constitue la trame de fond de mon livre.

  2. Pierre Alain Cotnoir

    Yves Cochet qui fut lui-même ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire au sein du gouvernement de Lionel Jospin en 2001, mais qui démissionna un an après, est interviewé sur la chaîne Next en décembre 2017 et à la question de savoir ce qu’il conseillerait à Nicolas Hulot, alors devenu ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire au sein du gouvernement Macron a produit des conseils devenus prophétiques qu’on peut entendre à 18 min 10 sec: https://www.youtube.com/watch?v=3NCrj_fa2hU Par ailleurs, je vous suggère d’écouter l’ensemble de l’entrevue.

  3. Sylvie Woods

    Bonjour M. Cotnoir,

    Merci pour la référence de M. Cochet, militant écologiste de la première heure et politicien hors norme qui ose aborder la réalité telle qu’elle se présente actuellement en regard du réchauffement climatique et de la destruction des écosystèmes planétaires. Pour M. Hulot, l’important est que sa démission du gouvernement Macron annoncée sur France Inter en direct ait été faite dans l’optique d’un appel à la mobilisation de la population civile. Invitant la population à prendre en main ses responsabilités plutòt que de s’en remettre aux politiciens actuels.

  4. Pierre Alain Cotnoir

    La question de l’urne

    Au cours de cette campagne électorale qui s’étiole pour quelques jours encore lamentablement, les défis découlant de la crise écologique ont été tassés sous le tapis. Les grands partis se sont plutôt empressés de dérouler une liste de « cadeaux » soi-disant pour les familles, la classe moyenne, les contribuables jusqu’à plus soif!

    Dans un texte, intitulé « L’impasse », publié dans l’autgauche en février dernier, je faisais part des difficultés de mobilisation autour du défi de l’heure (https://lautgauche.com/?s=impasse), or le seul parti qui en a reconnu l’urgence absolue c’est Québec solidaire.

    Bon, certains diront que ce parti n’a pratiquement aucune chance de former le prochain gouvernement, je leur réponds: le PQ pas plus. Nous allons donc devoir subir à compter d’octobre un gouvernement bien campé dans la droite la plus hypocrite. Entre Couillard et Legault, c’est comme devoir choisir entre Charybde et Scylla. Pire, diront les cyniques, avec la division présente du vote francophone, chaque vote quittant la CAQ pour le PQ donne de l’espoir aux libéraux de Sagard et de Power Corp. Pourtant il me semble qu’on les a assez vus; je ne dis pas que les caquistes seront mieux, mais ce sera comme changer de l’emprise du St-James Club pour celui de la chambre de commerce de Ste-Pétronille ou de St-Georges de Beauce. Donc face à ce fiasco électoral annoncé, il est plus que temps de voter selon ses convictions.

    L’anthropocène ne se résume pas à une vision de l’esprit imaginée par des écolos gauchistes, même le secrétaire général de l’ONU tire la sonnette d’alarme! Car les crises qui s’annoncent feront passer les signes avant-coureurs actuels du dérèglement climatique pour des peccadilles.

    Aussi le seul parti capable d’élire des députés et reconnaissant qu’il s’agit de « la question de l’urne » demeurant Québec solidaire, mon vote ira vers lui.

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