Le bilan
Martine Ouellet avait montré pendant des années dans l’opposition qu’elle avait une maîtrise de ses dossiers touchant les ressources naturelles. Il n’a pris qu’une semaine pour voir cette maîtrise rejetée par la Première ministre, une fois le PQ porté au pouvoir. Alors qu’elle s’est exprimée à l’effet qu’elle ne voyait pas le jour où la technologie du fracking pourrait être justifiée sur le plan environnemental, elle a été convertie rapidement en une ministre qui prônait l’exploitation des ressources énergétiques nécessitant cette technologie, au cas où il y en ait sur le territoire québécois.
On comprend assez facilement que la ligne de parti transforme l’expertise de certain(e)s en positionnement plutôt flou, pour la cause. Ce qui est bien plus intéressant dans ce cas est le positionnement de la Première ministre, dès son accession au pouvoir. Ce positionnement était le reflet de plus de trente ans de connaissances approfondies des enjeux auxquels les gouvernements doivent faire face. Pour le commun des mortels, comme pour les premières ministres, l’exploitation des réserves d’énergie fossile représente une entrée dans le monde des riches, à l’instar des Arabie saoudite, Norvège et Alberta de ce monde.
Le gouvernement péquiste n’avait pas besoin d’attendre le plus récent rapport de la Chaire en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke pour savoir que l’avenir des finances publiques comporte des risques exceptionnels. Assez clairement, mais sans le dire aussi ouvertement que le Parti libéral et la CAQ, la priorité pour le gouvernement était le développement économique et les revenus qu’il pouvait imaginer associés à du succès de ce coté. Ont suivi aussi une série de mesures fiscales qui cherchaient à réduire les dépenses, histoire d’atteindre un budget équilibré le plus rapidement possible (mais pas aussi rapidement que voulu…).
Au fil des 18 mois au pouvoir, le gouvernement Marois a donc transformé des engagements électoraux de caractère social-démocrate en modulations des décisions libérales et a pris le chemin du développement pétrolier : appuis aux projets de pipelines (et par implication, à au moins une installation portuaire pour le transbordement) et annonce de l’intention de faire de l’exploration à Anticosti et dans le Golfe du Saint-Laurent pour voir le potentiel. (En parallèle, on doit noter en passant sa reconnaissance du bien-fondé politique de l’opposition populaire à l’exploitation gazière dans les régions habitées de la vallée du Saint-Laurent.)
Le gouvernement a annoncé en même temps son intention de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) du Québec, non pas de 20% comme proposait le gouvernement Charest, mais de 25%, la cible minimum proposée par le GIEC. Au fil des mois, l’engagement s’est montré irréaliste, et le plan d’action sur les changements climatiques promis par le ministre de l’Environnement est resté un plan non produit. La Commission sur les enjeux énergétiques du Québec (CEÉQ) a été mise sur pied avec l’intention probable et tout à fait acceptable de faire le portrait de la situation et fournir des perspectives pour les prochaines années, voire décennies; pourtant, toute une série d’annonces dans le domaine énergétique a été faite avant même le dépôt du rapport de la CEÉQ. Et ce rapport soulignait l’irréalisme de l’objectif d’une réduction de 25% des émissions de GES.
Les objectifs économiques du gouvernement n’arrêtaient pas là. Les grandes orientations du Plan Nord du gouvernement Charest étaient retenues, sans le moindre effort de prendre en compte et de comptabiliser les émissions de GES qui pourraient y être associé. À l’automne, le BAPE, cherchant à concilier l’intérêt économique du projet et les importantes émissions de GES qui seraient produites, a recommandé le projet de construction d’une grande usine d’engrais dans le parc industriel de Bécancour favorisé par le gouvernement. Dans les mois précédant la campagne électorale, le gouvernement a même annoncé un autre grand projet, celui de la cimenterie de Port Daniel, en Gaspésie. Encore une fois, le gouvernement investissait dans un projet qui rendrait davantage irréaliste la volonté exprimée de réduire les émissions de GES à -25% celles de 1990, pour 2020.
Dans mon analyse du rapport de la Chaire en fiscalité et en finances publiques déjà mentionnée, j’ai souligné les œillères qui caractérisent le rapport. Celui-ci souligne, sur la base de données et de projections sérieuses, une situation «apocalyptique» – le terme est du directeur de la Chaire, Luc Godbout – pour les finances publiques, soit des déficits structurels permanents se mettant en place dans les prochaines années. Des scénarios pour éviter un tel résultat comporte des décisions politiques et des changements de comportement finalement irréalistes – aussi irréalistes que les scénarios qui cherchent à nous montrer des voies pour éviter l’emballement du climat, et dont le rapport ne parle pas.
Comme finalement presque tous nos politiciens, le gouvernement Marois portait les œillères des économistes et cherchaient à éviter la situation «apocalyptique» projettée par eux, en fonçant sur le développement économique. Comme d’habitude, les externalités ne figuraient pas au même plan dans ses calculs. Pourtant, le geste d’enlever les oeillèures – un geste tout à fait raisonnable – aurait montré que la poursuite tous azimuts du développement économique risquait de se faire au dépens de l’autre «apocalypse», celle des changements climatiques. Il n’y a presque pas de gestes sur le plan économique qui va dans la bonne direction à cet égard.
Et la projection
Le gouvernement Couillard débute en mettant les œillères de façon explicite. Le nouveau premier ministre se distinguait des autres chefs pendant la campage en insistant : la priorité est l’économie et les emplois, dit-il, et l’environnement est une préoccupation bien secondaire. Le gouvernement socialiste de François Hollande a vu les mêmes défis il y a deux ans, et a promis de mettre l’accent sur la croissance économique comme moyen d’éviter le mur. Les récentes élections municipales en France consacrent son échec à cet égard.
Il y a lieu de croire que le gouvernement Couillard, ayant déjà en ce sens des orientations encore plus explicites que les socialistes, voire les péquistes, risque de se buter à une situation analogue. L’équipe de Luc Godbout projette une croissance économique pour la période de 2015 à 2050 entre 1,4% et 1,3%, même si des économistes au ministère des Finances (et M. Couillard) ne peuvent éviter la tentation d’espérer plus. Alors que les économistes jugent mystérieux les fondements qui exigent de telles projections à la baisse, ils semblent reconnaître que la croissance économique est en déclin aussi dramatique que la croissance démographique et que ces tendances sont permanentes.
Le gouvernement Marois n’a pas voulu débattre de son budget déposé à la veille du déclenchement des élections. Le gouvernement Couillard va débuter son règne avec le dépôt d’un budget. À l’image de ses engagements, il va projeter un développement économique tous azimuts, suivant à maints égards les orientations du gouvernement Marois et du gouvernement Charest. Digne du modèle fourni par le gouvernement Harper, on peut présumer qu’il n’y aura plus de sérieux engagements – et surtout pas de gestes – en matière d’émissions de GES.
Reste que la croissance économique anémique et en déclin depuis des décennies – pour devenir nulle ou négative? – ne semble pas si mystérieuse que cela. Dans le fond, tout en reconnaissant d’autres facteurs, il semble raisonnable d’y voir l’impact de nos déficits écologiques cumulatifs, traduit par la hausse de prix de nombreuses ressources, surtout celles énergétiques. Les récessions depuis des décennies ont suivi des hausses du prix du pétrole…
Un refus d’adhérer à des objectifs jugés essentiels et urgents par le GIEC ne changera pas beaucoup la donne. Les coûts se manifestent de plus en plus, et la hausse de ces coûts risque d’être aussi permanente que les baisses démographiques et de croissance économique. Il y a raison de croire que le gouvernement Couillard sera pendant 4 ans ce que le gouvernement Marois cherchait à éviter pendant ses dix-huit mois, un gouvernement obligé de gérer les effondrements du modèle économique en cours, quitte à empirer la situation en fonction de son port d’œillères. Le gouvernement Couillard risque de connaître l’expérience du gouvernement Hollande.
Une piste de transition
L’équipe de Godbout a choisi de ne pas faire des changements dans les politiques fiscales actuelles pour fonder ses projections. Québec solidaire propose dans ses interventions de changer ces politiques fiscales et de chercher ainsi une augmentation des revenus de l’État auprès des plus riches de la société. Il est certainement possible d’aller chercher de nouveaux revenus de cette façon, et c’est une façon d’éviter les perturbations sociales qui viendront des efforts de réduire les dépenses gouvernementales par les programmes que l’on appelle d’austérité.
L’approche de Québec solidaire suit néanmoins celle des économistes avec leurs œillères, en oubliant de comptabiliser les autres coûts «apocalyptiques» associés aux externalités environnementales et sociales. Même si QS, contrairement aux autres partis, reconnaît ces externalités, son bilan est incomplet. Intégrer de tels coûts dans le calcul permettrait à QS de mieux situer ses propositions, dans le cadre d’une «transition» qui ne sera ni écologique ni sociale – ni douce – comme nous la voudrions, mais qui nous permettrait d’être mieux positionnés face aux effondrements du système. Il y a risque qu’une sorte de souveraineté vienne d’elle-même.
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L’approche de QS en matière de réduction de GES demeure irréaliste. Prétendre être en mesure de réduire de 40% notre production de GES sous le seuil de 1990, en six ans (voir page 9 de leur document électoral « Plan de sortie du pétrole 2015-2030: « Au cours de cette première période, Québec solidaire a comme objectif de réduire les émissions de GES de 40% par rapport à leur niveau de 1990, la seule cible raisonnable pour que nos émissions correspondent aux capacités physiques de la planète. »), c’est raconter n’importe quoi. Mettre en place un réseau efficace de services de transport collectif, ça se fait sur 20 ans, entre le moment de la décision et celui où son impact devient significatif. Remplacer un parc automobile, ça prend au minimum 15 ans pour s’accomplir. Or, rien que pour celui du Québec, comprenant plus de 4 millions et demi de véhicules, il faudrait en 6 ans en remplacer plus d’un million et demi par des voitures électriques sinon hybrides. J’ai écrit irréaliste… je devrais écrire utopiste, sinon mensonger.
Par ailleurs, le déploiement des transports collectifs ne peut être une solution « passe-partout ». L’aménagement urbain actuel et les conditions existantes de desserte en services risquent de rendre caducs tous les efforts allant dans ce sens. Repenser le développement urbain et péri-urbain n’est pas une mince affaire. Tentez de convaincre le maire de Mirabel du bien-fondé d’une telle approche… ou même le maire Labeaume d’une ville étendue comme Québec.
Avec les libéraux au pouvoir de nouveau à Québec, plus intéressés par leur poche que par des solutions aux problèmes, ce n’est pas demain la veille où l’on prendra les devants pour s’attaquer à ceux-ci. Les minces efforts que vous jugiez avec raison timides du gouvernement Marois seront bien vites balayés pour permettre aux petits amis de se remplir les poches.
Alors j’en reviens, ici comme pour plus globalement, à ce simple constat: ce n’est que lorsqu’il sera trop tard que cette civilisation commencera à réagir. Mais de quelle manière? J’ai bien peur que ce soit par une fuite vers l’avant dominée par des politiques populistes du genre « chacun pour soi » menées par des gouvernements de plus en plus autoritaires… et ce jusqu’à l’effondrement. On aurait pu espérer que l’attachement du petit peuple qui vit ici à des valeurs collectives et au bien commun puisse servir à infléchir un tantinet ce parcours. Il me faut donc constater qu’il n’en sera rien. Avec des politiciens comme Legault et Couillard, on fonce tout droit vers le mur en chantant qu’il faut faire le ménage!