Paris 2015 (3)

Dans mes articles Paris 2015 (1) et Paris 2015 (2), je mets un accent sur l’impossibilité technologique et politique derrière l’effort de préparer un accord sur le climat à Paris l’année prochaine, accord qui pourra respecter le budget carbone établi par le GIEC. Ce qui commence également à paraître partout est l’impossibilité économique ce cet effort, mené par des économistes qui ne peuvent pas remettre en question leur modèle, leurs carrières. Dans sa chronique du samedi 30 août, intitulée «La Grande Dépression (bis)», Éric Desrosiers du Devoir fournit des éléments de cette autre piste manquante dans le travail préparatoire de Paris 2015.

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Desrosiers détaille les constats d’économistes sur l’ensemble des économies des pays riches, constats qui aboutissent à la conclusion que la «reprise» n’a pas eu lieu après six ans, que cette reprise n’aura pas lieu. Parmi les plus frappants, la récente baisse de la projection de croissance des États-Unis pour 2014 à 1,5%.

Ces constats rejoignent ceux d’un éditorial par Serge Truffaut le 25 août inspiré par une intervention de l’économiste principal du Mouvement Desjardins, qui projette ce que la tendance montre depuis des décennies, que la croissance du Québec, du Canada, des pays riches en général, tend vers zéro (voir le graphique à cet effet dans un autre article[1]).

Ce qu’aucun de ces intervenants ne souligne est que de telles perspectives négatives n’intègrent même pas les coûts des externalités de cette activité économique en fin de régime, et que le Fond monétaire international (FMI) propose d’intégrer par nécessité dans le bilan.

Il est donc déconcertant de voir Desrosiers conclure sa chronique avec un appel comme celui du DDPP pour une «transformation» de nos économies en ciblant la technologie comme planche de salut face à la menace des changements climatiques, tout en soulignant qu’il en va de notre prospérité, voire de notre survie. Son collègue Gérard Bérubé aborde le défi d’une autre façon en faisant un reportage sur la croissance faible du Québec par rapport à celle du reste du Canada. Ce que Bérubé ne note pas est que la croissance du reste du Canada dépend pour son caractère positif de l’exploitation des sables bitumineux et, dans une moindre mesure, de celle du pétrole offshore à Terre-Neuve-et-Labrador. Lui aussi aboutit donc aux changements climatiques comme source du défi, sans le reconnaître.

Il est fascinant de voir toute cette réflexion par des économistes et par des journalistes couvrant les dossiers économiques commencer à aboutir à une autre de la part des non économistes, comme Serge Truffaut. «Croissance économique dans le monde», titre de son éditorial, présente plus ou moins le même portrait que Desrosiers, un essoufflement et des projections de croissance économique à la baisse, finalement, «une remise en cause du dogme de la croissance et la mise en lumière de l’indifférence des économistes pour les conséquences environnementales» de notre activité économique.

Desrosiers et Truffaut utilisent comme référence Larry Summers, chef économiste pour Bill Clinton et grand architecte de la déréglementation des milieux financiers à la fin des années 1990. On peut penser qu’il s’agissait d’un geste presque de désespoir tellement cela ne semblait pas avoir de sens aux yeux des non économistes. Truffaut reprend son principal intérêt dans l’éditorial du 25 août, pour les emplois, dans un éditorial le lendemain, mettant presque de coté le signal d’alarme de la veille ; ceci est presque sans surprise, lorsque l’on pense que son éditorial de la veille représentait une rare intervention dans le domaine économique par un non économiste. Desrosiers le résume plus directement: «tous ces phénomènes en ont amené certains, comme l’ex-secrétaire américain au Trésor, Larry Summers, à presque jeter l’éponge en affirmant que nous étions désormais entrés dans une période de « stagnation de longue durée».». Luipour sa part, semble préférer se réfugier dans l’espoir tout court, comme le DDPP, mais il est beaucoup trop perspicace pour ne pas revenir sur le sujet[2].

MISE À JOUR: Tout récemment, Graham Turner a publié une nouvelle réflexion sur les correspondances entre le scénario de base de Halte à la croissance et les données des quatre dernières décennies, qui en corroborent les projections. Dans le récent document, Hughes cherche à rendre plus explicite le fonctionnement du modèle de Halte et les phénomènes contemporains associés, en particulier, au pic de pétrole. Turner y discute brièvement l’analyse du modèle de Halte de l’approche fondée sur un espoir dans la technologie, fondamental pour le DDPP; les données pour le scénario de la technologie compréhensive de Halte sont fournies dans son document de 2012, «On the Cusp of Global Collapse?».

 

 

[1] Un éminent économiste québécois que j’ai consulté sur ce graphique reconnaît la tendance et souligne que les économistes le considèrent un «mystère». De nombreuses analyses présentées dans ce blogue suggèrent qu’il s’agit de l’effet des limites biophysiques rencontrées «mystérieusement» au fil des décennies, et qui arrivent aujourd’hui à tout simplement annuler l’illusion de croissance représentée par le PIB.

[2] Je me suis permis un commentaire sur sa chronique, à même les pages du journal :

Je m’attendais à une autre conclusion pour le portrait brossé par Desrosiers. Et à cet égard, je m’attendais à ce que Desrosiers mentionne la Deuxième Guerre mondiale comme étant impliquée dans la «reprise» après l’autre dépression.

Dans de récents articles sur mon blogue, je commente deux interventions récentes du Fonds monétaire international (FMI) qui insistent sur la nécessité d’intégrer dans nos bilans les coûts des externalités de notre activité économique – des coûts énormes – ainsi que l’initiative du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP), qui cherche à fournir des pistes pour les Nations-Unies, surtout technologiques, pour un accord sur le climat qui respectera le budget carbone établi par le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat.

La lecture de ces documents n’aboutit pas à la conclusion de Desrosiers dans cette chronique. Selon ma lecture, un accord sur le climat est une impossibilité économique, technologique et politique, et cela annonce – c’est déjà annoncé – une autre guerre à mener, une guerre qui se fera en fonction de notre dépendance presque absolue à une énergie fossile bon marché pour nos économies.

Celle-ci, devenant de plus en plus chère, se cache derrière toutes les données économiques dont il est question ici. Nous avons dépassé les limites dans notre poursuite, finalement une illusion, d’une «prospérité» matérielle et une «vigueur» économique qui ne reconnaissent pas de limites.

 

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