Nos risques avec l’énergie

Dans mon livre de 2017 Trop Tard, j’ai souligné le rôle de l’économie biophysique pour une meilleure compréhension de la situation planétaire. J’y ai souligné également le déficit dans les projections pour la demande par rapport à la production prévue, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (l’AIÉ) en 2008. Joseph Tainter et Tadeusz Patzek en ont examiné les implications dans leur livre de 2011 Drilling Down : The Gulf Oil Debacle and Our Energy Dilemma. Un graphique de ce livre, que j’ai reproduit dans le mien, rend presque dramatique celles-ci.

Figure 1

En 2019, Yves Cochet a publié le livre que j’ai mis en évidence dans le dernier article, Devant l’effondrement. J’étais surpris d’y voir – pour un Européen – sa présentation de l’économie biophysique (presque inconnue en dehors des États-Unis, où Charles Hall et Kent Klitgaard en développent ses implications) comme clé pour son analyse aussi. Il y suit dans son chapitre 3 les concepteurs de cette économie en insistant sur l’importance cruciale de l’énergie dans la compréhension de la situation. Les sections se suivent : le peak oil; le rôle des rendements énergétiques (les ÉROI) de différentes exploitations; l’impossible découplage de l’économie de ses fondements dans le monde matériel (contrairement aux conceptions de l’économie néoclassique).

En février 2019 [1], Matthieu Auzanneau, directeur du Shift Project de Jean-Marc Jancovici, a fait une présentation, à partir des plus récentes données de l’AIÉ, des perspectives en ce qui concerne l’approvisionnement en pétrole (conventionnel); la présentation est générale, mais cible en particulier la situation à laquelle se confronte l’Europe. Encore une fois, la question d’un déclin dans notre approvisionnement en pétrole conventionnel nous met devant le risque d’effondrement qui est le sujet du livre de Cochet. En septembre 2020, une étude du Shift Project présentait une sorte de mise à jour [2].

Énergie ou émissions?

Ces analyses se situent dans un contexte où tous les décideurs de la planète, l’ensemble des scientifiques, portent leur attention sur les changements climatiques, dont l’effort de rendre l’Accord de Paris d’une certaine utilité alors que ses objectifs sont sérieusement déficients. Il n’y a presque pas de pays ou d’organisations qui ne sont pas dans le processus de préparer la « transition énergétique ». Presque sans exception, l’effort vise à remplacer les systèmes énergétiques actuels par des systèmes fondés sur les énergies renouvelables. Nulle part ou presque on ne voit impliquée une réduction de la consommation totale de l’énergie comme objectif complémentaire. The Green New Deal, dont on parle maintenant depuis quelques années, entre dans une telle perspective, et les interventions de la nouvelle administration Biden dans ce domaine semblent adopter la même approche. Une des principales sources des scénarios, et d’un ensemble des informations, semblent venir de Net-Zero America, un rapport de décembre 2020 d’un groupe basé à Princeton.

Dans son tout récent article sur son blogue, Gail Tverberg souligne la taille du défi avec un graphique et procède, dans le détail, à développer le thème de l’article, qui s’intitule How the World’s Energy Problem Has Been Hidden.

Figure 2

En résumé, son constat est :

Scientists modeled the wrong problem: a fairly distant energy problem which would be associated with high energy prices. The real issue is a very close-at-hand energy shortage problem, associated with relatively low energy prices. It should not be surprising that the solutions scientists have found are mostly absurd, given the true nature of the problem we are facing.

Elle illustre la situation avec un graphique, qui résume justement le rôle de l’énergie. Elle permet un certain niveau de vie (le bleu) et tout surplus d’énergie génère une amélioration dans ce niveau de vie (le rouge). Le rouge est aujourd’hui disparu et bleu est en déclin. Disons que c’est image de l’effondrement.

Figure 3

En effet, et pour moi c’est la première fois qu’elle est aussi explicite, Tverberg rejoint avec cet article nous les collapsologues. Le défi énergétique actuel, dit-elle, ressemble à celui qui a abouti à la Première guerre mondiale, à la Grande dépression et à la Deuxième guerre mondiale… Ses sources pour les questions d’énergie sont le Statistical Review of World Energy 2020 de BP et le Global Energy Review 2021 de l’AIÉ. Elle aborde la question dans le cadre de préoccupations pour des limites auxquelles nous nous approchons, en eau potable, en production alimentaire et, à la source de nombre de ses problèmes avec des limites et l’implication, dans nombre d’eux, d’une énergie qui est en train de manquer, en termes per capita et en termes absolus. Elle va jusqu’à suggérer que le rôle dominant du véhicule personnel pourrait bien être en déclin d’ici seulement cinq ans…

Cela fait quand même des années que nous voyons assez clairement que les avancées des énergies renouvelables ne permettent nullement de les voir capable de remplacer, en qualité et en quantité, les énergies fossiles (voir la Figure 2 pour une idée du défi). Tverberg fait des billets sur ce thème depuis longtemps. En fait, cette tendance de fond fait partie de l’adhésion au modèle économique visant la croissance et incapable de penser en d’autres termes, y ajoutant la confiance extrême dans la technologie pour rendre le tout cohérent. Chez nous, dans un récent article du Devoir, Gaétan Lafrance, expert dans le domaine des énergies pendant une carrière qui a couvert plusieurs décennies, ouvre le bal en soulignant que «les cibles nord-américaines sont ridicules et imaginaires».

En référence indirecte à la présentation d’Auzanneau mentionné plus haut, et en reconnaissance des énormes contraintes en termes d’un approvisionnement en énergie dans les prochaines années auxquelles fait face l’Europe, Lafrance note :

les cibles de la COP21 proposées par la plupart des pays européens sont crédibles parce qu’en gros ces pays ont respecté leurs engagements passés, dont ceux de Kyoto. Ils y ont cru dès le départ en investissant massivement en R et D, pour le développement de l’éolien par exemple. La réglementation a fortement été utilisée pour forcer les consommateurs à choisir la meilleure technologie et augmenter l’efficacité énergétique dans les bâtiments. La guerre contre le charbon existe depuis longtemps. Récemment, ces pays se sont engagés à interdire le moteur à combustion dans les villes d’ici 2040 au plus tard. L’électrification des transports n’est pas qu’un slogan, ça a commencé par le train il y a fort longtemps. L’étalement urbain a également été jugulé grâce à des lois puissantes.

Il conclut en soulignant que «l’exagération ne sert personne. Le combat contre les changements climatiques est une affaire d’État qui concerne un grand nombre d’acteurs. La dépolitisation, la rigueur et l’humilité, comme on a fait preuve en partie avec la pandémie de la COVID-19, seraient certainement des facteurs plus pertinents à considérer.»

Lafrance est parmi les analystes, comme Éric Pineault, qui pensent toujours que la «transition» est possible. Pineau cite quand même Yves-Marie Abraham, bien connu pour son rejet de la croissance identifiée comme fondement de tout le système. Abraham, pour sa part, est intervenu récemment aussi:

Une « relance verte », cela n’existe pas et cela ne peut exister. Que signifie cette expression ? Elle désigne en l’occurrence un soutien étatique à la croissance économique, c’est-à-dire à la production et à la vente de marchandises sur le territoire canadien, mais orienté de telle sorte que cette croissance n’implique pas en principe de nouvelles dégradations sur le plan écologique. Or, nous savons aujourd’hui que ces deux objectifs sont contradictoires.

Abraham note la contradiction dans des aperçus des activités prévisibles, dans les économies canadienne et québécoise, en soulignant que «la catastrophe écologique en cours ne fera que reprendre de plus belle. Il n’y aura donc pas de «relance verte» ou «propre». Tant qu’à parler de catastrophe, le plan Biden nous offre une idée plus englobante de ce qui se propose, dans le déni de la situation et de l’obligation d’abandonner la lubie de la croissance. J’y reviendrai.


[1] Dans une communication personnelle, Philippe Gauthier semble remettre en question l’analyse d’Auzanneau en m’informant que «depuis, l’agence s’est ressaisie et parle maintenant d’un «pic de la demande», plutôt que de l’offre. Il faut aussi observer que le pic proposé n’est suivi d’à peu près aucun déclin jusqu’en 2040 au moins…» J’imagine que ce changement d’approche n’a quand même pas comporté un changement dans les données de 2019 mais plutôt dans les interprétations et dans les projections…

[2] Le Shift Project a publié une sorte de mise à jour de ce scénario en septembre 2020. Il s’agit de The European Union Can Expect to Suffer Oil Depletion by 2030. Il précise: De 2019 à 2030, le volume total produit par ceux qui approvisionnent l’UE actuellement va vraisemblablement diminuer jusqu’à presque 8%, selon une analyse qui fournit un niveau de détail qui n’était pas disponible jusqu’ici par aucune étude publique; ce rapport est fondé surtout sur des estimés de la capacité de production de brut globale fournis par une agence de surveillance norvégienne, Rystad Energy.

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Retour à l’anormal?

Cela fait un an que j’ai alimenté le blogue pour la dernière fois. En bonne partie, mon absence était due à la maladie, mais une partie de cette absence tenait de mes difficultés à voir clair dans ce qui se passait et, surtout, à ce qui allait se passer. Ces difficultés sont reflétées dans cette première (longue) intervention de ma part depuis un an, où je fais part de mon sens qu’il n’y a pas grand’ monde qui intervient dans le sens de l’anormal d’Alain Deneault (voir plus bas). Je n’ai pas suivi tout ce qui se passait, tout ce qui s’écrivait, et j’offre les réflexions ici, en partie, comme invitation aux lecteurs de compléter ma courte bibliographie et la réflexion elle-même. J’ai l’impression que ce sont les Français, dont Pablo Servigne, avec son Comment Tout peut s’effondrer : Petit manuel de collapsologie de 2015, et Yves Cochet, avec Devant l’effondrement : Essai de collapsologie, de 2019 qui cherchent à pousser sur le sens de l’anormal, connu depuis le livre de Servigne, non autant comme la décroissance, mais comme la collapsologie. Je me dirigeais en ce sens lors de mon départ du bureau du Vérificateur général au début de 2009, mais cela a nécessité les Français pour m’aider à avancer dans la réflexion.

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Depuis deux ans, et mis en exergue par la pandémie dans mes propres réflexions, deux de mes sources préférées (et cela depuis des décennies) ont signalé une source d’alarme par la publication d’un nouveau livre. Jared Diamond a publié en 2019 Upheaval : How Nations Cope with Crisis and Change, une sorte de suite à Collapse : How Societies Choose to Fail or Succeed (2005) avec un titre évoquant la thématique de l’effondrement de l’original de 2005.  La table avait été mise en 1997 avec Guns, Germs and Steel : The Fates of Human Societies. Finalement, le livre n’avance pas la réflexion, et cela est signalé par le court texte de Wikipedia qui en parle.

Moisés Naím of The Washington Post states : « In the same way that his previous and far more rigorous work, Guns, Germs, and Steel, suffered from an excessive reliance on geography to explain complex, multidimensional events, Upheaval suffers from an overreliance on psychology. But in some ways, it doesn’t matter. Though the analysis stumbles, the virtues of Diamond’s storytelling shine through. Ignore his attempts to force the therapeutic 12-step onto history. Ignore also his correct but unsurprising musings about the dangerous threats facing humanity (nuclear weapons, climate change, resource depletion and inequality). Instead, let this experienced observer with an uncanny eye for the small details that reveal larger truths take you on an expedition around the world and through fascinating pivotal moments in seven countries. Upheaval works much better as a travelogue than as a contribution to our understanding of national crises. »

Colin Kidd of The Guardian writes : « Diamond’s methods – drawing direct parallels between personal and national trauma, and between the psychology of individuals and the character of nations – are not those practised by historians, who tend to emphasise the particularity of circumstance and the intricate unrepeatability of events. Diamond nonetheless plots in counterpoint the various predicaments he discusses, alert, in as non-deterministic a mode as he can manage, to the open textures of historical possibility. The prophet spares us chiselled commandments, but we have been warned. »

Finalement, Diamond se trouvait confronté à écrire un livre sur la société moderne face à l’effondrement ou un livre qui abandonnerait cette entreprise et qui poursuivrait la réflexion de 2005. Il a choisi la deuxième option, et le lecteur se trouve figé dans le temps de la réflexion.

Thomas Homer-Dixon a contribué d’importantes, et très différentes, analyses de cet ensemble de phénomènes qui marquent le monde contemporain. Après des interventions mettant en relation la complexité de la situation, il a formulé une vision plutôt globale de la situation dans The Ingenuity Gap (2000), suivi en 2006 par The Upside of Down : Catastrophe, Creativity and the Renewal of Civilization, qui fournissait les fondements pour une autre version de l’effondrement qui s’annonçait, teintée par des éléments d’un certain optimisme face à l’avenir, avec la référence au renouveau dans le titre et sa réflexion sur la question dans la dernière section du livre.

Nous attendions donc depuis 15 ans la façon dont il allait aborder les défis ainsi esquissés et qui, en dépit de l’optimisme affiché, laissaient planer des perspectives de catastrophe. Il vient de publier en 2020, en pleine pandémie, Commanding Hope : The Power We Have to Renew a World in Peril. Le livre présente une sorte d’idéologie de l’espoir, dans de nombreuses ramifications, sans proposer des suites aux analyses rendant l’effondrement probable. Comme avec Diamond, le lecteur se trouve figé dans le temps de la réflexion.

Une pause, préparation pour un retour à l’anormalité?

On peut apercevoir des éléments du défi dans l’effort d’Yves Cochet dans son livre alors qu’il cherche à esquisser les grandes lignes des nouvelles sociétés qui pourraient sortir de l’effondrement. Cochet fournit au moins des pistes pour la réflexion qui semble s’imposer, et que j’essayais de commencer à aborder dans mon livre de 2017 Trop Tard : La fin d’un monde et le début d’un nouveau. La dernière année m’a fourni l’occasion de voir si j’étais capable de démêler ce qui se passe, ce qui se profile, ce qui pourrait nous arriver.

On peut comparer cet effort de Cochet avec des interventions pendant l’année de trois autres de mes sources préférées, Éric Pineault, Yves-Marie Abraham et Alain Deneault. Pour m’y préparer, c’était déjà une expérience inhabituelle que de survoler plusieurs documents couvrant les dernières années, cela dans un cadre où rien ne semble se passer en termes de développements dans la réflexion sur ces efforts.

Éric Pineault nous offre quelques précisions face à un article de Nicolas Marceau, un de nos économistes démontrant le déni généralisé de ces professionnels, et y aborde la grande vision globale d’Abraham ciblant justement une approche qui vise à «produire moins, partager plus, décider ensemble». Il nous réfère à des travaux qui continuent, au sein du Front commun pour la transition énergétique, avec sa Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité, cela dans une perspective où nous serions en mesure de gérer la «transition»; en même temps, nous apprenons sans surprise que le secteur de l’économie qui semble parmi les mieux en train de se redresser, en contradiction avec les objectifs de la Feuille de route, est celui de l’automobile et cela avec une proportion de 70% de VUS dominant les achats…

Deneault souligne bien le défi, un retour à l’anormal, dans un texte de novembre 2020 qui n’aborde quand même pas les pistes non pas de solution mais de préparation – ce sera pour d’autres travaux – alors que nous sommes devant une couverture médiatique omniprésente sur la pandémie, et sur la nécessité d’en sortir avec une économie remise en marche, couverture qui ne porte que sur un retour à la normale. C’est la situation aux États-Unis avec les programmes massifs de l’administration Biden. Ceux-ci sont fascinants dans l’abstrait mais risquent fort de ne pas se matérialiser mais nous pousser plutôt vers une dégradation de la situation globale d’avant la pandémie. Celle-ci était marquée par des crises partout, et l’énorme demande pour du pétrole qui sera en cause nous ramènera au scénario de l’effondrement associé au déclin du pétrole conventionnel.

Yves-Marie Abraham avait déjà entamé la démarche cherchant à esquisser la nouvelle société qui nous attend – que nous voudrions – dans Guérir du mal de l’infini (2019), et dans un article qui y revient dans Polemos-décroissance; l’article est une autre réplique à l’article de Marceau, mais ce nouveau site représente une intervention dans le sens que je recherche, en suivi au forum organisé par les responsables à la fin de 2019 avec pour programme Effondrement: Fin d’un monde, construire un nouveau? [1]. Abraham reste dans les grandes lignes de sa pensée et n’aborde pas ce qui se passe en fonction de nos apprentissages venant, par exemple, de la pandémie.

Bref, sans faire un survol de l’ensemble des interventions parues pendant la pandémie, je ne vois pas beaucoup de travail dans le sens de Cochet et qui cherche à saisir les implications – et possiblement les conséquences – de la pandémie dans le cadre d’analyses qui prévoient un effondrement. Par ailleurs, j’avais écrit pendant l’année en suivant d’autres sources que je considère fiables (Nafeez Ahmed, Thomas Homer-Dixon, Andrew Nikiforuk); à la relecture de ces écrits, je suis surpris de voir jusqu’à quel point ces sources semblent s’être trompées dans leurs efforts pour comprendre ce qui se passait, ce qui allait se passer (virulence de la pandémie en termes de décès, plutôt faible extension dans les pays pauvres, impressionnant développement de vaccins très efficaces – pour les pays riches, …). De mon côté, une partie de mon silence venait de mon incapacité à comprendre moi-même.

Il reste certaines découvertes.

L’avenir?

Ma dernière intervention sur le blogue portait sur un échange en mars dernier avec Philippe Gauthier lors d’un forum virtuel organisé par des étudiantes des HEC, où Gauthier se montrait assez optimiste concernant un retour à la normale, alors que j’étais plutôt d’avis que la pandémie mettait en cause les fondements de mon analyse (dans ses grandes lignes celle de Cochet aussi) quant à l’effondrement qui nous guette, prévoyant une baisse importante de la consommation du pétrole dans les années à venir et un début possible de l’effondrement. Gauthier semble avoir vu plus clair, ce dont on peut juger en regardant un récent rapport de Rystad qui nous voit, dans le domaine du pétrole, en route vers un retour à la normale d’ici un an ou deux.

Gauthier nous en fait un portrait en partant d’un rapport récent de l’AIÉ, incluant les émissions des deux dernières années.

Dans une chronique du Devoir, Gérard Bérubé fait un reportage sur une étude d’Oxford Economics et le PNUE montrant que l’ensemble des interventions touchant la relance représente un effort «vert pâle» face à l’urgence d’un virage radical et cela, sans même mentionner que ces interventions inadéquates vont contribuer invraisemblablement à l’effondrement.

La déstabilisation économique actuelle a commencé de façon assez intéressante, avec l’arrêt des croisières (foyers de propagation de la COVID-19) et des vols de touristes vers le sud et le soleil. Il s’agissait d’un impact visible et important sur peut-être 25% de nos populations dans les pays riches. L’abandon des saisons de plusieurs sports professionnels ainsi que le report des Jeux Olympiques est venu plus tard déranger la vie de ces mêmes personnes. Et pendant ce temps, l’obligation de distanciation faisait en sorte qu’une multitude d’activités culturelles, allant du cinéma aux pièces de théâtre et touchant d’autres parties de la population, disparaissaient aussi de la scène. Que ces activités reviennent ou non a peu d’importance vitale pour le commun des mortels, sauf en reconnaissant que nombre de ceux-ci travaillent à bas salaire en soutien des activités en cause et ont perdu leur emploi.

Les pertes d’emploi ont fait leur apparition dans les nouvelles quotidiennes, et rapidement. Il y a plusieurs années, lors de la fermeture du gouvernement américain en raison de désaccords sur le budget, c’était frappant de voir des employés du gouvernement fédéral, sûrement pas payés au salaire minimum, se montrer en difficultés financières après deux ou trois semaines sans travail. La même chose est arrivé avec la COVID-19, et on pouvait également la voir ici au Canada. Finalement – les chiffres varient – peut-être la moitié de la population semble mener une vie qui lui laisse sans recours après quelques semaines.

À ces gens-ci il faut ajouter les employés des bars et des restaurants et d’un ensemble de petites entreprises qui fermaient rapidement, forcément, avec le confinement. Avec cela, on voyait ce qui est devenu évident avec le passage du temps : les gens bien dans les pays riches dépendent pour leurs services de gens beaucoup moins bien, les travailleurs dans les secteurs de services. On peut y ajouter d’autres en agriculture, entre autres : l’activité agricole, et la chaine d’approvisionnement en Amérique du Nord, dépendent en bonne partie de travailleurs venant du sud de la frontière. Probablement les plus en évidence dans nos vies étaient les «anges gardiennes» de la santé faisant la manchette depuis le début, et faisant partie des bas salariés.

Les clients de ces commerces et de ces activités se trouvent probablement parmi les 25% des mieux nantis de la population aussi; ce sont les travailleurs à faible revenu et sans assurance emploi (ni souvent assurance santé aux États-Unis…) de ces commerces qui se voyaient du jour au lendemain dépourvus de ce qu’il leur fallait pour vivre de semaine en semaine. Et, avec le temps, il devenait évident que toute la population se fiait d’une façon ou d’une autre aux soutiens en matière de santé.

C’est ici où on pourra peut-être trouver certaines conséquences long terme de la pandémie, en dépit des énormes efforts des gouvernements pour venir en aide à de nombreuses personnes et entreprises frappées par la pandémie. Les gens bien vont pouvoir reprendre leurs croisières et leurs voyages dans le sud, leurs sorties aux restaurants et dans les bars, avec un coussin d’épargne accumulé pendant le confinement rendant ceci d’autant plus possible. Le portrait reste plus clair maintenant qu’avant la pandémie : les gens bien servis par les gens moins bien, et la disparition partielle de ces activités devenue permanente pour les gens n’ayant pas pu résister à la longue période sans emploi, sans pouvoir servir les gens bien qui ne venaient pas chercher leurs services.

Bref, même s’il y a eu une baisse importante pendant un certain temps de la consommation de pétrole, les activités des gens bien vont reprendre et rien ne suggère que la reprise de cette activité sera affectée par la situation à la sortie de la pandémie. Cela semble nous mettre dans une situation assez proche de celle qui prévalait avant la pandémie, et le questionnement quant à la possibilité de maintenir ce mode de vie, peut-être encore et surtout face à l‘approvisionnement en pétrole conventionnel, reste pertinent. C’est peut-être cela que la pandémie nous a montré : les activités sociales et culturelles «de base» semblent dépendre d’une partie de la population qui est très fragile et qui risque de répondre rapidement à tout changement dans la vie ordinaire par une chute vers la pauvreté; une autre partie de la population dépend pour ses distractions/activités de cette autre partie de la population et, quand celles-ci sont perturbées, est capable d’engranger une épargne en attente du retour de la situation normale.

Cette deuxième partie de la population n’a pas été frappée de plein fouet par la pandémie, et se prépare à reprendre ses activités «normales» dans l’après-COVID, comme on s’attend à une reprise de la production et de la consommation de pétrole conventionnel – et non-conventionnel. Les énormes investissements prévus par l’administration Biden visent à aider la première partie de la population par une aide plutôt directe, mais à stimuler la reprise des activités de la deuxième partie de la population, entre autres avec le programme d’infrastructures, mais plus généralement par un ensemble de mesures qui vont redynamiser l’activité économique, l’activité sociale étant plutôt directement fonction de cela.

Et voilà, le confinement et la pause dans la vie ordinaire de cette partie nous donnent peut-être une idée de la vie après l’effondrement, où cette deuxième partie de la population va être frappée par le déclin plutôt rapide de l’activité manufacturière, quand le pétrole va manquer… Une partie assez importante de la population étant en mode survie – et cela indirectement en fonction de soutiens gouvernementaux provenant de fonds eux-mêmes peu sécures -, l’apparente «récession» qui viendrait avec le ralentissement de l’activité économique «normale» mettrait le reste de la population en situation de déclin, tendant aussi vers un mode survie. C’est la situation déjà pour une grande partie de la population humaine, et, dans ce contexte, il n’y aura pas de recours possible à de plus fortunés pour venir à la rescousse…

[1] À cet égard, voir sur ce site l’intéressant l’article de Philippe Gauthier sur le nécessaire pour la construction d’un vélo, même dans une période low-tech…. Par ailleurs, mes remerciements au blogue de Gauthier pour plusieurs portraits de la situation actuelle.

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Transition ou effondrement?

Cela fait un certain temps que je n’ai pas alimenté le blogue, histoire de problèmes de santé. Je crois que cela est en train d’être réglé et me voici donc de nouveau.

 

NOTE: Cet article est écrit au moment du 50e anniversaire du Jour de la Terre. J’ai tenu un kiosque lors du premier Jour de la Terre en 1970, mettant un accent sur les enjeux associés aux contenants de boisson à usages multiples, à usage unique et en métal. Il me semble, devant le constat d’une dégradation planétaire constante depuis 1970, que la transformation du 50e Jour de la Terre en exercice virtuel en raison de la COVID-19 et alors que la Terre semble se préparer pour un effondrement quelconque met en lumière sa grande inutilité et la nécessité de changer d’approche…

NOTE+: Dans les heures suivant la mise en ligne de cet article, j’ai découvert et visionné (1 heure 40 minutes) un nouveau documentaire de Michael Moore.  Dans Planet of the Humans, c’est Jeff Gibbs qui est mis en évidence, Moore s’étant réservé le rôle de producteur exécutif pour le film percutant. Pour Moore, c’est peut-être seulement un autre film à dénonciation, mais pour moi, il me paraît être un film digne du coronavirus et d’un effondrement en cours. La dénonciation de base et qui occupe tout le film en est une des environnementalistes (s’y trouvent The Sierre Club, Bill McKibben et 350.org, Al Gore, entre autres), qui ne comprennent pas la nature de la crise actuelle et restent pris dans leur effort en cours depuis des décennies de continuer à gérer les problèmes maintenant catastrophiques de notre civilisation «thermo-industriele» (terme européen qui ne se trouve pas dans le film). C’est le thème de base de ce blogue depuis maintenant sept ans et c’est consolant de me retrouver en bonne compagnie dans la critique. Le film termine avec un passage sur le Jour de la Terre, dans le sens de ma NOTE,

 

Le 30 mars dernier, des étudiantes à la maîtrise des HEC, Geneviève Delisle et Camille-Mathilde Théron, ont organisé un webinaire où Philippe Gauthier et moi étions panelistes; on peut suivre Gauthier sur son blogue sur les enjeux énergétiques, dont plusieurs articles récents,. Le thème était «Transition écologique et pandémie: Webinaire sur l’effondrement» et l’activité s’est divisée en deux parties portant sur les questions: (i) La COVID-19 entraine une prise de conscience collective. Selon vous, par quoi se traduit-elle? (ii) Comment imaginez-vous la société post effondrement? C’est maintenant sur youtube.

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C’était intéressant d’y participer, cela surtout en fonction de perspectives différentes qui émergeaient entre Gauthier et moi au fil des échanges, lui je crois étant plutôt confiant que la crise actuelle du coronavirus allait passer sans laisser trop de dommages, alors que j’y vois une situation qui m’oblige à mettre en question l’argument de mon livre Trop Tard: La fin d’un monde et le début d’un nouveau à l’effet que nous nous dirigeons vers un effondrement.

J’ai commencé ma courte présentation en faisant référence au travail de Thomas Homer-Dixon, un de mes analystes préférés depuis des années et dont je venais de relire The Upside of Down: Catastrophe, Creativity and the Renewal of Civilisation (2006) où il esquisse un groupe de «stress tectoniques» qui risquent de mettre à terre notre civilisation; même si le livre datait d’une quinzaine d’année, il était d’une pertinence remarquable en ce moment du coronavirus – et il venait de publier dans The Globe and Mail un article perspicace sur la question. En 2015, Homer-Dixon avait déjà publié avec d’autres un article qui mettait l’accent sur le coeur de l’argument de son livre, les perspectives pour l’arrivée d’une série déchecs suivant les stress tectoniques qui arrivent en même temps en fonction de leurs interrelations (synchronous failure). Le lendemain, j’ai trouvé une vidéo de Nafeez Ahmed qui insérait le tout cans le contexte de la crise actuelle et datant du 31 mars (on peut lire aussi le texte auquel Ahmed fait référence dans la vidéo et qui date du 5 mars).

Alors que je suivais dans mon livre, et dans ce blogue, l’analyse de Halte à la croissance qui met l’accent sur un déclin du pétrole conventionnel et l’effondrement conséquent de la production industrielle au coeur de notre civilisation, je me trouve, avec la crise actuelle, devant la possibilité d’un effondrement mais où le pétrole risque d’être plutôt abondant parce que la demande aura baissé dramatiquement en raison des impacts de la crise en cours. Il semble y avoir des éléments possibles d’une véritable «décroissance» obligatoire qui éviterait l’effondrement tel que préconisé.

 

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Réduire notre consommation d’énergie?

C’était rafraichissant de voir le titre du texte d’opinion «L’électrification «mur à mur» n’est pas la panacée» sauter des pages du Devoir (Le texte complet se trouve à la fin de mon article ici.). Je venais tout juste de consacrer le début de mon dernier article, une critique du récent livre de Laure Waridel, à une mise en scène mettant en évidence notre empreinte écologique trois fois trop importante, mais négligée par tout le monde.  Je pouvais m’imaginer que c’était justement une reconnaissance de mon point.

État de l'énergie au Québec 2020 p.46

Le gaz naturel représente 12 Mt des émissions, alors que le pétrole en représente 43Mt. En dépit de son titre et de son premier paragraphe ciblant les énergies fossiles, le texte collectif met l’accent exclusivement sur le gaz. Source: 2020 L’État de l’énergie au Québec, HEC Montréal

Finalement, l’article passe presque immédiatement à une recherche des HEC sous la direction de Pierre-Olivier Pineau portant sur l’impossibilité d’électrifier l’ensemble des usages du gaz naturel, ce qui semble rendre prévisibles des scénarios catastrophiques. Sans aucunes explications, le texte prétend que ces scénarios sont évitables; clé du constat, la transition qui nous donne deux décennies pour faire ce que nous n’avons pas fait jusqu’ici, cela en évitant de parler (i) dé pétrole et (ii) des objectifs de réductions du GIÉC pour 2030. Il y a urgence, mais – comme pour Waridel dans son livre – il faut foncer sur la transition…

2030?

L’article est une sorte de reprise de la présentation de Waridel, qui évite de chiffrer (seule exception: une réduction en 2040 de 10 Mt si toutes les mesures visant le gaz étaient en place…) et qui abandonne un échéancier quelconque, dont celui du GIÉC pour 2030 – cela en mettant l’accent exclusivement sur le gaz, alors que c’est le pétrole qui est de loin plus important (voir le graphique). Une décision de ne pas construire GNL Québec – ce qui semble être la revendication de l’article, finalement – aurait certainement des conséquences positives sur notre bilan en 2030, mais cela n’aura rien à voir avec des décisions de réduire notre consommation d’énergie (et d’autres objets de consommation).

Le défi a été quantifié et explicité en 2013 par Normand Mousseau, co-président de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, quand il a regardé de près l’objectif du gouvernement péquiste de réduire ses émissions de 25% pour 2020. Contrairement aux signataires du récent article du Devoir, Mousseau mettait cartes sur table, tout en restant plutôt optimiste lui-même, une exigence des signataires du texte récent: gérer les émissions comporte un changement de société, et surtout en regardant du côté du pétrole, clé pour les transports, plutôt que du gaz (finalement plutôt secondaire dans le bilan du Québec – voir le graphique).

Gérer les émissions comporte un changement de société

L’encadré présente des calculs de réductions qui seraient requises dans les quatre principaux secteurs responsables des émissions. Les trois autres secteurs restent avec de nombreuses possibilités alternatives, il faut croire, mais le secteur des transports ne fournit pas beaucoup d’alternatives: on arrête le transport personnel ou on arrête le transport commercial…

Dans le temps, penser pouvoir électrifier la moitié de la flotte automobile dans une dizaine d’années (en fait, moins) aurait été de la fabulation, et l’alternative – la bonne de toute façon, puisque la vaste majorité des pays carburent dans leurs transports et dans l’électricité pouvant les alimenter, à l’énergie fossile, contrairement au Québec – était de retirer de la route plus de 2 000 000 de véhicules.

Aujourd’hui, nous avons une mise à jour, non pas d’un gouvernement, mais du GIÉC: d’ici 2030 il faudrait réduire nos émissions d’environ 50%, le double de l’objectif de 2013 (pour le gouvernement, c’est -37.5%). Mousseau n’a jamais mis à jour son calcul, mais il semble presque évident que, pour respecter les mises en garde du GIÉC, la gestion des émissions dans les transports, en ciblant les véhicules personnels plutôt que l’ensemble, aboutit à l’abandon du véhicule personnel comme mode de transport, cela pendant la «transition» des dix prochaines années. Actuellement, le gouvernement a fixé un objectif d’électrifier 100 000 véhicules personnels dans un parc d’environ 5 000 000 véhicules, environ 2%…

Un plan d’action en 2020?

On voit la frilosité des signataires dans le texte d’opinion, évitant: des chiffres; suggérant sans argumentaire que les scénarios catastrophiques peuvent être évités tout comme de nombreuses contraintes pour des industries importantes au Québec; laissant carrément sans mention les transports et le pétrole alors qu’il s’agit des plus importantes sources d’émissions de la province. Nous semblons pourtant être devant des scénarios comportant des incidences dramatiques (catastrophiques?) sur la société, sur son économie, sur l’ensemble de ses activités.

Finalement, on peut bien s’inquiéter d’une frilosité plus importante de la part du gouvernement quand il se verra confronté aux implications de ses propres engagements (en fait, ceux des gouvernements précédents et deux du GIÉC qui devraient s’imposer) dans le travail sur le plan d’action promis. Pour lw moment, cel semble se restreindre au maintien de l’objectif du gouvernement Couillard d’une réduction des émissions de 37,5% pour 2030 plutôt que l’objectif du GI©, selon un article du Devoir du 6 février basé sur une entrevue avec le ministre de l’Environnement Charest: «Québec n’a pas l’intention de suivre les recommandations du GIÉC».

 

Finalement, en dépit de la qualité des signataires, il me paraît tout simplement impossible à décoder le but des signataires en publiant leur texte. Chose certaine, ils évitent de confronter le défi principal, qui comporte des scénarios catastrophiques, et ceux-ci ne sont pas évitables en respectant les chiffres et les échéanciers.

 

********

Le texte d’opinion du Devoir «L’électrification « mur à mur » n’est pas la panacée» (avec quelques commentaires de ma part)

Pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, le Québec doit cesser de brûler des énergies fossiles. L’électrification, fer de lance du plan climat du gouvernement Legault, répondra-t-elle à elle seule à tous les défis que cela pose? Tenter de décarboner notre économie sera un exercice futile et périlleux si nous ne saisissons pas cette occasion pour diminuer en même temps la consommation totale d’énergie

Le texte est clair ici, et c’est presque un primeur

et substituer des produits «verts» à la plupart des biens dont la fabrication dépend d’énergies fossiles. 

mais dérape presque aussitôt en ciblant une substitution plutôt qu’une baisse dans nos produits de consommation autres.

Une recherche récente effectuée par un étudiant de HEC Montréal en fournit une démonstration percutante, en chiffrant ce qui se produirait si on tentait d’électrifier tous les usages actuels du gaz naturel sans remettre en question bon nombre de ces usages.

Et voilà, le texte introduit ce qui semble être sa véritable cible, le gaz naturel et le projet GNL Québec, ce qui va éliminer la réflexion sur le pétrole.

Réalisée par Alexandre Paradis Michaud, sous la direction de M. Pierre-Olivier Pineau, cette étude montre qu’une électrification mur à mur des usages convertibles du gaz exigerait une augmentation de la puissance équivalant à «6,7 fois la capacité installée du complexe hydroélectrique de La Romaine», occasionnerait des coûts faramineux et signerait l’arrêt de mort des industries qui ne peuvent pas se passer de gaz naturel. Ces scénarios catastrophistes sont évidemment évitables 

Ce n’est pas du tout évident comment cela peut être évité, autrement que par la réduction en termes absolus, qui devient un peu plus loin dans la phrase «la planification intégrée des ressources». Ce qui est évident est que l’approche d’électrification n’aurait pas besoin d’être aveugle face à certaines industries clé.

et ne sauraient justifier qu’on ralentisse notre sortie du gaz fossile. Ils ont toutefois le mérite de jeter une lumière crue sur l’urgence de procéder à une planification intégrée des ressources.

Nous disposons grosso modo de deux décennies pour décarboner notre industrie. Nous avons l’obligation morale de le faire. Mais la grande question demeure: comment y arriver?

Et alors que le GIÉC nous fournit des cibles pour 2o3o, il n’en sera pas question dans le texte, qui cible, par ailleurs, le secteur industriel comme seule préoccupation. Nous sommes devant une nouvelle version de la transition de Waridel. Le prochain paragraphe reprend la critique de GNL Québec, qui n’a rien à voir avec la volonté de réduire la consommation… Le paragraphe qui suit reste dans la confusion, suggérant d’électrifier les usages de faible valeur…

D’abord, bannissons toute extension du réseau gazier et toute nouvelle installation au gaz naturel. Du coup, nous éviterons de renforcer l’effet de verrou associé à des infrastructures coûteuses qui ne seraient qu’à moitié amorties dans 20 ans. Ensuite, évitons que nos ressources hydroélectriques servent à alourdir notre bilan carbone au lieu de l’alléger. GNL Québec, qui utiliserait l’électricité d’Hydro-Québec pour liquéfier du gaz issu de la fracturation en Alberta, gaspillerait à elle seule 5 TWh d’hydroélectricité par an pendant au moins 25 ans. Cela représente environ les deux tiers de la capacité en énergie du complexe de La Romaine.

Évitons de brûler le gaz utilisé pour des usages électrifiables et marquons ainsi un progrès fabuleux en faisant chuter les émissions annuelles du Québec de 79 à 69 Mt éq. CO2. À cette fin, réduisons la demande énergétique à la source en diminuant la consommation de matières premières nécessaires à la fabrication de marchandises de peu de valeur.

Pourquoi seulement des marchandises de peu de valeur? On comprend que le texte ne veut pas brasser trop fort…

Briser la dépendance au gaz

Faisons aussi des efforts sérieux d’efficacité énergétique […]. Écoconception, économie de la fonctionnalité, interdiction de l’obsolescence programmée, bannissement des objets à usage unique, lutte contre le gaspillage, grille intelligente, stockage électrique, amélioration de la performance énergétique des bâtiments : combinées, ces mesures nous permettront de briser notre dépendance au gaz tout en modernisant notre économie et en réduisant radicalement notre consommation totale d’énergie.

C’est le programme de la transition, échelonné sur au moins deux décennies, alors que cela fait déjà des décennies que c’est à l’ordre du jour. Le texte parle d’une dépendance au gaz, alors que notre dépendance est au pétrole…

On voit la volonté d’éviter de frapper trop fort, mais il n’y a aucun effort de chiffrer quoi que ce soit (sauf la réduction de 10Mt), aucune explication quant à la façon d’éviter des choix financiers difficiles.

Il sera ainsi possible d’opérer notre sortie du gaz sans mettre la société québécoise devant des choix financiers difficiles ni construire de nouvelles infrastructures hydroélectriques qui fragiliseraient encore davantage les écosystèmes et pourraient porter atteinte aux droits territoriaux des peuples autochtones.

Certaines entreprises, notamment dans les secteurs de la sidérurgie, des gaz industriels et de la pétrochimie, dépendent du gaz naturel comme intrant non énergétique ou de procédés au gaz naturel qu’il est impossible d’électrifier. Diminuons la demande visant les matières issues de ces industries […].

Ce qui va les affecter…

Au Québec comme ailleurs, dans un monde décarboné, certaines industries auront perdu de l’importance ou même disparu. D’autres se seront développées, mieux ancrées dans leur territoire, plus respectueuses de ses limites biophysiques, adaptées à un monde résilient où la survie de l’humanité passe avant celle d’une industrie.

Nous sommes de retour au message de base, qu’il faut réduire notre empreinte, ici en acceptant la perte de certaines industries. Par contre, il est difficile à imaginer la disparition de la sidérurgie – sinon ici, ailleurs.

Ce n’est pas en électrifiant le statu quo que nous mettrons le Québec à l’abri des chocs inhérents à ces mutations. Au contraire: pour éviter que la restructuration industrielle frappe brutalement les travailleurs des secteurs en déclin, dotons-nous d’un diagnostic lucide de la situation globale et déployons d’urgence une transition juste vers une économie décarbonée où la consommation de matières et d’énergie aura radicalement diminué. Le défi est de taille: unissons-nous pour le surmonter.

Il manque cruellement des objectifs chiffrés et des échéanciers. Il n’y a aucune justification pour l’absence de toute programmation ciblant l’électrification alors que le texte propose de partir de zéro…

 

*Jean Paradis, fondateur de Négawatts production inc.; Bruno Detuncq, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec; Dominic Champagne, le Pacte pour la transition; Nicholas Ouellet, Gazoduq, parlons-en !; Carole Dupuis, Mouvement écocitoyen UNEplanète; Julie Côté, Coalition anti-pipeline Rouyn-Noranda; Eric Pineault, Institut des sciences de l’environnement, UQAM; Michel Lambert, Alternatives; Frédéric Legault, La Planète s’invite au Parlement; Claude Vaillancourt, ATTAC-Québec; Alain Branchaud, SNAP Québec; Patrick Bonin, Greenpeace

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L’effondrement – présentation et maintenant vidéo

MISE À JOUR LE PREMIER FÉVRIER 2020

Le 10 septembre dernier, j’ai publié un article sur une présentation que j’ai faite en ouverture d’une fin de semaine sur la question de l’effondrement. Le titre était «L’effondrement: Fin d’un monde, construire un nouveau?». Ce PowerPoint sert de complément à la vidéo, qui se retrouve maintenant sur Youtube.Facebooktwitterlinkedinmailby feather

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Waridel – le vide marquant une pause finale? (2)

Le quatrième livre de ma pause, La Transition, c’est maintenant: Choisir aujourd’hui ce que sera demain, de Laure Waridel, se situe bien à la fin de la liste de lecture. Après le fondement (Cochet), une réflexion sur l’alternative (Abraham) et le contact avec une auteure qui se démène depuis des décennies pour comprendre ce qui se passe (Klein), Waridel nous présente une perspective qui représente à tous égards l’échec plutôt total du mouvement environnemental (en y ajoutant des éléments de l’échec du mouvement social). Cherchant à prolonger le passé du mouvement environnemental dans le présent et l’avenir, elle définit assez clairement un vide en attente de l’effondrement. Greta constitue une nouvelle force à reconnaître, mais ne réussira pas à percer.

Dès ma première semaine en poste comme Commissaire au développement durable en janvier 2007, j’ai entrepris une recherche sur la façon de procéder au calcul de l’empreinte écologique de la province du Québec. Il est vite apparu faisable, et dans les semaines et mois suivants, une petite équipe composée d’une comptable et d’un économiste s’est mise au travail. Finalement, après neuf mois de travail cumulés, et cela en étant obligée de compléter les statistiques grossièrement incomplètes de l’Institut de la statistique du Québec pour tout ce qui touchait les ressources naturelles, entre autres, l’équipe a pu former les quelque 1 250 cellules requises pour suivre la méthodologie du Global Footprint Network et procéder aux calculs. Le travail était rigoureux et la méthodologie approuvée par le Vérificateur général du Québec.

Une reconnaissance nécessaire de notre empreinte écologique excessive

Résultat des calculs: Le Québec a une empreinte trois fois supérieure à ce qui serait équitable si toute la population humaine vivait dans le respect des contraintes biophysiques imposées par la planète (et cela ne comprenait même pas les métaux et les minéraux). Il nous faut réduire notre empreinte par au moins les deux-tiers…

Cela paraît clairement dans un graphique fourni par le WWF dans Planète vivante 2008. Le Canada figure 7e parmi les pays du monde par l’importance de son empreinte. La ligne horizontale représente la biocapacité en termes per capita; elle est en diminution constante avec l’augmentation de la population humaine.[1]

 

Empreinte 2008 50%

Plusieurs des pays ayant une empreinte importante sont des États pétroliers, dont le Canada.

Mais cela est seulement le début, puisque l’ensemble des pays riches accaparent une partie démesurée de la biocapacité de la planète, comme le montre le graphique un peu plus complet.

L’empreinte excessive de ces pays riches représente en termes quantitatifs l’équivalent de tout ce qui reste pour les autres pays qui se trouvent à droite de la figure, dans la figure suivante.

Et, finalement, la partie restante du graphique fait intervenir le portrait des pays pauvres, vivant en-dessous de la ligne horizontale et prenant moins que leur part de la biocapacité. Cette deuxième partie du graphique représente plus que la moitié des pays et beaucoup plus que la moitié de la population humaine.

Empreinte 2008 autre 50%

Cette autre moitié du graphique couvrant les pays pauvres fournit une petite idée autre de ce que l’on appelle les inégalités dans le monde, en comparaison avec la première moitié couvrant des pays riches.

Inutile de mener une réflexion sur la façon de fournir à toute la population humaine même les éléments de base de la vie dans les pays riches: automobile, appareils ménagers, cellulaire, domicile. C’est pourtant ce qui est implicite, par exemple, dans les efforts pour développer des pistes afin d’approvisionner les pays riches en énergie renouvelable en remplacement de l’énergie fossile, plutôt que de viser en priorité une réduction marquée de la cons0mmation. Et il ne semble pas y avoir beaucoup d’options: il faudra éliminer cette inégalité au cœur de notre système de développement, rapidement, sinon il y aura risque de migrations massives, dans les dizaines, voire les centaines de millions de personnes, vers les pays riches, qui en seraient déstabilisés. Cochet en parle de différentes façons, dont dans les pages 57-66.

Il ne semble pas y avoir de points de bascule pour les différentes composantes de l’empreinte, à part celle touchant les émissions de GES (cela grâce aux travaux du GIÉC). L’empreinte excessive des pays riches se manifeste plutôt comme une dégradation progressive de la biosphère constatée par tous – «la grande accélération»…

La transition est en cours, vraiment?

…mais la cible d’intervention de personne. Une réduction de notre empreinte par les deux-tiers serait énorme dans ses incidences sur notre mode de vie, mais à part des références générales et constantes à notre surconsommation, il semble juste de dire que nulle part, dans les interventions du mouvement environnemental (et social), on n’en tient compte.

À la première page de son Introduction, Waridel réduit ce travail au constat que c’est par la solidarité et la coopération que les civilisations relèvent les grands défis, dans ce cas en «acceptant de modifier certains de ses comportements et certaines de ses valeurs…; nous avons intérêt à réduire notre empreinte écologique, individuellement certes, mais surtout collectivement» (21). Aucune indication de la taille du défi… On peut voir l’importance du défi, seulement en termes du remplacement de l’énergie fossile par l’énergie renouvelable, en regardant un court texte de Mark Mills de mars 2019 en 41 points; le rapport complet, The «New Energy Economy»: An Exercise in Magical Thinking», en fournit les détails. [2]

Le livre de Laure Waridel aborde l’idée de remplacer l’énergie fossile par la renouvelable aux pages 242-247, mais nulle part dans le livre, à part des généralités ici et là, on ne voit une reconnaissance de l’importance de notre empreinte, y compris en matière de consommation d’énergie, et de l’effort maintenant quantifié pour la réduire.

Le mouvement environnemental toujours en vie?

Waridel

Il est intéressant de voir comment le magazine utilise Waridel avec la proposition en page titre: «Comment vieillir riche en sauvant la planète». Ce n’est pas le propos de Waridel, qui redéfinit la richesse dans son chapitre 2. Jean-François Nadeau l’appelle un ornement du magazine…

Un coup d’œil à la Table des matières du nouveau livre de  Waridel permet d’en savoir pas mal avant d’en entreprendre la lecture. Le livre est une vulgarisation de sa thèse de doctorat (voir pages 26-30 pour sa façon de voir ce travail, qu’elle qualifie comme étant en «mode d’action» dans le livre) et constitue une compilation d’un ensemble «d’initiatives porteuses de changement» des dernières décennies – finalement, et en résumé, les revendications et les propositions du mouvement environnemental. En dépit de nombreux constats d’urgence qui définissent son intervention, Waridel ne fait aucun effort pour indiquer jusqu’à quel point ces initiatives sont pertinentes face aux urgences; de façon presque régulière, leur présentation inclut par ailleurs le commentaire qu’elles ne vont pas assez loin.

Les trois premiers chapitres du livre mettent l’accent sur les enjeux économiques. Le premier, «Comprendre l’économie pour la transformer», fait un survol de plusieurs critiques de l’économie néoclassique, sans jamais la nommer, et reste dans les généralités quant à la transformation – des modifications – qui pourrait être en cause. Il n’y est nullement question de s’attaquer à la croissance comme clé de cette économie. Et au deuxième chapitre, «Changer de paradigme», nous voyons encore une fois une présentation de différentes initiatives proposées depuis des lunes (développement durable, économie sociale, économie circulaire, autres) et n’ayant clairement pas eu l’effet escompté alors que nous sommes censés être face à l’urgence. Le changement de paradigme reste complètement dans le flou, contrairement à ce que cherche à développer Abraham dans son livre, par exemple, et Cochet fait tout un chapitre sur l’économie biophysique comme nouveau paradigme. Le troisième chapitre, «Investir autrement», présente un survol de plusieurs initiatives en place depuis assez longtemps, et – en dépit de l’espoir manifesté par Waridel – qui n’ont montré aucune indication quant à leur capacité de changer la donne face à l’urgence.

Le reste du livre couvre un ensemble de thématiques représentant les grandes orientations du mouvement environnemental au fil des décennies, elles aussi ayant clairement manifesté des limites sérieuses quant à leur capacité à changer quelque chose: «tendre vers le zéro déchet» (ils sont en augmentation…); «se nourrir autrement» (alors que la quantité de viande consommée dans le monde est en augmentation, tout comme la superficie des surfaces nécessaires pour la culture de la nourriture pour les élevages – cf. Bolsonaro en Amazonie); «habiter le territoire intelligemment» (alors que la domination de l’automobile personnelle de plus en plus grosse est toujours de plus en plus importante dans l’aménagement du territoire); «se mobiliser par tous les moyens» – elle semble y céder le leadership à Extinction Rébellion. Même si on en parle plus qu’avant, il n’y a aucune indication d’une transition en cours dans le sens de ses orientations.

Rendu à la Conclusion, on n’a pas beaucoup d’appétit pour voir ce que l’écosociologue va proposer en guise de récapitulation. C’est celle-ci: «Créer et renforcer les liens entre les humains, la société et es écosystèmes»… (281). Tout est toujours dans la mode espoir, et la transition dont il est censé être question relève non pas d’hypothèses nourries par les analyses et le travail sur le terrain mais de postulats n’ayant pas de fondement.

L’actualité embarque

Dans son dernier numéro, le magazine L’actualité a décidé de mettre un accent sur le défi pour les milieux financiers des changements climatiques. En une, une photo de Waridel, avec pour titre «Comment vieillir riche en sauvant la planète» et le renvoi à un entretien avec Waridel. Il faut noter qu’elle y offre une redéfinition de a richesse qui va carrément contre celle véhiculée par la page couverture du magazine, insistant sur des limites pour la richesse matérielle, et il est difficile à comprendre comment elle a pu accepter d’être associée aux idées lancées par le numéro. L’éditorial porte sur Mark Carney et son nouveau défi comme intervenant dans les milieux financiers face aux changements climatiques. L’article du titre de la page titre ne garde pas le titre, qui devient «Changer le monde un REER à la fois», et est accompagné de la photo de Waridel, avec une sorte de bas de vignette qui met l’accent sur «la première façon d’agir», soit de «mettre son argent au service de la cause». Le livre de Waridel n’en fait pas le premier geste à poser, mais l’entretien débute en soulignant que près du tiers du livre, les trois premiers chapitres, portent sur l’économie, la richesse et la finance. La cible est bonne, mais les chapitres ne réussissent pas à sortir du modèle actuel, comme L’actualité en est bien conscient.

L’entretien dans L’actualité ne va pas très loin, et chaque sujet semble terminer avec un bémol à l’effet que les efforts décrits ne répondent pas aux défis. Ceci marque le livre au complet, où Waridel fait le portrait des «initiatives porteuses» en insistant régulièrement qu’elles ne vont pas assez loin, qu’elles soient celles de la Caisse de dépôt ou celles de Desjardins».[3]

 

Waridel revient à sa décision d’éviter la précision à la toute fin de son entretien:

Lorsqu’on se met à être conscient de toutes les occasions d’agir et qu’on passe à l’action, ça crée de l’espoir, et on se sent mieux face à l’adversité. Parce que quoi qu’il arrive, au moins, on est en cohérence avec nos valeurs et on ne contribue pas à la destruction de la planète.

La confusion impliquée dans ce constat, dont la mise au rancart des excès de notre empreinte écologique (incluant la sienne), représente, je suppose, ce qui attire l’attention à Waridel, qui finalement et en dépit de ce qu’elle dit, ne représente aucune menace pour les acteurs qui détruisent justement la planète.

La recherche de consensus

Dans sa chronique «La Tortue» dans Le Devoir du 20 janvier 2019,  Jean-François Nadeau revient sur ce numéro de L’actualité, mettant à terre non seulement les propos du magazine comme acteur du capitalisme mais aussi ceux de Waridel, «la réformatrice écologiste la plus consensuelle du Québec». J’en cite d’assez longs extraits, sans commentaire…

Sur la photo [dans une exposition de musée], Rothschild tend devant le nez de l’animal, au bout d’un bâton, un appât destiné à le faire bouger à sa guise. Le curieux tableau donne l’impression d’une allégorie de l’argent, qui ne recule devant rien pour défendre son droit à mener le monde par le bout du nez. … Le discours critique en matière d’environnement, semble-t-il, ne trouve droit de cité que dans la mesure où il réinvestit les mêmes vieux clichés que ceux qui nous ont conduits là où nous en sommes. À titre d’exemple, le numéro de février 2020 de L’actualité a pour titre «Comment vieillir riche en sauvant la planète?». Au nom d’une écologie de circonstance, on pose, en somme, la même question qu’on ne cesse d’adapter à toutes ses sauces: «Comment s’enrichir?»

https://fr.wikipedia.org/wiki/Saturne_dévorant_un_de_ses_fils#/media/Fichier:Francisco_de_Goya,_Saturno_devorando_a_su_hijo_(1819-1823).jpg

Goya: Saturne dévorant un de ses fils, une image pour Nadeau de la façon dont le capitalisme mange la Terre (pour d’autres, c’est l’économie néoclassique, pour d’autres comme Abraham et Cochet, le libéral-productivisme). Waridel cherche à modifier ce système sans le remplacer, laissant à la croissance toute son oeuvre…

C’est Laure Waridel, la réformatrice écologiste la plus consensuelle du Québec, qui orne ce numéro dont le titre provocateur laisse entendre, contre la raison même, qu’on peut devenir riche tout en sauvant la planète. Dans cette cage à idées préfabriquées, la militante reprend son credo habituel, qui est de faire croire, à mots doux, que l’action individuelle peut réajuster la conduite du monde sans que celui-ci s’avise tout à fait de la nécessité de vraiment changer de cap. Et ce cap, L’actualité ne cesse de nous le rappeler, est fixé sur l’idée d’une croissance constante, au nom de la richesse personnelle, dans les nuages d’une méritocratie qui répète, sur tous les tons, que si vous faites ce qu’il y a à faire individuellement, vous serez récompensé, puisque vous le valez bien. …

Il ne fait plus guère de doute que le capitalisme mange pourtant la Terre comme Saturne dévore son enfant dans la célèbre toile de Goya. Mais pour nous rassurer néanmoins, on confie sans cesse à quelques spécialistes de simagrées, en quête constante de notoriété, le rôle de nous annoncer que les temps changent, tandis qu’ils se contentent à peu de frais, tout au plus, de renouveler nos stocks de bonne conscience.

La moindre frime commerciale se conjugue désormais au nom de l’écologie.

La transition vers l’effondrement

Le livre de Waridel se démarque par son titre, qui fait référence – comme tout au long du livre – à «la» transition, comme s’il y en avait une à laquelle on peut faire référence. Il n’en est aucunement question, pourtant. Par ailleurs, à presque chaque occasion où de la précision serait pertinente, voire essentielle, Waridel l’élude, insistant sur des généralités. Je prends comme exemple sa réflexion sur l’internalisation du coût du carbone, où après avoir présenté l’importance de cette internalisation, elle termine:

Pour que l’implantation d’un prix sur le carbone soit une mesure qui fonctionne, elle doit aussi être acceptée socialement. Il est donc essentiel qu’elle soit mise en place de manière équitable et graduelle en fonction de la capacité de payer de chaque acteur économique. On doit faciliter aussi la mise en place de solutions alternatives concrètes (50)… Au-delà des débats entourant les meilleurs outils pour parvenir à mettre un prix sur le carbone, dans tous les cas il est essentiel d’assurer la mise en place de mécanismes qui contribuent à une transition juste afin d’éviter un accroissement des inégalités sociales et économiques entre les individus et les nations (53).

Avec un tel positionnement, on peut bien comprendre que Waridel soit appréciée de tant de monde. Sur le plan de la rigueur, par contre, ce positionnement équivaut à l’abandon de l’effort de calculer le prix et de l’internaliser, et l’abandon, au préalable, du défi de réduire des deux-tiers notre empreinte écologique. Plus généralement, en parlant par exemple des transports, elle ne pousse pas sa réflexion jusqu’à fournir un portrait du résultat de ses calculs. Je pourrais passer des pages à en multiplier les exemples de cette approche, de cette décision, qui rend finalement inopérant à peu près l’ensemble de ses propositions (qui ne sont jamais précises, de toute façon).

C’est à peu près cela le propos de Nadeau…

 

[1] Les données pour ces trois graphiques datent de 2005, pour Planète vivante 2008; le rapport annuel n’utilise plus ce format, qui me paraît pertinent à utiliser ici. Des choses ont pu changer un peu depuis, mais cela en même temps que la marge de manœuvre a diminué avec la croissance démographique.

[2] Les documents proviennent du Manhattan Institute, où Mills est un senior fellow. Cet organisme est un think-tank américain explicitement conservateur. Philippe Gauthier m’indique qu’une de leurs orientations est de noircir le tableau des renouvelables afin d’ouvrir la porte pour le maintien de notre dépendance à l’énergie fossile. Il faut donc regarder les propos avec prudence, mais je ne vois pas pourquoi les données et les calculs devraient être jugés fautifs. De la même façon, le Shift Project, sous la direction de Jean-Marc Jancovici en France, est source de mon avant-dernier article sur les projections de l’AIÉ; il s’oriente clairement vers les grandes préoccupations touchant le climat et l’énergie pour l’Europe. Et finalement, l’Institut Momentum est présidé par Yves Cochet et est source des informations fournies par son livre.

Finalement, Gail Tverberg intervient régulièrement sur son blogue Our Finite World pour souligner différents problèmes plus ou moins reconnus avec les renouvelables. J’identifie son site comme d’intérêt sur mon blogue.

[3] Voir le récent article de Gérard Bérubé du 25-26 janvier dans Le Devoir, «Finance vert pâle,» qui fait fait un peu le tour de la question en fonction de la récente tenue du Forum économique mondial à Davos.

 

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