350.org : si j’étais environnementaliste

Avis : À noter à ce jour du 21 septembre que, si j’étais environnementaliste, je serais en train de faire campagne avec 350.org pour l’adoption des mesures proposées dans l’ensemble des documents prônant l’économie verte comme approche à favoriser face, entre autres, à la menace des changements climatiques. En effet, c’est sûrement cela que les groupes sont en train de faire, plutôt que de travailler à l’analyse la plus objective possible de cette approche et à l’alternative qui s’impose pour mieux nous positionner face aux risques devant nous. Je serais prêt à gager que 350.org, pas plus que les autres, n’a pas élaboré un programme pour l’atteinte de ses objectifs accompagné d’une analyse des risques associés à sa poursuite. Que tout soit orienté vers l’économie verte et qu’aucune analyse ne soit en train d’être faite en fonction des implications du pic de pétrole et de l’imminence apparente de l’effondrement projeté par le Club de Rome me paraît presque absurde. Le récent document signé Calderón et Stern montre encore une fois les risques que le mouvement est en train d’encourir sans en évaluer les conséquences de l’échec probable.

Ce n’est pas la première fois récemment que je me vois en train de lire un volumineux document prônant les objectifs du mouvement environnemental et signé par ceux qui ont refusé de les reconnaître et de les mettre en œuvre pendant des décennies. Le brassement autour de Rio+20 en 2012 nous en a fourni toute une collection sous la thématique de l’économie verte, et maintenant c’est le brassement autour des préparatifs pour Paris 2015 qui prend la relève. Le tout récent document déposé aux Nations Unies par Felipe Calderón et Nicolas Stern suit ceux du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) mené par Jeremy Sachs, Risky Business signé par les millairdaires Bloomberg, Paulson et Steyer et l’intervention du Fonds monétaire international (FMI) sur l’importance de bien établir le prix de l’énergie. La plupart de mes récents articles portent sur ces documents, dont ceux du FMI.

La lecture attentive du The New Climate Economy Report constitue tout un défi. Des pages et des pages proposent ce que le mouvement environnemental propose depuis toujours. La différence : le rapport est le fruit du travail d’une commission formée de 24 décideurs, venant presque exclusivement des milieux économiques et politiques, conseillée par une quinzaine d’économistes de haut niveau, et il met l’accent sur la croissance économique – «economic prosperity and development» – que les nations doivent viser tout en contrôlant le dérapage du climat. On y trouve justement et entre autres les ministres de Finance de nombreux pays en complément aux politiciens qui les écoutaient pendant tant de temps. La menace des changements climatiques est maintenant craint partout, et finalement par de nombreux décideurs eux-mêmes, non sans un certain déni évident (comme dans le DDPP) devant les contraintes énormes (insurmontables) qu’ils reconnaissent tout au long du document.

Le défi est de voir ce qui est changé dans la pensée de ces politiciens et économistes qui leur permet d’accepter d’emblée l’agenda des mouvements environnemental et social. Tout y est ou presque dans la vision d’une «meilleure croissance qui améliore la qualité de vie à travers les dimensions du revenu, de meilleure santé, de villes plus vivables, de résilience, de réduction de la pauvreté et de l’innovation plus rapide» tout en atteignant un «meilleur climat» (41). Il faut également essayer d’évaluer l’importance du fait que ces décideurs des milieux économiques, suivant les interventions du FMI, (i) acceptent l’importance de tenir compte des coûts des externalités (qu’ils préfèrent appeler des «market failures», des défaillances des marchés) tout en (ii) négligeant complètement une partie importante de ces externalités. Dans l’ensemble, les coûts de ces externalités représentent entre les deux-tiers et les trois-quarts du PIB lui-même, selon les calculs d’indices de progrès véritable faits pour de nombreux pays.

 

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La première partie de la réponse semble claire : le rapport du GIEC et l’expérience presque quotidienne de dérèglements climatiques ne permettent plus le déni (en oubliant Harper et même Couillard). Par contre, le rapport insiste qu’il «ne porte pas sur les mesures pour réduire les émissions de GES, que d’autres ont fait de façon compréhensive» (p.12). Le programme «compréhensif» du DDPP, probablement le plus important proposé à date, n’arrive pas à atteindre les résultats nécessaires pour respecter les calculs et l’échéancier du GIEC.

L’analyse de la deuxième partie de la réponse est le vrai défi : le rapport entérine une croissance économique pour les prochaines décennies qui est presque hallucinante (sauf pour les économistes) et cherche à fournir les pistes «permettant aux décideurs de poursuivre leurs objectifs tout en réduisant leur impact sur le climat». En effet, et comme le document le montre, les objectifs de nos décideurs sont économiques, reconnaissant comme les auteurs du document l’importance des «vraies affaires».

Le document cite l’OCDE à l’effet qu’en 2050 il y aura une consommation trois fois plus importante per capita qu’aujourd’hui et que le PIB mondial sera quatre fois plus important. En insistant sur le fait que «l’innovation rend possible le maintien de la croissance des économies dans un monde de ressources limitées», le texte suggère (45-46) que les nouvelles technologies à découvrir et à mettre en oeuvre doivent donc nous permettre de réduire les besoins en ressources et la pollution comme les émissions de GES de façon plus importante que la croissance de notre demande ne l’augmente. Le rapport insère ce défi dans une acceptation des calculs et de l’échéancier du GIEC concernant ces émissions, cela en voyant augmenter l’énergie utilisée de 80%.

Voilà tout le défi dans la volonté de croître que met de l’avant le document, un défi comportant des risques énormes, dont la possible perte de contrôle du climat. Partout dans le document, les auteurs insèrent des mises en garde quant à la difficulté en cause, non seulement face aux innovations technologiques à trouver (le coeur du travail et de l’espoir du DDPP) mais également face à ce qu’ils appellent les contraintes de l’économie politique. Ces contraintes se présentent à presque chaque geste proposé. Les auteurs, des décideurs économiques comme nous les connaissons depuis des décennies, reconnaissent donc l’importance des défis environnementaux et sociaux, mais manifestent une insouciance presque totale dans leur approche à la gestion de risque face à ces défis.

Il est primordial de pousser le raisonnement plus loin que ne le fait le document. Celui-ci intervient face au défi des changements climatiques, reconnaissant les coûts inacceptables associés à une mauvaise gestion de ce risque en particulier. Il ne tient compte d’aucune façon de toute la série d’autres défis, d’autres risques, qui menacent l’humanité et qui comportent eux-aussi des coûts économiques et sociaux. On peut penser à l’effondrement des pêcheries qui s’annoncent, aux pénuries d’eau potable et pour l’irrigation qui s’annoncent – pour ne mentionner que deux d’entre eux. C’est dans ce contexte d’une vision incomplète que le travail invite à un regard sur le modèle de Halte à la croissance, pour mieux définir les risques dont les auteurs ne ciblent qu’une partie. Dans le contexte d’une gestion de risques, il y a une absence presque absurde de travaux sur une vision alternative. Finalement, les économistes en cause ici n’ont pas changé de pensée mais ont décidé de rendre plus explicite leur incapacité à concevoir un changement dans leur modèle économique.

Dès le début du document, et par la suite, ils cherchent à répondre à cette critique.

There is a perception that strong economic growth and climate action are not, in fact, compatible. Some people argue that action to tackle climate change will inevitably damage economic growth, so societies have to choose: grow and accept rising climate risk, or reduce climate risk but accept economic stagnation and continued under-development.

This view is based on a fundamental misunderstanding of the dynamics of today’s global economy. It is anchored in an implicit assumption that economies are unchanging and efficient, and future growth will largely be a linear continuation of past trends. Thus any shift towards a lower-carbon path would inevitably bring higher costs and slower growth.

But “business as usual” in this sense is an illusion.
New pressures on resources, changing structures of global production and trade, demographic change and technological advances have already altered countries’ growth paths. They will make the future inescapably different from the past.

The reality is that under any circumstances the next 15 years will see major structural transformations in the global economy. As population growth and urbanisation continue, global output is likely to increase by half or more. Rapid technological advances will continue to reshape production and consumption patterns. Total investment in the global economy is likely to be of the order of US$300–400 trillion. Of this, around US$90 trillion is likely to be invested in infrastructure across the cities, land use and energy systems where emissions will be concentrated. The global scale and speed of this investment will be unprecedented: it will inevitably result not in incremental or marginal changes to the nature of economies, but in structural ones. (15)

There is a perception that there is a trade-off in the short to medium term between economic growth and climate action, but this is due largely to a misconception (built into many model-based assessments) that economies are static, unchanging and perfectly efficient. Any reform or policy which forces an economy to deviate from this counterfactual incurs a trade-off or cost, so any climate policy is often found to impose large short- and medium-term costs.

In reality, however, there are a number of reform opportunities that can reduce market failures and rigidities that lead to the inefficient allocation of resources, hold back growth and generate excess greenhouse gas emissions. Indeed, once the multiple benefits of measures to reduce GHG emissions are taken into consideration, such as the potential health gains from better local air quality, many of the perceived net costs can be reduced or eliminated. (40-41 – section Économics of Change)

The framework starts from the recognition that economies are not static, but rather are dynamic and constantly changing. It has four main building blocks:

     Short-run opportunities to tackle market imperfections that hurt economic performance and increase climate risk;

     Investment, growth and structural change in different country contexts;

     Flexible approaches to managing transition, especially given political economy challenges, and distributional issues that need to be tackled; and

     Development and deployment of new measurement and modelling tools that can improve economic decision-making and lead to better policy choices.

     How the framework is applied will vary by country, depending on income levels and economic structures. (41)

Finalement, les auteurs parlent de l’économie, des économies, en termes de leurs composantes et de leurs «structures», mais ne s’attaquent pas du tout au modèle, même si cela est mentionné comme contexte pour la première partie de la citation. Je ne connais pas de critiques de la sorte identifiée ici par les auteurs. Ce qu’il faut regarder est le modèle de base, celui d’une approche au développement où la croissance est le moteur des bénéfices, cela en fonction d’une compétitivité nécessaire de chaque économie et d’une concurrence entre ses composantes, le tout dans la recherche de profits ; il est également celui des inégalités qui en découlent naturellement, et que les auteurs suggèrent doivent être corrigées, en parlant des enjeux de distribution à la fin de la citation. Ils proposent même le recours à de nouveaux indicateurs (comme, implicitement, l’Indice de progrès véritable) mais n’y ont pas recours eux-mêmes pour leurs propres approches aux décisions. Autant ces auteurs que leurs correspondants dans la vie quotidienne parmi les décideurs (économiques) se montrent incapables de jeter un regard sur le modèle lui-même, tellement il est pris pour acquis.

L’intérêt principal du document de Calderón et Stern est qu’il montre partout les risques que comporte l’approche ciblant la croissance économique continue à l’échelle planétaire, sans y appliquer une approche satisfaisante à la gestion des risques qui est en cause. À suivre dans les prochains articles…

 

 

 

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2 Commentaires

  1. J’ai écouté hier, tout de même d’une oreille discrète, les engagements pris à l’ONU par des chefs d’États ou de gouvernements à l’occasion du Sommet sur le climat convoqué par le secrétaire général, Ban Ki-moon. Une litanie de vœux pieux, de nouvelles promesses qui ne tiendront pas la route, en vue de rassurer une opinion publique plus ou moins consciente des dangers qui menacent cette civilisation globalisée. Seule nouveauté, le capitalisme financier qui semble commencer à saliver à l’idée de spéculer sur le prix du carbone… Verrons-nous bientôt arriver sur ce marché des produits dérivés, options et CDS, permettant à leurs détenteurs d’empocher des profits colossaux aussi superficiels qu’inutiles en regard du bien commun.

    Les jeux sont faits, rien n’ira plus! Il faut sans doute dès maintenant commencer à préparer l’après. Mais comment?

  2. En complément pour la réflexion, un petit opuscule de Serge Latouche publié aux éditions Mille et une nuits en 2012 et intitulé « L’âge des limites ». L’auteur y développe une thèse où ce sont la négation des limites tant naturelles qu’économiques, culturelles ou morales qui nourrit cette course effrénée vers l’effondrement.

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