Biographie du prof devenu blogueur

L’enseignement a fourni tout au long de ma vie un complément aux interventions dans la société civile (Life Report). Àlors que les efforts de promouvoir un développement qui soit soutenable ont engagé des qualités et des compétences qui ont évolué avec l’expérience, une carrière dans l’enseignement a permis d’approfondir les fondements de cette expérience. J’ai réussi dans cette carrière à poursuivre les orientations établies dès mon entrée au collège, à la fin des années 1950. Fondées sur la lecture du livre de Mortimer Adler, How To Read a Book, j’ai pu me consacrer à des exercices qui cherchaient toujours à mettre les auteurs et leurs livres à l’avant plan de mon travail. Il n’est plus nécessaire, depuis l’arrivée de l’impression, de présenter des livres dans les cours; ces livres peuvent être lus directement. Le travail du prof devient (voir L’actualité d’octobre 2012) un qui aide les étudiants à mieux approfondir ce qu’ils ont lu, cela en insistant sur le dialogue qui permet de valider sa lecture en le mettant en regard de celles d’autres.

Le Soleil photo Lauréat

Pour ce travail, ma propre lecture de l’œuvre de Platon, dès ma première année au collège, m’a mis en contact avec Socrate, resté mon mentor toute ma vie (voir «Un philosophe écologiste errant», dans Liberté (mai 1996) et ma réflexion en quittant le poste de Commissaire en 2008 «Mouches»). Socrate n’a jamais écrit, et s’abstenait, dans ses dialogues avec les élites d’Athènes, de prétendre faire des discours. Tout portait sur la confrontation d’idées, dans le but de faire sortir les erreurs et les faussetés dans le discours de tout le monde, et, indirectement et à travers le dialogue, de permettre un approfondissement de ses propres idées.

Voué à une carrière dans les sciences, les mêmes expériences au collège, dans le programme bâti sur celui de St.John’s College, ont transformé les orientations pour former un humaniste, un généraliste à la recherche d’une vérité incomplète et partielle, dans tous les domaines. L’écrit devient un complément à l’exercice du dialogue, quittant le modèle de Socrate et Platon, tout en essayant d’éviter celui d’Aristote. Le modèle devient Montaigne, inventeur du concept de l’essai dans l’écrit. À travers ses essais, retravaillés au fil des ans, sans le moindre souci d’une importance à accorder à l’édition, Montaigne a plutôt mis l’accent sur des sources de ces réflexions et sur l’importance de poursuivre l’écrit dans la conviction qu’il est imparfait.

De nos jours (disons le 20e siècle), Wittgenstein a poursuivi les grandes lignes de ces autres modèles, dans ses Investigations. Un sujet lui permettait, paragraphe par paragraphe, d’approndir sa réflexion, tout en l’amenant à changer de sujet et se lancer dans une nouvelle. Il pouvait revenir sur l’une ou l’autre, plus tard, sans se soucier outre mesure de s’assurer d’une cohérence avec ses réflexions antérieures. Cela marquait un contraste profond pour l’auteur des Tractatus Logico-Philosophicus, œuvre de sa jeunesse (et de la mienne), où tout le contraire le dominait, jusqu’à ce qu’il ait sa rencontre quelque part avec son Socrate (Wittgenstein).

Le professeur et ses étudiants représentaient, pour de nombreux collègues et observateurs, des exemples d’égarés parmi les intellectuels : des lectures très variées, et toujours en révision, des écrits tentatifs et visant la correction bien plutôt que la propogation de vérités, des dialogues qui n’aboutissaient pas à des conclusions pouvant être inscrites pour la postérité. La table ronde, ou plutôt ovale, a marqué toute la carrière, au début à St. Mary’s College (California) où j’ai pris mon B.A., ensuite à St. John’s College (New Mexico) et Champlain St. Lawrence (Québec). J’ai enseigné pendant 25 ans à ce dernier collège.

Même lors de mes études au doctorat à l’Université Laval, où le caractère magistral des cours allait à l’encontre de tous mes principes, j’ai pu une fois faire l’école buissonnière : pendant ma dernière année de doctorat, j’ai réussi à assister comme auditeur libre (et participant actif) à un cours en table ronde sur le roman français du XXe siècle, en même temps qu’un de mes cours en philosophie. Nous étions seulement 15, nous lisions plusieurs romans de chaque auteur, chaque semaine, et nous échangions sur nos lectures. C’était le meilleur cours de mes trois années de doctorat! Suivant le constat et le principe qui m’amènent à rejeter les cours magistraux, je n’ai pas assisté à un seul des cours en philosophie, mais j’ai pu en obtenir les notes et passer l’examen, à travers une certaine angoisse lors du rattrapage…

Dans l’effort de remédier aux défauts de mes études à Laval, j’ai décidé de poursuivre mes études à l’University of Chicago, avec un gourou de mes années au collège. Nous faisions le Comité pour l’analyse des idées et l’étude des méthodes, tout un défi. C’était révélateur, suffisant pour influencer ma carrière par la suite, même si j’ai décidé de terminer le doctorat formel à Laval, plutôt de consacrer sept années de plus à Chicago.

Je me suis marié à une Québécoise pendant ce même automne de ma dernière année de doctorat, événement presque emblématique de ma recherche d’une vie non régie exclusivement par la pensée. Et nos deux enfants sont nés pendant le passage à Chicago, ces deux nouveaux êtres étant ègalement une influence marquante pour ma vie personnelle.

janvier 2013

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