Réduire notre consommation d’énergie?

C’était rafraichissant de voir le titre du texte d’opinion «L’électrification «mur à mur» n’est pas la panacée» sauter des pages du Devoir (Le texte complet se trouve à la fin de mon article ici.). Je venais tout juste de consacrer le début de mon dernier article, une critique du récent livre de Laure Waridel, à une mise en scène mettant en évidence notre empreinte écologique trois fois trop importante, mais négligée par tout le monde.  Je pouvais m’imaginer que c’était justement une reconnaissance de mon point.

État de l'énergie au Québec 2020 p.46

Le gaz naturel représente 12 Mt des émissions, alors que le pétrole en représente 43Mt. En dépit de son titre et de son premier paragraphe ciblant les énergies fossiles, le texte collectif met l’accent exclusivement sur le gaz. Source: 2020 L’État de l’énergie au Québec, HEC Montréal

Finalement, l’article passe presque immédiatement à une recherche des HEC sous la direction de Pierre-Olivier Pineau portant sur l’impossibilité d’électrifier l’ensemble des usages du gaz naturel, ce qui semble rendre prévisibles des scénarios catastrophiques. Sans aucunes explications, le texte prétend que ces scénarios sont évitables; clé du constat, la transition qui nous donne deux décennies pour faire ce que nous n’avons pas fait jusqu’ici, cela en évitant de parler (i) dé pétrole et (ii) des objectifs de réductions du GIÉC pour 2030. Il y a urgence, mais – comme pour Waridel dans son livre – il faut foncer sur la transition…

2030?

L’article est une sorte de reprise de la présentation de Waridel, qui évite de chiffrer (seule exception: une réduction en 2040 de 10 Mt si toutes les mesures visant le gaz étaient en place…) et qui abandonne un échéancier quelconque, dont celui du GIÉC pour 2030 – cela en mettant l’accent exclusivement sur le gaz, alors que c’est le pétrole qui est de loin plus important (voir le graphique). Une décision de ne pas construire GNL Québec – ce qui semble être la revendication de l’article, finalement – aurait certainement des conséquences positives sur notre bilan en 2030, mais cela n’aura rien à voir avec des décisions de réduire notre consommation d’énergie (et d’autres objets de consommation).

Le défi a été quantifié et explicité en 2013 par Normand Mousseau, co-président de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, quand il a regardé de près l’objectif du gouvernement péquiste de réduire ses émissions de 25% pour 2020. Contrairement aux signataires du récent article du Devoir, Mousseau mettait cartes sur table, tout en restant plutôt optimiste lui-même, une exigence des signataires du texte récent: gérer les émissions comporte un changement de société, et surtout en regardant du côté du pétrole, clé pour les transports, plutôt que du gaz (finalement plutôt secondaire dans le bilan du Québec – voir le graphique).

Gérer les émissions comporte un changement de société

L’encadré présente des calculs de réductions qui seraient requises dans les quatre principaux secteurs responsables des émissions. Les trois autres secteurs restent avec de nombreuses possibilités alternatives, il faut croire, mais le secteur des transports ne fournit pas beaucoup d’alternatives: on arrête le transport personnel ou on arrête le transport commercial…

Dans le temps, penser pouvoir électrifier la moitié de la flotte automobile dans une dizaine d’années (en fait, moins) aurait été de la fabulation, et l’alternative – la bonne de toute façon, puisque la vaste majorité des pays carburent dans leurs transports et dans l’électricité pouvant les alimenter, à l’énergie fossile, contrairement au Québec – était de retirer de la route plus de 2 000 000 de véhicules.

Aujourd’hui, nous avons une mise à jour, non pas d’un gouvernement, mais du GIÉC: d’ici 2030 il faudrait réduire nos émissions d’environ 50%, le double de l’objectif de 2013 (pour le gouvernement, c’est -37.5%). Mousseau n’a jamais mis à jour son calcul, mais il semble presque évident que, pour respecter les mises en garde du GIÉC, la gestion des émissions dans les transports, en ciblant les véhicules personnels plutôt que l’ensemble, aboutit à l’abandon du véhicule personnel comme mode de transport, cela pendant la «transition» des dix prochaines années. Actuellement, le gouvernement a fixé un objectif d’électrifier 100 000 véhicules personnels dans un parc d’environ 5 000 000 véhicules, environ 2%…

Un plan d’action en 2020?

On voit la frilosité des signataires dans le texte d’opinion, évitant: des chiffres; suggérant sans argumentaire que les scénarios catastrophiques peuvent être évités tout comme de nombreuses contraintes pour des industries importantes au Québec; laissant carrément sans mention les transports et le pétrole alors qu’il s’agit des plus importantes sources d’émissions de la province. Nous semblons pourtant être devant des scénarios comportant des incidences dramatiques (catastrophiques?) sur la société, sur son économie, sur l’ensemble de ses activités.

Finalement, on peut bien s’inquiéter d’une frilosité plus importante de la part du gouvernement quand il se verra confronté aux implications de ses propres engagements (en fait, ceux des gouvernements précédents et deux du GIÉC qui devraient s’imposer) dans le travail sur le plan d’action promis. Pour lw moment, cel semble se restreindre au maintien de l’objectif du gouvernement Couillard d’une réduction des émissions de 37,5% pour 2030 plutôt que l’objectif du GI©, selon un article du Devoir du 6 février basé sur une entrevue avec le ministre de l’Environnement Charest: «Québec n’a pas l’intention de suivre les recommandations du GIÉC».

 

Finalement, en dépit de la qualité des signataires, il me paraît tout simplement impossible à décoder le but des signataires en publiant leur texte. Chose certaine, ils évitent de confronter le défi principal, qui comporte des scénarios catastrophiques, et ceux-ci ne sont pas évitables en respectant les chiffres et les échéanciers.

 

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Le texte d’opinion du Devoir «L’électrification « mur à mur » n’est pas la panacée» (avec quelques commentaires de ma part)

Pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, le Québec doit cesser de brûler des énergies fossiles. L’électrification, fer de lance du plan climat du gouvernement Legault, répondra-t-elle à elle seule à tous les défis que cela pose? Tenter de décarboner notre économie sera un exercice futile et périlleux si nous ne saisissons pas cette occasion pour diminuer en même temps la consommation totale d’énergie

Le texte est clair ici, et c’est presque un primeur

et substituer des produits «verts» à la plupart des biens dont la fabrication dépend d’énergies fossiles. 

mais dérape presque aussitôt en ciblant une substitution plutôt qu’une baisse dans nos produits de consommation autres.

Une recherche récente effectuée par un étudiant de HEC Montréal en fournit une démonstration percutante, en chiffrant ce qui se produirait si on tentait d’électrifier tous les usages actuels du gaz naturel sans remettre en question bon nombre de ces usages.

Et voilà, le texte introduit ce qui semble être sa véritable cible, le gaz naturel et le projet GNL Québec, ce qui va éliminer la réflexion sur le pétrole.

Réalisée par Alexandre Paradis Michaud, sous la direction de M. Pierre-Olivier Pineau, cette étude montre qu’une électrification mur à mur des usages convertibles du gaz exigerait une augmentation de la puissance équivalant à «6,7 fois la capacité installée du complexe hydroélectrique de La Romaine», occasionnerait des coûts faramineux et signerait l’arrêt de mort des industries qui ne peuvent pas se passer de gaz naturel. Ces scénarios catastrophistes sont évidemment évitables 

Ce n’est pas du tout évident comment cela peut être évité, autrement que par la réduction en termes absolus, qui devient un peu plus loin dans la phrase «la planification intégrée des ressources». Ce qui est évident est que l’approche d’électrification n’aurait pas besoin d’être aveugle face à certaines industries clé.

et ne sauraient justifier qu’on ralentisse notre sortie du gaz fossile. Ils ont toutefois le mérite de jeter une lumière crue sur l’urgence de procéder à une planification intégrée des ressources.

Nous disposons grosso modo de deux décennies pour décarboner notre industrie. Nous avons l’obligation morale de le faire. Mais la grande question demeure: comment y arriver?

Et alors que le GIÉC nous fournit des cibles pour 2o3o, il n’en sera pas question dans le texte, qui cible, par ailleurs, le secteur industriel comme seule préoccupation. Nous sommes devant une nouvelle version de la transition de Waridel. Le prochain paragraphe reprend la critique de GNL Québec, qui n’a rien à voir avec la volonté de réduire la consommation… Le paragraphe qui suit reste dans la confusion, suggérant d’électrifier les usages de faible valeur…

D’abord, bannissons toute extension du réseau gazier et toute nouvelle installation au gaz naturel. Du coup, nous éviterons de renforcer l’effet de verrou associé à des infrastructures coûteuses qui ne seraient qu’à moitié amorties dans 20 ans. Ensuite, évitons que nos ressources hydroélectriques servent à alourdir notre bilan carbone au lieu de l’alléger. GNL Québec, qui utiliserait l’électricité d’Hydro-Québec pour liquéfier du gaz issu de la fracturation en Alberta, gaspillerait à elle seule 5 TWh d’hydroélectricité par an pendant au moins 25 ans. Cela représente environ les deux tiers de la capacité en énergie du complexe de La Romaine.

Évitons de brûler le gaz utilisé pour des usages électrifiables et marquons ainsi un progrès fabuleux en faisant chuter les émissions annuelles du Québec de 79 à 69 Mt éq. CO2. À cette fin, réduisons la demande énergétique à la source en diminuant la consommation de matières premières nécessaires à la fabrication de marchandises de peu de valeur.

Pourquoi seulement des marchandises de peu de valeur? On comprend que le texte ne veut pas brasser trop fort…

Briser la dépendance au gaz

Faisons aussi des efforts sérieux d’efficacité énergétique […]. Écoconception, économie de la fonctionnalité, interdiction de l’obsolescence programmée, bannissement des objets à usage unique, lutte contre le gaspillage, grille intelligente, stockage électrique, amélioration de la performance énergétique des bâtiments : combinées, ces mesures nous permettront de briser notre dépendance au gaz tout en modernisant notre économie et en réduisant radicalement notre consommation totale d’énergie.

C’est le programme de la transition, échelonné sur au moins deux décennies, alors que cela fait déjà des décennies que c’est à l’ordre du jour. Le texte parle d’une dépendance au gaz, alors que notre dépendance est au pétrole…

On voit la volonté d’éviter de frapper trop fort, mais il n’y a aucun effort de chiffrer quoi que ce soit (sauf la réduction de 10Mt), aucune explication quant à la façon d’éviter des choix financiers difficiles.

Il sera ainsi possible d’opérer notre sortie du gaz sans mettre la société québécoise devant des choix financiers difficiles ni construire de nouvelles infrastructures hydroélectriques qui fragiliseraient encore davantage les écosystèmes et pourraient porter atteinte aux droits territoriaux des peuples autochtones.

Certaines entreprises, notamment dans les secteurs de la sidérurgie, des gaz industriels et de la pétrochimie, dépendent du gaz naturel comme intrant non énergétique ou de procédés au gaz naturel qu’il est impossible d’électrifier. Diminuons la demande visant les matières issues de ces industries […].

Ce qui va les affecter…

Au Québec comme ailleurs, dans un monde décarboné, certaines industries auront perdu de l’importance ou même disparu. D’autres se seront développées, mieux ancrées dans leur territoire, plus respectueuses de ses limites biophysiques, adaptées à un monde résilient où la survie de l’humanité passe avant celle d’une industrie.

Nous sommes de retour au message de base, qu’il faut réduire notre empreinte, ici en acceptant la perte de certaines industries. Par contre, il est difficile à imaginer la disparition de la sidérurgie – sinon ici, ailleurs.

Ce n’est pas en électrifiant le statu quo que nous mettrons le Québec à l’abri des chocs inhérents à ces mutations. Au contraire: pour éviter que la restructuration industrielle frappe brutalement les travailleurs des secteurs en déclin, dotons-nous d’un diagnostic lucide de la situation globale et déployons d’urgence une transition juste vers une économie décarbonée où la consommation de matières et d’énergie aura radicalement diminué. Le défi est de taille: unissons-nous pour le surmonter.

Il manque cruellement des objectifs chiffrés et des échéanciers. Il n’y a aucune justification pour l’absence de toute programmation ciblant l’électrification alors que le texte propose de partir de zéro…

 

*Jean Paradis, fondateur de Négawatts production inc.; Bruno Detuncq, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec; Dominic Champagne, le Pacte pour la transition; Nicholas Ouellet, Gazoduq, parlons-en !; Carole Dupuis, Mouvement écocitoyen UNEplanète; Julie Côté, Coalition anti-pipeline Rouyn-Noranda; Eric Pineault, Institut des sciences de l’environnement, UQAM; Michel Lambert, Alternatives; Frédéric Legault, La Planète s’invite au Parlement; Claude Vaillancourt, ATTAC-Québec; Alain Branchaud, SNAP Québec; Patrick Bonin, Greenpeace

 

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L’effondrement – présentation et maintenant vidéo

MISE À JOUR LE PREMIER FÉVRIER 2020

Le 10 septembre dernier, j’ai publié un article sur une présentation que j’ai faite en ouverture d’une fin de semaine sur la question de l’effondrement. Le titre était «L’effondrement: Fin d’un monde, construire un nouveau?». Ce PowerPoint sert de complément à la vidéo, qui se retrouve maintenant sur Youtube.

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