Dépopulation ou reprise de contrôle possible de notre avenir? – suite

J’ai terminé le dernier article beaucoup trop hâtivement, mais en citant Fournier sur l’important.

«Voici donc l’importance de la science des projections démographiques: nous entrerons peut-être bientôt dans une ère où les gouvernements de la planète ne pourront plus compter sur un renouvellement continu de la population pour financer la qualité de vie des prochaines générations. Il sera crucial de nous y préparer.»

En effet, tout récemment, je me trouvais surpris de réaliser que nous sommes déjà dans la période où les projections de Halte nous voient à un moment charnière où les populations humaines vont commencer un déclin assez abrupt. Entre Fournier, qui regrette que la croissance ne puisse pas continuer, et des gens comme moi qui voyons la situation dans un tout autre contexte, les courbes de croissance dans tous les secteurs ne peuvent pas continuer, et – comme Fournier souligne, sans en comprendre le contexte – il faut se préparer à cela.

La version de Turner du graphique de base de 1972, déjà présentée à plusieurs reprises

C’était par ailleurs le message de base de mon texte pour le 40e de Nature Québec:

Le mouvement environnemental doit désormais rechercher (i) une vision d’une société à l’avenir beaucoup moins riche que celle d’aujourd’hui et (ii) travailler auprès de la population pour qu’elle comprenne et accepte la nouvelle situation, que l’on peut appeler un effondrement. C’était le but de mon livre Trop Tard : Fin d’un monde et le début d’un nouveau (2017) de contribuer à cet effort.

Les conséquences commencent justement avec une réduction des revenus de l’État provenant de la réduction de la taille de la population active. Cette réduction se fait sentir aussi dans la partie la plus importante du PIB, la consommation (C). La croissance pendant des décennies a permis des surplus d’activités, de revenus, et de taille de l’État, en négligeant les coûts encourus en termes d’impacts et en fondant beaucoup des activités «économiques» sur un endettement devenu aujourd’hui extraordinaire.

On commence peut-être à voir certains éléments de la vie après la pandémie, et celle après l’effondrement (sans prétendre qu’il y ait un lien entre les deux). Les secteurs de l’économie nécessitant une main-d’œuvre, et celle-ci à bon marché (les services, dont la restauration, le tourisme, les loisirs en grand nombre), ont été touchés par la pandémie, mais cela n’arrive pas à frapper le cœur de notre vie dans les sociétés contemporaines; ce sont plutôt des activités de luxe. 

La pandémie frappe les réseaux de la santé et de l’éducation, mais ces réseaux sont quand même – en dépit de certaines défaillances – à la base de notre vie en société. Ils exigent d’énormes investissements de la part des gouvernements, et toute baisse dans les revenus des États (Fournier le souligne) nous mettra devant une situation où il faudra faire des choix. Comme j’ai déjà indiqué à différents moments, notre éducation universitaire semble consacrée à un soutien à différents secteurs économiques, et un virage qui mettrait la croissance économique entre parenthèses réduirait l’importance de l’éducation supérieure. Ce serait quasiment un retour à l’éducation au moment de la Révolution tranquille, où il y avait encore une préoccupation pour la formation générale plutôt que pour celle spécialisée et visant une contribution à l’économie.

Là où l’effondrement, la décroissance, frapperait le plus fort serait probablement dans nos activités de consommation (60-70% du PIB). Ici aussi, ce serait un retour à un moment quand même pas si lointain, à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale. On nous verrait ici sans l’énorme contribution des technologies à nos vies individuelles, devenue presque une distraction dans la vie quotidienne. Ce qui serait quand même significatif serait la vision d’un monde où cette contribution se verrait réduite énormément. Yves Cochet fait une contribution intéressante sur la vision en cause dans Devant l’effondrement: Essai de collapsologie (Les liens qui libèrent, 2019 – voir http://www.harveymead.org/2021/04/).

En fait, le Québec a certains atouts qui permettent de penser à son avenir sans l’introduire fatalement dans un effondrement plus général à grande échelle. Il s’agit surtout de son hydroélectricité, capable de fournir environ la moitié de ses besoins actuels en énergie, et la totalité des vrais besoins une fois la crise identifiée et ses ressources appliquées aux véritables priorités. 

Le déclin du pétrole conventionnel va affecter les pays riches de façon marquée, seules les élites dans les pays pauvres comme ceux de l’Afrique. C’est ici où Cochet fournit des pistes de réflexion et où je laisse ma propre réflexion, dont le but était de soutenir le constat de Fournier mais en le plaçant dans un contexte plus sérieux.

En effet, nous sommes allés déjà trop loin…

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Dépopulation ou reprise de contrôle possible de notre avenir?

Pour le 40e anniversaire de la fondation de Nature Québec, j’ai écrit un court texte qui parlait, d’une part, de certains acquis de l’organisme au fil des ans et, d’autre part, d’une sorte d’échec global. Mon point principal à cet égard: alors qu’il y a 40 ans l’humanité en général et ses différentes populations à travers le monde étaient peut-être dans une situation gérable, aujourd’hui la croissance économique, couplée à une croissance démographique, ont rendu la situation non gérable, celle des crises que nous connaissons aujourd’hui.

Pendant ce temps, l’augmentation de la population (d’environ 30%) faisait que des atteintes moins flamboyantes se faisaient partout, pour fournir des milieux de vie et de travail pour tout ce monde. Finalement, en dépit de progrès importants dans la gestion du territoire, la simple expansion de la population et la croissance économique qui y était associée ont réussi ce que des projets d’envergure ne réussissaient pas à faire, soit une dégradation importante de l’ensemble des milieux naturels de la province.

Cette population a connu son essor – c’était ce qui se passait partout dans les pays riches – grâce à un recours à l’énergie fossile, pour ses usines, pour ses transports, pour presque toute l’activité économique et sociale. En dépit de l’énorme contribution de l’énergie venant des barrages d’Hydro-Québec (que Nature Québec contestait souvent…), quand ce n’était pas une reconnaissance de ce qui avait été fait (Baie James, Manicouagan-Outardes) avant sa création, le Québec est devenu en grande partie dépendant pour un ensemble de ses activités d’une énergie fossile venant d’ailleurs et qui était presque invisible.

Et voilà le drame en cause pour toute rétrospective sur le mouvement environnemental. Les sociétés riches, pendant ces 40 ans, ont tellement exagéré leur recherche de bien-être, sans prendre en compte ses impacts sur la planète, que nous nous trouvons aujourd’hui devant l’alerte rouge du GIEC : il est tout simplement inimaginable que l’humanité échappe à son échec en termes de développement. Le changement climatique – longtemps sourd, muet et invisible – se prépare à rendre la planète invivable, du moins pour une partie importante de sa population (qui a presque triplé depuis ma naissance) dont la survie dépasserait la capacité de la planète à la soutenir.

La croissance économique dépend en partie de la croissance démographique, qui fournit des consommateurs influençant de façon importante le PIB et le «progrès» que cet indicateur suit. Cette vision des choses se trouve dans l’ensemble de la couverture des médias de nos jours, et l’espoir pour la post-pandémie est que la croissance reprendra. On doit constater que cette croissance et cette consommation sont à l’origine des crises actuelles et une sorte de «retour aux sources» s’imposera, ce que Deneault appelait un «retour à l’anormal».

Il était donc plutôt surprenant de voir Philippe J. Fournier, chroniqueur en science pour le magazine L’actualité, en parler dans une chronique récente en promettant d’y revenir dans une deuxième, cela en introduisant le terme «dépopulation» comme thématique. Fournier fait référence à quelques reprises dans ces chroniques au taux de fertilité nécessaire pour renouveler les générations, nous fournissant même le terme technique pour cela. Par contre, au fond de toute la question et de la narration de Fournier, il y a la réalité vécue pendant ma vie. L’humanité est passé de quelque 2,3 milliards à ma naissance en 1940 à quelque 7,8 milliards aujourd’hui. Fournier nous raconte même sa vie personnelle à cet égard, et je puis faire de même: à la naissance de notre deuxième enfant, mon épouse et moi avons pris la décision d’arrêter la famille à deux enfants, le nombre pour nous remplacer dans le grand ordre des choses. Par un curieux hasard, ni l’une ni l’autre de nos enfants n’a eu d’enfant, et nous voilà donc en train de contribuer à la stabilisation de la population….

Il est troublant de voir Fournier terminer sa réflexion en suggérant, comme scientifique, que le monde humain est en déclin, avec les prospectives justement pour une stabilisation et par la suite une diminution de la surpopulation qu’il appelle, de façon invraisemblable, une dépopulation. Il n’y a eu aucun scénario pendant toute ma vie où nous pouvions penser «remplacer» les générations; il n’y a eu que croissance de la population depuis des décennies, nous mettant dans une situation de surpopulation et ayant besoin d’un «déclin». Pour le Québec, la situation est la même, la province ayant une population en 1940 de 3,3 millions et de 8,6 millions en 2020.

Fournier semble presque insensible à cette énorme croissance du nombre d’humains qui ont peuplé la planète pendant nos vies. Il rejette l’idée d’une surpopulation décrite par les chiffres et, en partant de la situation actuelle, ne peut penser qu’à une dépopulation. Même la Chine rentre dans cette vision tordue: ce pays, qui est peut-être capable de nourrir de ses propres terres agricoles environ 900 millions de personnes, a pris la décision de restreindre la croissance de sa population et voilà, note Fournier, cette population est en déclin après avoir atteint près de 1,5 milliards d’individus…

La vision de Fournier est alimentée par la pensée économique en place depuis près de 100 ans, à l’effet que ce n’est que par la croissance économique que le monde pourra réussir à avancer.

Voici donc l’importance de la science des projections démographiques: nous entrerons peut-être bientôt dans une ère où les gouvernements de la planète ne pourront plus compter sur un renouvellement continu de la population pour financer la qualité de vie des prochaines générations. Il sera crucial de nous y préparer.

En effet, tout récemment, je me trouvais surpris que nous sommes déjà dans la période où les projections de Halte nous voient à un moment charnière où les populations humaines vont commencer un déclin assez abrupte. Entre Fournier, qui regrette que la croissance ne puisse pas continuer, et des gens comme moi qui voyons la situation dans un tout autre contexte, les courbes de croissance dans tous les secteurs ne peuvent pas continuer, et – comme Fournier souligne, sans en comprendre le contexte – il faut se préparer pour cela.

 

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