Championnes de l’environnement

Nouveau contexte pour la croissance

Pendant la récente Conférence de Montréal consacrée à l’identification des fondements pour la prochaine période de croissance, Éric Desrosiers nous a transmis les propos de la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, à l’effet qu’il faut bien tenir compte des externalités environnementales dans l’établissement du prix du pétrole canadien – avant que celle-ci ne passe au sujet de la rencontre et oublie comme les autres le lien entre ce sujet et la crise associées aux externalités que l’activité économique occasionne. Le lendemain, même les pétrolières se montraient prêtes à tenir compte des émissions de GES – en prenant l’exemple d’Obama, dont l’intervention récente, si elle se réalise dans l’actualité éventuelle, ne répond d’aucune façon aux défis tels que présentés par le GIEC dans son récent rapport : Obama cible des réductions d’environ 30% pour une partie des sources des émissions (les centrales au charbon) pour 2030, cela par rapport à 2005 comme référence. Le défi post-Kyoto, avec 1990 comme année de référence, était des réductions au moins aussi importantes, mais pour 2020…

Un problème fondamental avec le positionnement du FMI, de l’OCDE, des pétrolières et d’un ensemble d’autres intervenants à l’échelle internationale aussi bien que nationale qui cherchent à se satisfaire d’une «économie verte» est clairement que leurs chercheurs ne réalisent pas l’ampleur des externalités négatives de notre modèle économique – et des coûts de celles-ci. C’est justement un des objectifs de l’Indice de progrès véritable (IPV) que de calculer ces coûts.

De façon générale, les calculs de cet indice pour différentes sociétés indiquent que depuis trente ou quarante ans les coûts des externalités négatives annulent tout simplement la prétendue «richesse» censée avoir être créée par l’activité économique pendant cette période. Autrement dit (la figure), le PIB de la période montre une tendance toujours à la hausse, alors que l’IPV montre un plafonnement du «progrès véritable». GPI US vs HLM

Le travail non rémunéré, une activité non économique pour le modèle actuel, fournit la contribution la plus importante à notre bien-être tel que mesuré par l’IPV, une fois soustraite de la «richesse» produite par l’activité économique les coûts de ces externalités.

La soustraction de ces coûts réduit le PIB d’environ les trois quarts, et c’est seulement grâce à l’ajout de la valeur du travail non rémunéré (qui n’est pas suivi par le PIB) que l’IPV suggère un niveau de bien-être la moitié de celui suggéré par les économistes qui suivent le PIB comme indicateur.

L’actualité, sens propre, sens figuré – le brouillard

L’ éditorial du 19 juin de Carole Beaulieu dans L’actualité me frappe en montrant jusqu’à quel point elle se situe dans les tendances lourdes et adopte avec confiance le discours économique dominant dans l’analyse de l’actualité. Elle fait le tour des problèmes de l’Europe à la sortie des élections pour le Parlement européen, souligne que tout n’est pas si pire que cela – l’Association des États de la Caraïbe est moins forte que l’Union européenne! – pour conclure que la croissance économique ferait partie des solutions.

Le recours de Beaulieu au discours sur la «richesse» produite par l’activité économique suit la même tendance. Dans son éditorial de l’édition du 1er avril dernier, «La question de l’isoloir», Mme Beaulieu a présenté le nouvel Indice québécois d’équité (IQÉG) entre les générations, où L’actualité est partenaire. Comme elle y dit, «Les indices sont des outils révélateurs. Comme des projecteurs fendent le brouillard, ils éclairent des questions complexes et aident à mieux définir la direction à prendre». Un résultat assez frappant de l’IQÉG est que les aînés vont laisser aux jeunes un legs moins important que ce qu’ils ont reçu eux-mêmes. DSC06942.JPGPour remédier à cela, elle insiste deux fois plus qu’une sur l’importance pour ces aînés de créer de la «richesse», suivant le PIB comme «projecteur» pour définir des orientations.

Dans le même éditorial, pourtant, elle parle de l’Indice de développement humain (IDH) des Nations Unies, créé en 1990, qu’elle avait apprécié en voyant comment il montrait «des pays champions du produit intérieur brut [qui] se transformaient tout à coup en moins bons élèves lorsqu’on mesurait le niveau de bien-être de l’ensemble de leur population». Beaulieu a récidivé dans l’éditorial suivant, soulignant comment le travail des femmes enrichit la société… Ce qu’elle aurait pu souligner : c’est le travail non rémunéré (surtout des femmes…) qui constitue la plus importante contribution au progrès de la société, même si la présence accrue de femmes au marché du travail (rémunéré) a augmenté considérablement le PIB.

Championnes de l’environnement (et de la responsabilité)

Finalement, le magazine L’actualité s’insère très bien dans l’actualité de tous les jours telle que transmise par l’ensemble des médias, et les chroniqueurs économiques du magazine ne manquent pas de rester dans le moule. Un problème avec les journalistes, à leur tour, est qu’il y a de moins en moins de journalisme d’enquête et ils se fient aux chercheurs des autres pour fournir le cadre de leur travail.

La dernière campagne électorale au Québec portait sur les «vraies affaires», et celles-ci ont fait l’objet d’une attention particulière, même si on sentait que les journalistes y voyaient quelque chose d’incomplet. Même dans la présentation de l’actualité à la télévision et à la radio, où le temps est limité, on prend la peine de nous souligner les changements (dans les quelques centièmes de un pourcent, assez souvent) aux Bourses de New York et de Toronto avec un sérieux déconcertant. Ce sont, finalement, pour nos journalistes, des projecteurs dans le brouillard de notre apparente richesse…

Comme les éditoriaux de Beaulieu l’indiquent, les incohérences de la présentation de l’actualité sont en effet déconcertantes. Le même numéro du magazine du 19 juin présente le Palmarès des entreprises citoyennes : 50 championnes de l’environnement!  C’est le reflet du mouvement environnemental, dans son histoire, dans son actualité. Il s’agit de la reconnaissance de gestes intéressants en matière sociale et environnementale, mais gestes qui doivent s’insérer dans un contexte global qui réduit ces gestes à des coups d’épée dans l’eau. (suite…)

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Économie écologique (tertio) : le rêve

J’ai récemment lu Vivement 2050!, ayant choisi le livre en fonction de ses auteurs [1]. En effet, le livre est l’oeuvre d’un collectif d’économistes écologiques de renom publiée en 2012 (en anglais) et en 2013 (en français). Il n’y a même pas d’identification d’auteurs pour les différents chapitres, l’ensemble signant l’ensemble, avec une note à la fin indiquant qu’il peut y avoir quelques différends sur les détails; il reste un mystère comment la rédaction s’est faite, même si différentes parties du livre sont tirées plus ou moins directement de différentes publications antérieures des différents auteurs.

Formellement, le document a été produit dans le cadre du Projet de développement soutenable pour le XXIe  siècle de l’Agenda 21 des Nations Unies, plus spécifiquement, sous les auspices de la Division du développement durable du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies. Le titre de la publication originale, en anglais, était Building a Sustainable and Desirable Economy-in-Society-in-Nature. La Communauté européenne aurait contribué à sa réalisation.

Je ne m’attendais pas à d’importantes découvertes dans la présentation. En effet, il s’agit plutôt de la présentation de l’ensemble du portrait de la civilisation que l’économie écologique est capable de concevoir comme résultat d’une transformation radicale de celle que nous connaissons depuis la Deuxième Guerre mondiale. C’est une vision de ce qui doit suivre celle qui dépend, entre autres, d’une exploitation de la planète qui dépasse la capacité de celle-ci de la soutenir.

Clé dans l’ouvrage, et mise en évidence dès le début, est la distinction entre le modèle économique actuel, le modèle de l’économie verte et le modèle de l’économie écologique. Les deux premiers modèles ont explicitement et fondamentalement la croissance économique comme objectif. Le modèle de l’économie écologique, tout au long du livre, s’en distingue en répudiant la croissance comme incompatible avec la survie de la civilisation que nous connaissons. La première partie de son Tableau 1 en donne les balises.

Vivement 2050Pour des gens qui cherchent un guide pour des orientations en matière d’économie écologique, je crois que nous avons ici la synthèse du travail de personnes parmi les plus actives dans la recherche de l’alternative qui s’impose en ce sens. Le chapitre 1 fournit le contexte historique entre le «monde vide» de l’après-guerre et le «monde plein» d’aujourd’hui. Ce changement radical de situation amène le rejet de la croissance économique – qui se comprenait dans un monde vide – comme insoutenable et non désirable. Le rejet se fait en reconnaissant certaines limites que les auteurs présentent comme aujourd’hui évidentes. Le chapitre 2 présente la vision qu’ont les auteurs du monde en 2050, avec son capital bâti, son capital humain, son capital social et son capital naturel. Le chapitre 3 poursuit avec la présentation des politiques et des réformes nécessaires pour passer outre les crises qui sévissent pour arriver à la société décrite pour 2050: un respect des limites écologiques; une protection des capacités d’épanouissement des personnes et des communautés; la création d’une macro-économie soutenable. Le chapitre 4 rend plus explicites les implications du chapitre précédent, en ciblant une inversion des tendances en matière de consommation, l’extension du secteur des biens communs, l’incidence de quotas sur l’utilisation des ressources naturelles, et le partage du temps de travail. Un dernier chapitre 5 cherche à montrer que cette vision de l’économie écologique est cohérente et faisable.

Ouf! Autant les auteurs condamnent l’économie actuelle comme un désastre et l’économie verte comme une illusion, autant ils fournissent une multitude de raisons qui nous font comprendre que la vision de l’économie écologique est un rêve. Comme l’ensemble des militants des mouvements sociaux et environnementaux des dernières décennies le savent, tout est raisonnable dans les propositions, les politiques, les orientations et les arguments. Le livre répond, en ce sens, à la demande de nombre de mes propres contacts qui demandent ce que je propose comme alternative quand je critique les fondements mêmes de notre société actuelle. Les réformes et les changements – la révolution – que les auteurs proposent pour notre civilisation entière sont nécessaires et urgents, et ils insistent là-dessus. Aux lecteurs de décider s’ils pensent que cela arrivera.

La contrepartie, finalement une question non seulement de ton mais de conviction, sera exemplifiée par l’ouvrage du collectif avec lequel je travaille pour formuler le portrait d’un Québec, non de 2050, mais plutôt de 2030, résultant de transitions forcées dans l’ensemble de nos activités face à des effondrements qui s’enclenchent. J’ai retenu plusieurs passages de Vivement 2050! qui suggèrent que ses auteurs, possédant énormément d’expérience et d’expertise, voient même leur propre travail comme l’esquisse d’un rêve – comme moi; c’est le terme que j’utilise pour la vision de la Commission Brundtland, par ailleurs. Parmi ces passages: «Si elle n’est pas minutieusement planifiée, la transition vers une économie à croissance faible et réduite en temps de travail provoquera un nombre de perturbations incroyables au niveau des sociétés, des localités et des individus… Aussi, une nouvelle infrastructure capable d’envisager des alternatives par secteur, par zone géographique et par période sera indispensable pour que nos choix de société dépassent le stade du simple scénario et deviennent de vraies politiques» (150-151). La transition qu’ils décrivent «risque de provoquer un effondrement économique» (175), même s’il y a des «réponses efficaces» (178) aux perturbations. Le chapitre 5 débute avec le rappel que il y aura une société soutenable à relativement court terme, ou il y aura effondrement (189).

 

[1] Robert Costanza, Gar Alperovitz, Herman E. Daly, Joshua Farley, Carol Franco, Tim Jackson, Ida Kubiszewski, Juliet Schor, Peter Victor

 

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Alain Dubuc et les groupes environnementaux

Alain Dubuc de La Presse a saisi l’occasion de critiquer récemment le positionnement du gouvernement Harper en matière de changements climatiques pour critiquer également les groupes environnementaux. « Le gouvernement Harper, dit-il, a peut-être davantage contribué à compromettre le développement énergétique du Canada que le mouvement environnementaliste. On le voit dans les tensions avec l’administration Obama, incapable d’approuver le projet du pipeline Keystone en raison de l’insensibilité environnementale d’Ottawa.»Tainter and Patzek

Sous-estimer les défis

Dubuc touche des questions de fond, mais manque la cible dans sa critique des groupes environnementaux, tout comme dans son analyse des enjeux énergétiques. Keystone XL est bloqué (jusqu’à après les élections de mi-terme en novembre…) par une opposition au recours aux sables bitumineux pour des raisons environnementales mises de l’avant par les groupes américains.

Dubuc est sensible à un ensemble de gestes hostiles à une gestion environnementales appropriée et, de façon surprenante, propose que c’est cela qui bloque Keystone. Il  prétend, sans s’expliquer, que la contribution aux changements climatiques des énergies non conventionnelles est exagérée, et que le gouvernement Harper pourrait montrer une sensibilité environnementale sans risque pour le développement économique : on peut «tempérer le rythme de leur développement, investir plus pour réduire [mais non éliminer] leurs effets négatifs, et intégrer dans leur prix les coûts en cause.» Dubuc suit dans ceci le FMI, dont la directrice générale Christine Lagarde avait insisté, quelques jours plus tôt, sur les mêmes points.

Mal présenter le développement durable

Le texte débute en suggérant que le développement durable est la conciliation de la logique de la croissance économique et les exigences de l’environnement. Cette conception, très répandue, est inadéquate, surtout quand conciliation signifie l’établissement d’un équilibre entre les exigences des deux. L’objectif presque inconscient est de suggérer une «voie du milieu», d’être raisonnable.  Cette voie n’est plus une option, même si elle pouvait l’être il y a encore 25 ans. Comme le texte l’indique, c’est ainsi que les intervenants du coté économique prétendent doser la croissance, même si personne ne le fait, finalement.

Tout récemment, j’eu ai l’occasion de relire en bonne partie le rapport Brundtland, à l’occasion d’une nouvelle impression du document puisque les stocks en étaient épuisés. J’ai même contribué un texte de présentation à cette nouvelle édition (qui ne change pas un mot du rapport), où je souligne ce qui me paraît clairement l’approche de Brundtland aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux.

Le travail de Brundtland constitue la référence de base pour comprendre le «développement durable», même si la littérature sur la question est volumineuse et l’usage du terme est tel qu’il a perdu presque tout son sens. Mon texte pour la nouvelle édition souligne l’accent mis par Brundtland sur la nécessité de corriger les énormes inégalités entre les pays riches et les pays pauvres comme fondamental au processus de développement. C’est dans un tel contexte que le rapport parle de la croissance économique.

Comprendre le développement dans un contexte de limites

Dans mon texte, je prends pour exemple le chapitre 5 sur l’énergie, mais j’aurais pu tout aussi bien prendre le chapitre 8 sur la croissance industrielle ou le chapitre 3 sur le rôle de l’économie pour montrer ce fondement de l’ouvrage. Brundtland présente dans le chapitre 5 l’approche de «contraction/convergence», soulignant (i) les écarts (en 1987, et toujours en 2014…) entre la consommation d’énergie par les riches et par les pauvres et insistant (ii) sur la nécessaire reconnaissance d’une limite plutôt absolue quant à la consommation totale d’énergie possible. L’objectif devait être (iii) d’atteindre une bonne partie de la convergence, une consommation équilibrée et équitable par les riches et par les pauvres, vers 2020 (…). J’ai fait le portrait de l’expérience, ratée, dans un autre article. (suite…)

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L’économie écologique au Québec (bis) : la question des externalités

Raymond Lutz commente en quelques lignes mon dernier article, sur certains travaux du FMI. Lui répondre directement est difficile, tellement il reste dans le flou et l’émotif. L’intervention mérite quand même une réponse, en essayant de préciser plusieurs points concernant l’économie écologique, et me voilà donc à écrire un nouvel article pour le blogue.

J’ai déjà essayé de le faire dans le Chapitre 1 de mon premier rapport comme Commissaire, mes «observations», dans le langage du Vérificateur général. C’est pour cela que j’y fais référence dans l’article précédent, sur l’économie écologique, que j’illustre justement avec la page couverture de ce chapitre du rapport. Pour faire court, je suggère que la section «Économie écologique et indicateurs complémentaires au produit intérieur brut» (1.60-1.72) de ce petit texte constitue toujours un bon point de départ. Encore suivant l’approche du VG, le texte ne fournit pas de références, mais j’utilisais pour mon analyse.Ecological Economics: Principles and Applications, Herman E. Daly and Joshua Farley (2005). Ce texte a été complété récemment (2012) par Energy and the Wealth of Nations: Understanding the Biophysical Economy, Charles A.S. Hall and Kent A. Klitgaard. J’avais déjà en main depuis des années For the Common Good : Redirecting the Economy toward Community, the Environment and a Sustainable Future, Herman E. Daly and John B. Cobb Jr. (1989), livre qui présente le premier calcul d’un Indice de progrès véritable IPV), pour les États-Unis.

Fig PIB IPV IPV-VTNR

 

Lutz demande, rhétoriquement, si l’économie écologique se résume à internaliser le coût des externalités, suggérant que ce n’est pas le cas, et semble vouloir par cela suggérer d’autres pistes, d’autres approches de l’économie écologique qu’il ne mentionne pas. Le terme «externalités» est bien connu des économistes, et réfère à des implications des activités économiques qui ne figurent pas directement dans le portrait de celles-ci. De façon plus générale, le terme peut référer à l’ensemble des écosystèmes, à la planète entière, comme cadre externe au modèle économique mais essentiel pour la poursuite des activités humaines, dont les activités économiques.

Dans mon article sur le FMI, je souligne le fait que cette organisation internationale prend la peine de calculer le coût de notre utilisation d’énergies fossiles et des impacts des changements climatiques qui en résultent; c’est loin d’être habituel pour ces organisations internationales à vocation économique. Il s’agit d’un calcul de certaines «externalités» de notre développement, dont mon calcul de l’IPV pour le Québec essaie de présenter le coût de l’ensemble et ainsi «corriger» le PIB. Le FMI, je soulignais, semble justement ne pas voir jusqu’où va cette approche, et maintient l’orientation de la croissance. De façon générale, différents calculs de l’IPV indiquent dans leurs résultats que le recours au PIB pour mesurer notre «progrès» le surestime par peut-être trois ou quatre fois (c’est le cas pour le Québec), surestimation qui paraît un peu moins dans la comparaison lorsque l’on réalise que l’IPV ajoute, comme contribution positive à notre progrès, celle du travail non rémunéré et le bénévolat (voir le graphique).

Je peux bien comprendre que le calcul de presque toutes les composantes de l’IPV comporte des failles, tout comme l’effort de calculer la valeur de différentes composantes des écosystèmes, voire de l’ensemble de la planète. Par contre, je ne vois aucune raison de penser que l’approche de l’IPV équivaut à rentrer dans un piège tendu par les promoteurs de la croissance économique, comme semble suggérer Monbiot dans l’article dont Lutz fournit le lien. Je suggère que Monbiot, très intéressant dans ses travaux, généralise ici; l’IPV constitue un effort de rentrer dans le modèle dominant et d’en montrer certaines implications; celles-ci me paraissent désastreuses pour le modèle, plutôt que de lui fournir des armes. C’est pour cela que je ne cherche pas à m’impliquer en restant uniquement ou surtout dans des questions de valeurs, comme Monbiot suggère préférable. Dans son article, lui-même cite toute une série de cas où les valeurs ne sont pas plus respectées que les calculs… Une approche via l’IPV permettant de critiquer dans ses propres termes le développement qui est en train de détruire la planète représente un élément d’attaque qui de toute évidence n’a quand même pas plus de résultats que d’autres approches.

Pour ce qui est des valeurs à la base de l’économie écologique, j’en ai esquissé trois dans mon rapport de 2007, suivant Daly et Farley (1.62) : une reconnaissance de l’importance de l’échelle de nos activités; une reconnaissance de notre dépassement à cet égard, exigeant une allocation des ressources qui limite les marchés; une reconnaissance que les bénéfices du développement doivent comporter une distribution équitable. Autrement dit, l’économie écologique inclut dans ses fondements des questions éthiques tout autant qu’un recours aux fondements de la thermodynamique et une reconnaissance de certaines valeurs monétaires établies par les marchés.

Avant même d’aborder la tâche de calculer l’IPV, j’ai donc calculé l’empreinte écologique du Québec, suivant une méthodologie plutôt robuste; il s’agissait justement d’établir les fondements pour des interventions touchant – au prime abord – la question d’échelle. Le résultat est aussi désastreuse pour le modèle économique actuel que l’IPV. Si toute l’humanité vivait comme une personne vivant au Québec, il faudrait trois planètes pour soutenir son activité. Ce dernier calcul en est un aussi d’externalités, dans le sens qu’il permet de quantifier, sans monétariser, le fait que nous dépassons, et de beaucoup, la capacité du monde «externe» à soutenir notre activité. En termes d’équité, il permet de mieux cerner aussi le caractère tout à tait inéquitable de notre développement, dans l’ensemble des pays riches.

Avant de proposer la poursuite du développement, il faut se poser la question quant aux limites en cause par rapport à la capacité de support de la planète à soutenir cette activité. L’empreinte écologique nous montre que l’humanité entière dépasse déjà par 50% cette capacité (le Québec par trois fois) et, peu importe des corrections possibles qu’ils voudraient peut-être apporter au calcul, les économistes ne peuvent nier la pertinence de la question ni les ordres de grandeur. Quand au calcul du coût monétaire des externalités associées au modèle économique actuel, dans ses propres termes, l’IPV réduit par les trois quarts ce que ces économistes considèrent comme la «richesse» générée par l’activité économique. Éric Desrosiers le souligne dans sa dernière chronique dans Le Devoir, chronique que j’ai mentionnée en terminant l’article sur le FMI: nos mesures actuelles ne sont pas appropriées pour la guerre dans laquelle nous nous trouvons, et l’économie écologique nous offre plusieurs pistes pour les batailles qui doivent être menées pour éviter l’effondrement.

Notre problème avec les décideurs n’en est pas un de valeurs seulement, peut-être même pas surtout. Il semble bien un problème de déni et/ou d’incapacité de sortir d’un moule professionnel et intellectuel qui insiste sur le fait que l’environnement et la société sont «externes» aux enjeux (les «vrais») du développement économique.

 

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Déclin du monarque – mise à jour

Pauline Gravel vient de nous mettre à jour dans le dossier de ce papillon grand voyageur qui se trouve en grande difficulté. Il s’agit d’un résumé d’un article qui vient de paraître dans le Journal of Animal Ecology. L’extinction n’est peut-être pas pour demain, mais les grands voyages seront à risque. D’autres textes se trouvent à la page du lien.

 

 

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Le FMI (re)connaît l’approche de l’économie écologique

Il est plutôt surprenant de voir le Fonds monétaire international (FMI) intervenir pour souligner les coûts des externalités occasionnées par l’utilisation des énergies (surtout) fossiles, et plus spécifiquement, par des subventions à celles-ci. C’est grâce à un article par Mitchell Anderson dans The Tyee que l’intervention de janvier 2013 a été soulignée récemment, et le lien à l’article a été diffusé au Québec par le list-serve Enjeux énergie.

Le travail de l’IMF est le résultat d’une équipe assez importante venant de plusieurs branches de l’organisation: Fiscal Affairs Department (FAD), Africa Department (AFR), Middle East and Central Asia Department (MCD). Le FMI distingue entre deux types de «subventions» en cause dans les quelque 175 pays étudiés. Le quai des CageuxL’approche est celle du «price-gap» utilisée par d’autres agences internationales (para 5) et qui cherche à prendre en compte l’écart entre les prix courants et ceux nécessaires pour capturer les coûts des externalités (para 1).

Taxes pigouviennes: une idée qui remonte assez loin

Le document porte d’une part sur des contributions directes «avant taxes» aux producteurs ou aux consommateurs, et d’autre part sur les contributions indirectes «après taxes» associées à une décision de ne pas attribuer aux producteurs et aux consommateurs le coût des impacts – les externalités environnementales et sociales – de leurs activités. Dans l’ensemble, le premier type de subvention est plutôt minime par rapport au deuxième : au Canada, 1,3 $G pour le premier, 32,9 $G pour le deuxième (voir Tableau 4, p.54 et l’article d’Anderson). Le document souligne (p.6) que les estimés présentés sont justement des estimés, des approximations, mais indique qu’ils seront raffinés par une étude du FAD à paraître.

Le cœur de l’étude, pour quelqu’un qui veut comprendre ce qui se passe au FMI, se trouve dans son recours à un calcul de taxes «pigouviennes», qui reflèteraient une taxe d’accise sur les produits énergétiques qui couvrirait les coûts des externalités associées aux émissions de CO2, à la pollution locale de l’air et à la congestion et aux accidents sur les routes (p.43). Bref, l’idée qui guide le calcul de l’Indice de progrès véritable depuis un quart de siècle n’est finalement pas nouvelle, mais n’est tout simplement appliquée nulle part.

Le FMI se réfère pour la base de son calcul à une étude de l’Interagency Working Group des États-Unis, qui a produit en 2010 Technical Support Document : Social Cost of Carbon for Regulatory Impact Analysis under Executive Order 12866. Selon ce document, le coût des impacts sur le climat des émissions serait environ 25$ par tonne; le coût des impacts locaux, la pollution de l’air, d’une centrale au charbon est estimé à 65$ par tonne.[1]

La lecture du document permet de mieux comprendre que le travail en reste un d’économistes qui adhèrent au modèle économique dominant – le contraire aurait été surprenant, Pigou, avec son intervention, ne faisant que corriger une  déficience des marchés et donc du modèle. Toute une panoplie d’analyses économiques présente l’approche assez traditionnelle de cette publication: les auteurs soulignent jusqu’à quel point les subventions, avant taxes et après taxes, nuisent à la croissance, entre autres en rendant l’utilisation d’énergie moins efficiente et les économies qui en dépendent moins compétitives. [Pour un intéressant survol de ce qui est en cause, voir Josh Farley, Ecological Economics.] En même temps, la présentation montre la complexité non seulement des analyses mais également de la mise en œuvre souhaitée de réformes (voir Section B : Macroeconomic, Environmental and Social Implications of Energy Subsidies).

Il y a un paragraphe qui propose que l’élimination des subventions avant impôt résulterait en une baisse du prix des énergies fossiles (para 21 – sans présentation de l’argument en cause). Une dernière section de la première partie souligne même l’iniquité occasionnée par les subventions. Dans la deuxième partie, le document présente des études de cas pour 22 pays qui ont essayé de réformer leurs programmes de subventions, dont plus de la moitié sont jugés avoir réussi. Après une analyse des facteurs ayant compromis ces efforts, le document termine avec une section qui propose une approche pour une réforme qui en tient compte. Une partie importante des hausses de prix qui en résultent dans le court terme est associée aux hausses du prix international. Le jugement que ces hausses finiront par se transformer en baisses semble critique dans la présentation.

Réponse structurellement incomplète aux crises associées aux externalités

Le document propose, comme élément de l’analyse, des liens entre le modèle économique et la résolution possible de défis environnementaux et sociaux. Il prône une réduction dans la consommation d’énergie, et justifie ce positionnement en soulignant les liens entre la consommation et le changement climatique; il souligne la nécessité de s’attaquer à d’autres externalités, dont l’épuisement des ressources naturelles et des nappes phréatiques, la pollution urbaine et les impacts sur la santé qui en résultent ainsi que d’autres externalités (para 18-19-20).

Le principe de base de l’étude, intéressant et fondamental, est en effet que les «subventions» – les coûts non reconnus des externalités de nos activités économiques – ne paraissent pas toujours dans les budgets, mais doivent ultimement être payées par quelqu’un. Le paragraphe 7 fournit le portrait assez frappant de ce principe clé pour l’économie écologique. (suite…)

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