Découverte, la Chine et la COP21

Le printemps dernier, le groupe financier Mercer a publié un rapport pour ses investisseurs qui ciblait les risques et les occasions d’affaires associés au changement climatique. Pensant à ce qui pouvait sortir de la Conférence des parties (COP) sur la question du changement climatique, le rapport formule quatre scénarios pouvant guider les décisions d’investissement: (i) Transformation, dans le contexte d’une hausse maximale de 2°C, (ii) Coordination (sic), en présumant d’une hausse de 3°C,(iii) Fragmentation avec dommages limités et (iv) Fragmentation avec dommages importants, ces deux derniers présumant d’un contexte d’une hausse de peut-être 4°C.

Le rapport de Mercer note que le respect de l’entente de décembre 2014, qui verrait la Chine maintenir son engagement «historique» de réductions à partir d’un pic de ses émissions en 2030, rendrait probable le scénario Coordination et une hausse de température catastrophique de 3°C…

Chongqing en 2010

La Chine mise au pilori par Découverte

Ce n’était pas dans mes intentions de regarder la trajectoire pour la Chine développée par le DDPP. Le visionnement de l’émission Découverte du 22 novembre dernier m’a changé d’idée. L’émission portait sur Solar Impulse 2, l’avion mu entièrement par énergie solaire, en train de faire le tour de la planète, et actuellement à Hawaïi en attendant le retour au printemps d’une météorologie favorable à la poursuite du voyage.

En soi, le projet est intéressant, réunissant de nombreux travaux contemporains en matière d’énergie renouvelable, en l’occurrence l’énergie solaire : le fuselage et les ailes de l’avion sont couverts de paneaux solaires pour capter le rayonnement et il est équipé de batteries capables d’emmagasiner l’énergie nécessaire pour le vol pendant la nuit. En général, l’initiative représente une aventure high tech qui cherche à relever le défi de faire le tour du globe sans énergie fossile.

L’émission prétend dès le début que le projet «démontre qu’il est possible de relever le défi des énergies renouvelables»; «l’objectif de ce défi historique est de prouver que les technologies propres permettent d’accomplir l’impossible et apporter des solutions pour une meilleure qualité de vie sur la planète» (texte tiré de la description sur le site). Ceci passe proche d’être une connerie, et il n’est pas digne de Découverte de se faire le promoteur sans nuances d’un tel discours.

Et voilà la raison de mon intervention. L’émission se transformait, finalement, en une tribune offerte aux deux grands responsables de l’aventure, Bertrand Piccard et André Borschberg, des personnes qui, dans les années 1990, ont réussi à faire le tour du globe en ballon. Lors de l’étape du voyage de Solar Impulse 2 passant par la Chine, un arrêt à Chongqing nous montre Piccard en train de traverser la ville en voiture alors que la ville connaissait une journée de smog important. L’aventurier se lance dans un discours soulignant comment l’énergie solaire (et les autres énergies propres) constituent la réponse aux problèmes du monde. L’animateur Charles Tisseyre intervient en décrivant l’arrivée en Chine :

Les choses sérieuses vont commencer. Avec 35 millions d’habitants, Chongqing [est] une mégalopole gorgée d’énergie fossile … et dont l’air est saturé de particules fines. Le projet prend ici plus qu’ailleurs tout son sens. (vers la minute 8).

Cela sert d’introduction pour Piccard, qui poursuit :

Tout ce qu’on voit ici pourrait très bien exister avec un taux de pollution acceptable, pourrait très bien exister avec très peu d’émissions de CO2, à condition que ces maisons [dont des édifices de 40 étages partout!] soient isolées [comme si elles n’en avaient aucune…], qu’elles aient du double vitrage, qu’elles puissent économiser du chauffage et d’air climatisé, à condition que toutes ces voitures soient électriques, à condition qu’on ait des systèmes d’éclairage au LED, de nouveaux processus industriels. Il ne faut pas se battre contre tout cela. Il faut simplement voir que cela peut exister avec 75% d’émission de CO2 en moins… Ça montre jusqu’où on peut aller dans le possible avec les technologies propres.

C’est indigne de Découverte que de diffuser de tels propos simplistes, voire méprisants, digne du discours d’anciens colonisateurs qui savaient en arrivant qu’ils comprenaient mieux que les colonisés ce qui était et est dans leur intérêt. Je me trouve à utiliser cette image exagérée tellement l’émission manque son coup ici – et cela à 10 jours de la COP21 où ces enjeux pas si simples que cela seront à l’ordre du jour.

Les défis de la Chine (qui sont les nôtres)

À aucun moment pendant l’heure les responsables de l’émission ne se pensent obligés de commenter le discours de Piccard, sauf en louanges. La Chine est pourtant parmi les plus importants producteurs d’énergie renouvelable au monde, que ce soit des chauffe-eau solaires qui se trouvent partout dans le pays, des parcs d’éoliennes qui se trouvent également partout, des usines de production de panneaux photovoltaïques – le pays est de loin le principal producteur de panneaux solaires au monde (voir par exemple ceci), cette situation contribuant à la baisse importante du prix de fabrication de ces panneaux, en raison du coût moindre de main-d’œuvre en Chine par rapport aux pays européens.

Même si Solar Impulse 2 finit par contribuer du nouveau dans le domaine de l’énergie solaire, il est tout simplement invraisemblable que celles-ci aient la moindre contribution à faire aux énormes défis auxquels la Chine est confrontée. Découverte a laissé passer le discours sur le potentiel des énergies propres et renouvelables pour laisser l’impression – c’était presque explicite – que Solar Impulse 2 offrait le potentiel de sauver le monde face aux changements climatiques et aux pollutions occasionnées partout par les énergies fossiles, cela par la contribution qu’il est en train de faire et qui n’est même pas expliqué en détail devant le plus grand intérêt de l’aventure elle-même.

Nul arrêt non plus pour une réflexion sur le fait que toute la recherche sur l’énergie solaire photovoltaïque [1] indique que son retour sur l’investissement en énergie, son ÉROI, est tellement bas, en bas de 5, qu’elle ne représente aucun avenir par rapport à nos énormes défis, quitte à reconnaître qu’elle offrira sûrement certaines opportunités bien spécifiques.

J’ai donc décidé de regarder le DDP pour la Chine, puisqu’il s’agit d’une composante d’une initiative très sérieuse qui cherche à s’attaquer aux défis esquissés par Piccard. Le rapport permet de situer le discours rêverie du promoteur de Solar Impulse 2. Cela sans oublier que, dès le départ dans le résumé exécutif, nous nous trouvons devant des orientations à l’échelle nationale qui visent, suivant le travail fait par le gouvernement de la Chine et la Banque mondiale, à rendre la Chine un pays à revenu élevé (comme nous…).

DSC06358Le rapport rend clair pourquoi le DDPChine n’arrivera pas à faire mieux que le DDPCanada face aux défis des changements climatiques, mais ce n’est pas parce que les responsables chinois manquent quelques éléments scientifiques et technologiques que Solar Impulse 2 pourrait leur fournir… En même temps, il ne fournit aucune information sur le niveau de réductions que la trajectoire pourrait atteindre et ne parle même pas du budget carbone et du défi de rester en-dessous de 2°C. Il faudrait embarquer dans des calculs pour y arriver; le rapport sort du moule du DDPP tellement un cas à part, cherchant à rendre sa population, 20% de la population mondiale, l’égale de la nôtre en termes de niveau de vie. Même si l’on n’arrive pas à un chiffre dans le document, l’entente Chine-États-Unis, repris plutôt dans le détail dans le rapport, nous en fournit. Le groupe financier Mercer l’a analysé et conclut, pour le rappeler, qu’il permettrait une contribution laissant la hausse de température à 3°C ou 4°C…

Finalement, le rapport DDPChina en est un d’un pays qui se voit comme à l’époque de Kyoto, n’étant pas ciblé pour les réductions requises des pays riches. En fait, depuis ce temps, la Chine est devenu un pays où l’empreinte écologique par personne et les émissions globales font qu’elle fait partie maintenant du problème et sujette aux réductions.

Ce qui manque à Solar Impulse 2

Piccard n’est même pas dans le jeu. La Chine veut devenir comme nous (une ancienne colonie voulant devenir comme les métropoles…), cela devant le défi impressionnant de le faire pour une population de près de 1,4 milliards de personnes, dont nous considérerions les trois quarts pauvres… Ses ressources sont limitées pour cela, tout comme le temps dont elle dispose en raison des contraintes résultant d’un siècle de développement extravagant des pays riches, fonction en grande partie des énergies fossiles. Une belle lecture de la situation est représentée par In Line Behind a Billion People: How Scarcity will define China’s Ascent in the Next Decade. C’est tout un contraste avec ce qui a été présenté de manière simpliste le 22 novembre…

En ce qui concerne les énergies renouvelables, le discours de Piccard et de Découverte profiterait de la lecture de L’âge des low tech, de Philippe Bihouilx, produit par un ingénieur qui connaît quelque chose des enjeux associés, entre autres, à la disponibilité (limitée) et à l’utilisation (problématique) des ressources impliquées nécessairement dans tout effort de développer les énergies renouvelables à grande échelle. Le livre commence à nous fournir quelques éléments du portrait de rareté que Piccard jette par-dessus bord (pour le ramener à terre/à l’eau avec l’image) dans ses propos. On peut en trouver le résumé dans deux chapitres qu’il a contribué à Creuser jusqu’où, récente publication chez Écosociété.

Plus généralement, ce qui manque dans le discours de Piccard est une reconnaissance des travaux du GIÉC qui seront au coeur des pourparlers (et de l’échec) de la COP21. Le GIÉC avait publié les différentes parties de son cinquième rapport d’évaluation de la situation en 2013 et 2014. Ce rapport tablait sur un consensus établi par les quelque 200 pays réunis dans les COP à l’effet qu’il est essentiel de garder la hausse de température sous les 2°C et calculait le «budget carbone» qui est en cause.

Il s’agit d’un nouvel élément dans les processus marquant nos décisions d’affaires et dans nos décisions comme sociétés, comme pays. Les représentants des gouvernements qui sont à Paris pour la COP21 pendant les 10 prochains jours se butent aux contraintes dramatiques qui sont en cause. Une étude québécoise nous fournit des explications de cette situation. En juillet 2015, Renaud Gignac et Damon Matthews ont publié leurs calculs sur les implications du budget carbone pour l’ensemble des pays sous le titre «Allocating a 2°C carbon budget to countries»; l’article est intéressant dans le contexte de ce billet par le fait qu’il suit la situation de la Chine à travers ses calculs. En bref: le respect du budget carbone dans le contexte du maintien de notre modèle de développement est impossible… On est loin du constat de Piccard: «Il faut simplement voir que cela peut exister avec 75% d’émission de CO2 en moins»…

 

 

 

[1] Charles A. S. Hall et Pedro A. Prieto ont fait une étude en fonction de données réelles pour l’énergie photovoltaïque installée en Espagne : Spain’s Photovoltaic Revolution : The Energy Return on Investment (Springer 2013). Ils avaient auparavant présenté un sommaire des résultats des travaux dans une présentation à l’Association for the Study of Peak Oil (ASPO) en 2011 et y fournissent les conclusions : l’ÉROI pour l’énergie photovoltaïque est entre 2 et 4, de la même importance que celle des sables bitumineux, et insuffisante pour soutenir la civilisation.

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2 Commentaires

  1. Raymond Lutz

    Ah ah, saine colère contre l’ineptie de nos média… Bravo. 😎

    Pour le TRE du PV, je connais depuis longtemps les valeurs de Prieto (découvert sur le blog « Energy Matters » https://www.google.ca/search?q=site:euanmearns.com%20prieto), mais je désire quelques chose de plus récent, ou bien une autre source pour confirmer, car le calcul du TRE d’une énergie dépend tellement de la méthodologie et de votre biais initial (malgré toute neutralité désirée et affirmée).

    Doit-on (comme le fait Prieto IIRC) calculer l’énergie nécessaire à fabriquer l’ACIER des clôtures qui entourera votre champ de panneaux PV! Si oui, alors il faut faire le même calcul avec les installations brûlant des carburants fossiles pour avoir un comparatif valable.

    En cherchant un peu je trouve

    http://rameznaam.com/2015/06/04/whats-the-eroi-of-solar

    Une ‘literature review’ et critique des choix de Weißbach.

    Je trouve aussi un papier de Raugei et all (2012) qui décrit avec précision (comme il se doit) ce qu’il entend par EROI et applique la même méthodologie pour les carburants fossiles. Ce papier est résumé et référencé ici:

    http://www.leonardo-energy.org/blog/date-analysis-energy-performance-pv-systems

    La figure est tirée de Raugei 2012 (sans précision) et montre que le PV n’est pas si nul comparativement au fossile (même pas un facteur 3 entre les deux?).

    Finalement, combien de chercheurs ont évalué l’EROI du PV? Prieto, Weißbach et Raugei? C’est mince…

    Et pour votre affirmation (en fin de note) que l’EROI du PV est insuffisant pour soutenir la civilisation, faites-vous référence à « What is the Minimum EROI that a Sustainable Society Must Have? » (Hall et al. 2009)?

    Sa conclusion est plûtot inconclusive:

    « Of course the 3:1 minimum “extended EROI” that we calculate here is only a bare minimum for
    civilization. It would allow only for energy to run transportation or related systems, but would leave
    little discretionary surplus for all the things we value about civilization: art, medicine, education and so
    on; i.e. things that use energy but do not contribute directly to getting more energy or other resources.
    Whether we can say that such “discretionary energy” can come out of an EROImm of 3:1, or whether
    they require some kind of large surplus from that energy directed to more fundamental things such as
    transport and agriculture was something we thought we could answer in this paper but which has
    remained elusive for us thus far. »

    Donc au minimum 3:1 mais plus si on veut aller au cinema, mais il ne sait pas combien.

    En tout cas le PV permet amplement son strict mimimum de 3:1 .

    • Merci de cette recherche sur l’ÉROI de l’énergie photovoltaïque. En effet, j’ai laissé le suivi de ceci avec la disparition de Charlie Hall de la scène, il y a deux ou trois ans (il est tombé malade presque immédiatement après avoir pris sa retraite, et ses envois hebdomadaires ont été discontinues.). J’étais un peu surpris de voir la baisse du coût du PV ne pas influer sur l’ÉROI, mais j’avais compris que cela était dû en bonne partie à la fabrication transférée en Chine. Rangel propose que c’est autre chose et fournit une présentation assez sérieuse de ses constats. Le livre de Hall et de Preto est sorti en 2013, l’article de Rangel en 2012 – il faudrait bien voir si Hall et Preto en ont pris connaissance, en ont tenu compte, ce que je n’ai pas encore fait.

      En contrepartie, Philippe Bihouilx, dans L’âge des low tech, revient sur la question des énergies renouvelables d’une autre façon, et montre toute une série de considérations (rareté croissante des matériaux utilisés dans leur fabrication, difficultés de recyclage, autres) qui me paraissent représenter une sorte de calcul d’ÉROI élargi. Il contribue deux articles à la récente publication d’Écosociété Creuser jusqu’où?, dont un résume les arguments de son livre à cet égard. Quelques pages du livre peuvent se trouver dans le document sur mon site.

      Je reviens sur ces questions parce que les promoteurs de l’économie verte ne semblent jamais faire référence aux contraintes des énergies renouvelables, alors que celles-ci sont fondamentales à leur option (voir mon dernier article, publié aujourd’hui). Si l’ÉROI du PV commence à être acceptable, il restera à répondre aux propos de Bihouilx. À suivre.

      En effet, l’article de Hall et al est ma source pour le constat que cela prend un ÉROI d’environ 10 pour qu’une source d’énergie puisse être jugée utile pour le maintien de nos sociétés. J’ai entendu Hall se prononcer de façon pas mal plus claire que ce qui se trouve dans le paragraphe cité, et que j’avais oublié. Par contre, je ne crois pas connaître une autre source qui complèterait celle-là. Si on part d’un autre point de vue, en restant quand même trop général, les énormes avancées permises par l’énergie fossile avec un ÉROI assez élevé pendant des décennies sont difficilement imaginables avec l’ÉROI actuel. L’ÉROI élevé du charbon constitue un énorme défi pour la décarbonisation…

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