Une version de somnambulisme

J’ai décidé de mettre en ligne le texte de Gilles Gagné comme article plutôt que comme commentaire parce qu’il fournit une réflexion sur les bases mêmes de l’intervention de la société civile dans les efforts de mieux faire le développement. Sauf que le texte ne voit pas ses interventions dans le contexte du long terme qui définit ma réflexion là-dessus.

Bug

Une de nombreuses références dans les commentaires du dernier article. Je suggère qu’il faut comprendre notre situation par la dominance culturelle du mythe de la croissance (Dominique Méda), qui est en voie de nous rendre incapable de percevoir les menaces à notre survie.

L’action en cours depuis un demi-siècle et plus

En fait, son texte porte – en ciblant le défi contemporain – sur les fondements des interventions de la société civile depuis plus d’un démi-siècle et dont je présente l’échec dans les chapitres 2-3-4 de mon livre

Mais le problème avec ces reproches, c’est que le Pacte n’est pas une «solution», ni une feuille de route, ni le programme d’une révolution; c’est un effort de mobilisation démocratique fondé sur la conviction que l’action de l’État doit être repensée à la lumière de la crise environnementale…

Mais cela revient aussi à dire que nous n’avons pas le choix et que nous devons continuer à faire des distinctions avec les instruments mêmes qui tendent à les embrouiller; que nous devons, par exemple, distinguer dans notre avenir ce qui ne peut déjà plus être changé de ce qui pourrait encore l’être et choisir, parmi ce qui reste théoriquement possible, des objectifs réalistes au regard des ressorts pratiques (culturels, moraux, politiques et techniques) de l’action collective…

On croirait presque ici que vous détenez déjà la preuve que le voyage est impossible. Alors que la proposition en question vise essentiellement à nous convaincre de mettre collectivement le pied à l’étrier, on dirait que vous savez déjà que ce brave Don Quichotte, «qui fait abstraction des chiffres», n’ira nulle part sur sa Rossinante approximative…

Le Pacte accorde pourtant à la science toute l’importance qu’il est possible de lui accorder sans la divorcer de l’expérience commune; il souligne de manière raisonnable le consensus des chercheurs et il invoque les faits qui accréditent d’ores et déjà les pronostics antérieurs.

Je reviendrai plus loin sur mon point, mais je l’esquisse ici. L’objectif des «corrections» que je recherche est de montrer qu’il est trop tard pour l’action que Gagné propose, et ces corrections ne nécessitent pas une vision d’ensemble, une compréhension scientifique de l’ensemble. Je propose que de simples calculs faits par Normand Mousseau comme co-président de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec il y a déjà six ou sept ans peuvent être insérés dans les défis définis aujourd’hui par le GIÉC pour bien voir ce qui est en cause si nous voulons être cohérents. Aucun besoin de sortir toute une battérie de recherches et de travaux pour définir l’action qui est requise: le simple regard sur ce que la cohérence nous impose nous montre qu’il est trop tard pour continuer dans l’action qui nous définit depuis des décennies.

C’est par ailleurs cette cohérence qui ancre mes propos, et non la vérité et la certitude quant à ce qui est en cause. Le fait que la société civile n’expose pas cette cohérence lui permet de continuer dans l’action habituelle mais cela dans un contexte où de toutes autres actions s’imposent. Mon objection: les intervenants de la société civile ne manifestent pas une réflexion cohérente et explicite, mais semblent poursuivre par inertie et routine alors que les crises les appellent à intervenir dans ce qui constitue le sommet de leur carrière.

La réflexion qui manque

Depuis le début de mon blogue il y a six ans, avec comme premier article «L’échec du mouvment environnemental», il n’y a pas un seul environnementaliste et ancien collègue qui a pensé qu’une réponse ici et là était méritée. En complément, mes contacts occasionnels avec mes anciens collègues se sont butés, sans exception, à des décisions – concertées ou non je ne sais pas – de ne pas répondre. Le mouvement environnemental (voire le mouvement social) semble se sentir attaqué, repondre sur des bases psycologiques et continuer comme depuis des décennies. Aucune réconnaissance que mon livre, et mon blogue plus généralement, ne représentent l’effort d’un philosophe de formation d’initier et d’encourager un dialogue et un débat.

J’ai eu récemment un contact, un des très rares dans six ans, d’un des leaders du mouvement et – quand j’y étais – un ami. Il réagisssait à l’article de La Presse+, le deuxième identifié par mon récent article de blogue et que Gilles Gagné commente dans ses propos. Ce premier contact était pour demander ce que j’identifiais comme la société civile dans la première phrase de l’article, où je dis qu’elle ne fait pas son travail et ne fournit pas l’heure juste, et je lui ai référé aux chapitres 2, 3 et 4 de mon livre; évidemment, il se sentait visé et voulait confirmer cela.

Dans sa réponse – geste inédit depuis six ans – il a donné de bonnes indications qu’il n’avait pas lu mon livre (j’aurais pensé que mes 45 ans d’activités et de réflexions dans le milieu méritaient cela) et que ma note confirmait que son organisation est bien incluse dans la société civile dont je parle. Il a poursuivi en soulignant les multiples interventions de la société civile qui insistaient sur les défis climatiques et demandait ce que je voulais de plus. La réponse – l’application concrète de ses défis à notre situation – se trouvait dans le reste de l’article, dont il a questionné le premier paragaphe, et a montré qu’il n’avait pas lu l’article pas plus que le livre.

Surtout, il ne montrait pas avoir saisi mon propos de base, l’articulation de ces défis dans les exigences concrètes pour la société, suivant – dans le cas de référence que j’utilise – les calculs de Normand Mousseau. Ces calculs, appliqués à une situation qui exige, non plus une réduction de 25% de nos émissions comme en 2012, mais une réduction de 45% (lui dit même 50%) de nos émissions, cela toujours d’ici 2030. Dans le deuxième article de La Presse+, j’ai souligné qu’une de ces exigences serait le retrait de nos routes de la flotte de véhicules privés, laissant pour plus tard une application des trois autres composantes des calculs de Mousseau.

La naïveté qui cherche à préciser nos buts, nos actions et les «corrections» recherchées

Gilles Gagné semble voir une naïveté dans ce qu’il pense être ma volonté de préciser nos défis. Mais voici l’origine de mon positionnement: les interventions que je dirais traditionnelles du mouvement environnemental (en fait, de la société civile en général) se trouvent face à des perspectives de solution inimaginables une fois qu’elles sont identifiées, même sommairement – ce qu’un suivi des calculs de Mousseau montrerait – en nous vouant toujours à l’échec, devant l’urgence reconnue par le GIÉC et d’autres.

Je ferais la distinction, en répondant à l’analyse de Gagné, entre la science, dont les vérités sont hypothèques, et ses applications technologiques, sociales et commerciales. Je demande que l’on regarde ce qui serait en cause dans la poursuite de ces applications dans la situation actuelle et je conclus que nous sommes en fin de régime à cet égard, sans le réaliser, parce que les interventions se font dans l’inertie et la routine de décennies d’autres interventions.

Gagné semble comprendre que j’ai une confiance dans la capacité des applications de nos connaissances hypothétiques scientifiques à résoudre nos problèmes, alors que mon effort est de suggérer qu’il n’en est rien, que ces applications sont hors d’atteinte devant l’urgence et le caractère des crises qui sévissent (petite exception, avec beaucoup de bémols: les projections de Tony Seba sur le potentiel de la technologie de l’intelligence artificielle et des véhicules électriques autonomes). Celles-ci n’arrêteraient pas l’effondrement, mais rendraient imaginables des éléments de l’adaptation…

Finalement, le chapitre du livre Tout peut changer de Naomi Klein de 2014 qui m’a causé des trépidations (je ne suis pas facile à faire trépider) est celui sur les concepteurs d’interventions hautement technologiques pour régler les problèmes climatiques par des interventions à l’échelle planétaire. Disons que nous sommes à mi-chemin dans la «décennie zéro» à laquelle réfère Klein pour identifier sa vision de l’urgence et qui diminue les trépidations à ce sujet alors que rien ne change à l’égard de son appel  non plus…

Pour revenir au Pacte

Gagné indique que ma critique est fondée sur son refus de «s’engager dans la recherche et l’exposé d’une solution technique globale» et je ne sais pas comment j’ai pu laisser une telle impression. Pour le redire dans quelques mots, qui répètent mes propos dans les deux articles de La Presse+, ma critique est que l’absence de projections insistant sur la cohérence nous laisse justement dans l’espoir des scientifiques citées (en groupe) à l’effet que «la science nous dit qu’il est technologiquement, humainement et économiquement possible de limiter le réchauffement de la planète».

Cela va à l’encontre de ce que je propose dans mon livre, après avoir analysé plusieurs efforts de scientifiques à intervenir,  et joue probablement – pour les prendre au sérieux – sur le mot «limiter» et sur le «possible», qui peuvent dire presque n’importe quoi. L’effort d’identifier clairement les défis en termes concrets nous mettrait devant l’inimaginable plutôt que devant des solutions, et seulement de façon secondaire devant une autre indication de l’imminence de l’effondrement, sur lequel Gagné et l’accent.

Ma reproche – et je puis bien me tromper – est que nous faisons de telles interventions depuis 50 ans (dans mon expérience) et que ces interventions (dans mon expérience maintenant définitive mais toujours possiblement erronée) ont échouées, nous mettant devant des situations pires que celles auxquelles nous nous adressions au début. Nous avons aujourd’hui comme meilleure référence, même si toujours de fondement scientifique (balisé légèrement par un processus d’approbation politique) et hautement hypothétique, les travaux du GIÉC.

Contrairement aux efforts faits au fil des décennies, nous sommes aujourd’hui devant une date 2025 fatidique que j’identifie, que je prends et que je prenais depuis les années 1970 – comme Halte à la croissance – et comportant une certaine marge d’erreur. On ne peut plus se permettre d’agir comme si l’effondrement s’annonce dans l’avenir. Cela fait un demi-siècle que nous sommes dans l’action – ce que Gagné souligne est nécessaire maintenant – , sans succès…

Cela fait plusieurs fois que je souligne que c’était la nécessité de sortir de l’action comme commissaire et vérificateur externe qui m’a donné l’occasion de réfléchir sur mon action, sur nos actions, pour conclure à leur échec. Entretemps, la société civile semble poursuivre presque avec frénésie dans les mêmes ornières et ne prend même pas le temps de lire en-dehors de ses fils de Facebook etc. et d’analyser ce qui a changé.

 

 

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1 commentaire.

  1. Et au même moment où Harvey Mead publie ce blogue, Le Devoir publie un article en illustrant la pertinence https://www.ledevoir.com/societe/environnement/550792/les-emissions-de-ges-du-secteur-energetique-mondial-en-hausse-en-2018

    Au lieu de commencer à décroître, l’accroissement des GES ne fait qu’augmenter!

    Alors l’un des illusionnistes de l’environnement osera-t-il même encore se présenter comme candidat d’un parti dont le gouvernement fabulateur a gaspillé plus de 4,5 milliards de dollars pour acheter un damné pipeline!

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