Derrière Glasgow: Le déclin du pétrole conventionnel

Pendant que j’écrivais mon dernier article sur la question de la pénurie de main-d’oeuvre, j’ai été saisi en y regardant le graphique de Halte; il m’a fait réaliser qu’il fallait que je revienne de mes références courantes en démographie (ou tout le monde parle d’environ 9 milliards d’habitants sur la planète vers 2050) pour revenir à ma référence depuis 50 ans. En effet, nous sommes dans la décennie projetée pour l’effondrement par Halte et devant nous la projection suggère que la population mondiale va se stabiliser et ensuite diminuer pendant cette prochaine décennie, alors que personne n’en parle[1].

Il y a quelques années, j’ai consulté World3 pour voir que le modèle de Halte comporte peut-être 200 équations; pour mieux comprendre la situation, on doit regarder les autres projections et l’ensemble du modèle. La première chose à remarquer est que la composante pour l’alimentation atteint un pic et baisse avant celle de la composante population, tout comme celle sur la pollution globale. Et là, je reviens à une autre sorte de surprise: en consultant l’original de Halte, j’ai confirmé que leur référence pour la pollution globale (parue dans la même année que le premier sommet mondial sur la pollution industrielle, à Stockholm en 1972) était les changements climatiques, à une époque où la question était à peine reconnue. Et la production industrielle, une autre des composantes du modèle, arrive aussi à son pic avant celui de la population.

Pour comprendre la projection démographique, donc, il faut induire que la population va diminuer suite à des problèmes mondiaux d’alimentation et d’impacts des changements climatiques (entre autres, sur les terres arables de la planète). Ici, on se reconnaît mieux. En pour conclure ce retour aux projections: Halte indique que la composante Ressources non renouvelables (finalement, les énergies fossiles, avec le pétrole en premier) déclinent depuis le début des projections du modèle. À cet égard. et encore que la couverture de la situation actuelle met tout l’accent sur la question des émissions de GES, les Français Jancovici et Auzanneau du Shift Project nous mettent dans un récent livre (Pétrole: le déclin est proche, auquel Hortense Chauvin est associée) devant la question du déclin du pétrole conventionnel, élément fondamental de la composante Ressources non-renouvelables de World3.

En fait, nous ne pensons pas beaucoup à la source de la multitude de produits et de services rendue par notre approvisionnement en pétrole conventionnel (et depuis quelques années, et pour un temps limité, en pétrole non conventionnel). Le plus proche contact vient quand nos remplissons le réservoir de notre bagnole. Les auteurs du récent livre nous en fournissent une meilleure idée

Beaucoup moins de pétrole, cela signifie beaucoup moins de supermarchés avec beaucoup moins de choses dedans: de vêtements, d’objets électroniques, mais aussi de légumes, de viandes, de pâtes alimentaires, d’huile et même de sel, lesquels aujourd’hui viennent presque toujours de fort loin. Cela veut dire globalement moins de matières premières dépendantes de flux logistiques rapides et à longue portée: minerais de fer indien, ou encore cuivre et lithium chilien, bauxite d’Australie, cobalt et coltan congolais, terres rares chinoises. Parce qu’il permet leur extraction massive, le pétrole est la mère de toutes les matières premières: le pic pétrolier signifie probablement un pic de presque tout.

Outre sa domination toujours quasi absolue dans les transports terrestres, maritimes et aériens, le pétrole est utilisé dans une infinité de processus chimiques. Près d’un quart du pétrole consommé dans le monde l’est par l’industrie, soit comme matière première via la pétrochimie, soit comme combustible. Bien souvent, les matériaux transformés sont eux-mêmes produits grâce au pétrole, ou à base de pétrole, et bien souvent les deux à la fois. C’est notamment le cas dans le secteur de la construction et dans l’industrie pharmaceutique. Un très grand nombre de revêtements, de médicaments ou de produits[…].

pages 119-121

Les auteurs fournissent des mises à jour du déclin projeté en graphiques.

Dans mon livre de 2017, j’ai mis l’accent sur cette situation, en me fiant à des données venant de l’AIE datant de 2008. Auzanneau et Chauvin, via Rystad Energy, utilisent les données jusqu’un 2020; ceci ne change pas mon analyse de 2017, mais la précise avec des données à jour.

Un tiers de la production existante totale en 2019 aura disparu en 2030, estiment aussi bien Rystad Energy que l’AIE. Cela signifie que les pétroliers devront d’ici là, ne serait-ce que pour maintenir la production mondiale à son niveau de 2019, mettre en production l’équivalent de la somme de la production de l’Arabie Saoudite, des États-Unis et de la Russie, les trois premiers producteurs actuels.

p.69

Les auteurs fournissent le portrait datant de 2020.

p.74

On peut multiplier les images pour décrire les risques de la situation présente. Ne pas virer de bord maintenant pour sortir du pétrole revient à continuer à nous laisser dériver sous le vent, entre le tourbillon de Charybde (le réchauffement climatique) et le rocher de Scylla (le pic pétrolier). Sachant que heurter Scylla ne suffira pas à nous empêcher de tomber en Charybde. Dit autrement, et contrairement à ce qui a été affirmé parfois par certains écologistes, le pic pétrolier ne résoudra pas le problème du climat. Car, d’une part, le rythme d’un déclin géologique post-pic pétrolier ne sera très vraisemblablement pas aussi rapide que la décroissance systématique des émissions de gaz à effet de serre, de l’ordre de 5 à 10 % par an, nécessaire pour parer l’essentiel du risque climatique. Et, d’autre part, en particulier dans une situation économique marquée par de très forts niveaux d’endettement et une croissance fragile, les alternatives les plus simples au pétrole se trouvent être bien souvent en pratique, hélas, les deux autres sources d’énergie carbonée émettrices de gaz à effet de serre: gaz naturel ou, pire, charbon.
p.111-112

Tout, dont la COP26 en cours, suggère que l’humanité ne réglera pas le défi des changements climatiques par ses propres décisions, et les données alimentant le scénario de base (BAU) de Halte depuis près de 50 ans suggèrent plutôt que l’effondrement projeté globalement est à prévoir. La composante Ressources non renouvelables de Halte prenait en compte l’ensemble des sources fossiles, et nous verrons si la réorientation suggérée par la citation s’avère une mise en question du scénario. Finalement, il semble que l’effondrement se joue entre le déclin du pétrole et les impacts des changements climatiques.

Mais World3 est plus complexe que cela… Une autre publication récente (septembre 2020) du Shift Projet, signé Mathieu Auzanneau, The European Union Can Expect to Suffer Oil Depletion by 2030, fournit le portrait de l’avenir de cet important bloc économique. Je l’ai déjà fait en suivant une présentation d’Auzanneau remontant au 7 février 2019: «This Time the Wolf is Here». Un article de mon blogue fournit la présentation PowerPoint qu’il utilisait. La déstabilisation de l’Europe par un manque de pétrole dans les prochaines années pourrait bien contribuer à ce qui est présenté dans les projections de Halte

[1] Le lendemain de la publication de cet article, je suis tombé sur «La dépopulation a déjà commencé»,  chronique de Philippe Fournir en science dans L’actualité de décembre 2021. Fournier indique qu’il va revenir sur la question dans sa prochaine chronique.

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Une pénurie de main-d’oeuvre? L’avenir du Québec

L’adhésion à la mythologie de la croissance est tellement ancrée dans la pensée politique contemporaine qu’il est difficile à voir comment aborder les éléments de la situation, par exemple celui de la démographie, qui est, finalement, une de surpopulation, au Québec, dans les pays riches, dans le monde entier. D’une part, mon calcul de l’empreinte écologique quand j’étais Commissaire au développement durable montrait que notre mode de vie ici dépasse par trois fois la capacité de support de la planète. Cela fait que nous dépassons déjà et que chaque personne ajoutée à notre population augmente le dépassement. À différents niveaux, d’est le cas dans l’ensemble des pays riches.

Dans les pays pauvres, leur incapacité à soutenir leurs populations est une évidence – à laquelle la réponse mythique (cela remonte au président américain Harry Truman en 1948, qui nous a donné le terme «sous-développés» pour les décrire) est d’encourager le développement économique (lire: la croissance économique) à l’image des pays riches. Cela fait trois-quarts de siècle que nous essayons de faire cela, sans succès.

Des alternatives pour l’avenir
Dès que nous regardons la situation, nous nous trouvons devant une impasse, sempiternellement cherchant à résoudre nos défis dans une perspective de court terme et de courte vue. Au début des années 1990, quand je devenais sous-ministre adjoint, la nouvelle équipe gouvernementale dont je faisais partie a reçu une formation incluant des présentations sur des scénarios démographiques pour les décennies à venir. Nous savions déjà que la croissance de la population associée à la génération des babyboomers n’allait pas continuer, qu’il y aurait une période où la population par conséquent allait se stabiliser et ensuite décliner. C’est ce qui est projeté pour l’ensemble de la population humaine, dans Halte.

Les projections de Halte à la croissance, en ligne avec la réalité en 2008 ici, et cela continue à être le cas, sont pour un pic dans la population mondiale vers 2025, et par la suite une baisse (à comprendre: une mortalité accrue) en fonction de l’ensemble des facteurs. G.M. Turner / Global Environmental Change 18 (2008) 403

Le tout se passe comme projeté, et nous voilà à une période où la société québécoise se trouve devant une «pénurie de main-d’œuvre», le temps que les activités sociales et économiques s’ajustent d’une période intense rendue possible par la population croissante et ses activités, générant depuis des décennies un PIB en hausse, passant aujourd’hui à une période plus proche de ce qui serait soutenable. La pandémie nous a frappé avec des situations qui ressemblent à celle qui nous attend, où les activités habituelles sont ralenties (voire arrêtées). Dans le cas de la pandémie, il s’agit pouvons-nous croire d’une situation temporaire, mais ce que la pandémie nous révèle s’avère permanent.

Il semble y avoir deux ou trois alternatives quant aux actions à poser. (1) D’une part, nous pourrons chercher à compenser les tendances démographiques baissières par une hausse de l’immigration. Dans ce contexte, nous pouvons constater que la population mondiale a cru en même temps que celle du Québec, passant de 2 536 274 721 habitants en 1950 à 7 794 799 en 2020. Disons qu’il y a beaucoup de monde dans les pays pauvres prêts à émigrer vers les pays riches… Le problème est que leur croissance des dernières décennies, comme celle du Québec, n’est pas soutenable: l’humanité est devant une population qu’elle ne peut pas soutenir avec les ressources disponibles sur la planète et qui comporte un grand nombre de personnes prêtes à migrer en des lieux plus propices pour leur bien-être.

En fait, le Québec n’a qu’à décider combien d’immigrants il veut, et lesquels, puisqu’il y a disponibilité presque sans limitations. Voilà donc l’occasion pour une réflexion sur la population «optimale» définie comme – dans la pensée politique partout – celle requise pour le maintien de la croissance économique, mais qui peut être, doit être définie autrement.

(2) En contre-courant, l’automatisation (robots, etc.) nous offre une façon de pallier la pénurie et de poursuivre sans même nous préoccuper de la taille de la population et du statut de cette population, en termes de ses possibilités de travail. En effet, je ne connais pas de documents, de réflexions dans ce deuxième sens, ce qui me surprend depuis longtemps. C’est tout simplement une autre indication de l’omniprésence de l’idéologie de la croissance.

On voit l’ensemble des composantes du model de Halte ici, qui arrivent rapidement au point d’effondrement projeté en 1972.

La surpopulation qui en résulte ou qui accompagne la croissance économique – il n’y a aucune incitation à contrôler notre population – est ressentie dans ses effets dans de nombreux pays, mais au Québec (et au Canada) il n’y a aucune perspective pouvant nous guider dans une réflexion sur la situation, sur notre avenir. L’alternative est quand même de poursuivre dans les tendances des dernières décennies, sur le plan de la croissance démographique interne (et donc, une baisse), ou de continuer les débats sur la croissance venant de l’immigration.

Les réflexions sur ces alternatives n’aboutissent pas à une planification qui fournit une confiance quant à la capacité d’assimiler de nouveaux arrivants – du moins, si nous nous attardons aux nombreux défis qui sont reliés déjà à la taille de notre population. En fait, nous ne sommes pas en pénurie de main-d’œuvre, mais en surpopulation.

– Tout d’abord, nous devons faire face à nos émissions de GES pour éviter des changements climatiques catastrophiques. Cela suggère que nos transports (entre autres) doivent être radicalement changés, alors qu’il n’y a pas de tendances en ce sens et les solutions, une augmentation de notre approvisionnement en énergie (hydroélectrique) ou une baisse du nombre de véhicules…

– L’étalement urbain en cours depuis des décennies est le résultant de différentes décisions cherchant à répondre à l’augmentation de la population. Celles-ci comportent entre autres des problèmes en termes de protection du territoire agricole et du maintien de territoires permettant une certaine sauvegarde de la biodiversité, tout comme des coûts exorbitants pour fournir les services de bases aux populations des banlieues.

– Un niveau de vie qui dépend en bonne partie d’importations – nous ne sommes autosuffisants en rien, sauf peut-être le bois et l’eau… – , qui doivent être justifiées par des exportations pour éviter un élément négatif dans le bilan économique (où plus de 60% du PIB est liée à la consommation). Cela exige des productions ici, alors que nous sommes en situation de dépassement.

(3) Une troisième alternative est de (i) reconnaître qu’il y a des limites quant à la taille de la population humain, (ii) reconnaître qu’agir en fonction de cette reconnaissance comporte des effets directs et indirects importants sur les populations actuelles et (iii) poursuivre comme si rien n’était.

La vieillesse

On peut voir le défi autrement en regardant de plus près la situation, ce qu’un récent article de L’actualité aborde avec une entrevue avec Guy Rocher, 97 ans («Voir la vieillesse autrement», octobre 2021)

Un article du Devoir du 30 octobre.«Le multiculturalisme: ambiguë, erroné et dangereux», signé Pierre Duchesne, biographe de Rocher, fournit une vue d’ensemble de la contribution importante de cet homme. Pour les besoins de cet article, ill est plutôt fascinant de voir la perspective de Rocher sur la baisse démographique du Québec, en réponse à la question: Pouvez-vous nous dire ce que vous entrevoyez comme avenir pour le Québec?

Il y a des tendances lourdes qui, déjà, peuvent annoncer l’avenir. La première, c’est la démographie. On ne peut pas la contredire. Elle dit ce qu’elle a à dire. Ce qui est frappant, au Québec comme dans certains autres pays, c’est le taux de natalité très faible. Trop faible pour que la population se renouvelle naturellement. Notre taux est autour de 1,6 ou 1,7 alors qu’il doit être de 2 à 2,5. Nous sommes dans une société déclinante démographiquement. Et, par conséquent, vieillissante. Une société qui, dans l’avenir, va se réduire numériquement ou va perdurer par l’apport de l’immigration.

C’est un aspect très important de l’avenir du Québec. Aurons-nous une politique nativiste ? Je ne pense pas. J’ai eu connaissance que M. Lévesque aurait voulu instituer une politique nativiste, et ça a été très mal reçu. Ça veut dire que, pour l’avenir du Québec, c’est encore plus important de donner aux générations qui viennent une culture du Québec vivante, riche, attrayante. Parce que c’est évident que le déclin démographique pose un problème d’identité collective. C’est inévitable.

En ce moment, nous travaillons à une politique linguistique, mais elle ne peut pas être détachée d’une politique culturelle pour l’avenir. C’est-à-dire une politique culturelle basée sur une connaissance de notre histoire, qui nous dit à la fois ce que nous avons été, mais aussi ce que nous pouvons encore être.

Pour une population stable, le taux de remplacement des générations est environ 2,1, mais Rocher n’a jamais vu, pendant sa longue vie ici, une population stable. Elle est en constante augmentation depuis des décennies; après la génération de ses parents, où le taux de natalité (avec les grandes familles visant la revanche des berceaux) était important mais le niveau de vie probablement encore respectant la capacité de support de la planète (et du territoire de la province), l’après-guerre a donné lieu au boum démographique, celui des babyboomers. C’est après cette expérience et d’autres que les femmes, alors participant plus directement aux activités sociales et économiques, ont pris connaissance des exigences des familles nombreuses. C’est cela, entre autres, qui a donné lieu au taux de natalité autour de 1,5 mentionné par Rocher.

En effet (je n’ai pas les chiffres – quelqu’un peut aider?) – , sans les babyboomers (qui se trouvent de plus en plus à la retraite maintenant…) et sans l’immigration, la population de base au Québec est probablement en baisse depuis 20 ou 30 ans. Il s’agit d’un paramètre (parmi cinq ou six) de ce que Halte à la croissance associait à l’effondrement projeté vers 2025. La façon dont nous allons gérer ce défi sera déterminante pour l’avenir du Québec, mais pas nécessairement celui envisagé par Rocher. Nous rentrons plutôt dans la période de l’effondrement projeté.

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Le véhicule électrique ne nous sauvera pas

Dans le dernier article de mon blogue, j’ai indiqué au départ que je n’allais probablement pas commenter le récent rapport du GIÉC, tellement il ne faisait qu’insister sur les tendances dramatiques qu’il met en relief depuis plusieurs rapports maintenant. Ici, je note presque en passant que je ne commenterai pas non plus l’élection fédérale au Canada où les quatre ou cinq partis tournaient autour du pot (en dépit des feux qui ont fait rage pendant des mois en Colombie Britannique) sans reconnaître le caractère dramatique de la situation. Aurélie Lanctôt nous fait part d’une situation particulière à cet égard, mais dans sa chronique suivante dans Le Devoir, «Le pire est à venir», elle revient sur cette situation et se permet de se référer à la possibilité d’un «avenir durable». 

A cet égard, il vaut la peine de suivre les travaux de l’analyste français Jean-Marc Jancovici, responsable entre autres du Shift Projet. Dans une présentation récente    

Jancovici présente son constat à l’effet qu’une réduction des émissions de GES ira nécessairement de pair avec une réduction du PIB, et finalement, une récession structurelle. Le Shift Project prépare une intervention pendant la campagne présidentielle française soulignant la nécessité de voir que la croissance économique est à la source de nos crises actuelles. François Delorme, économiste souvent cité par Le Devoir, fait un premier pas en ce sens (pour lui) dans un récent article[1].


Cela sera plus intéressant à suivre que les efforts du gouvernement Trudeau de maintenir la construction du pipeline TransMountain (voir une récente chronique de Jean-Français Lisée, qui fait de nombreuses suggestions mais n’arrive pas à proposer explicitement la fin de la croissance et l’abandon de ce projet qui met en cause tout effort du gouvernement, maintenant nouvellement élu, de s’attaquer au défi des émissions). Une sorte d’entrefilet porte là-dessus dans Le Devoir du 24 septembre à la page A4.

C’est une évidence pour quiconque y pense – mais voilà, il faut constater que cela ne compte pas beaucoup de monde – : l’automobile est notre principal objet de consommation, après nos maisons de plus en plus grandes, et elle représente des quantités importantes de matières premières pour sa fabrication et d’énergie pour son utilisation.  Il est évident qu’elle ne pourra pas nous accompagner dans la «transition» qui est manifeste comme défi incontournable. 

Depuis des années, nous pensons à cette transition en termes de remplacement d’énergies fossiles par des énergies renouvelables – sans porter attention aux immenses quantités qui sont en cause et, finalement, à l’impossibilité de substituer les unes pour les autres – et par le remplacement de nos automobiles et autres véhicules thermiques par de nouvelles merveilles mues par l’électricité.

Gail Tverberg dans son blogue Our Finite World suit cette question depuis des années, et fournit régulièrement des analyses pour montrer que les renouvelables ne pourront pas représenter un avenir qui se permettra la même consommation d’énergie qu’aujourd’hui, alors que plus de 80% de notre énergie est fossile (voir par exemple Why a Great Reset Based on Green Energy Isn’t Possible).

La même illusion semble s’instaurer en relation avec le véhicule électrique. En dépit d’un engouement bien plus évident pour les VUS thermiques, on peut lire presque tous les jours maintenant des articles ou suivre des émissions portant sur l’avenir de cette substitution pour notre véhicule thermique si courant. Cette illusion a été quantifiée par une présentation de Roger Baker, « How achievable is the large scale electrification of the US car industry? », durant le colloque virtuel de l’International Society pour Biophysical Economics tenu au début de septembre. Le résumé en donne un aperçu en attendant que le site soit mis à jour pour la conférence elle-même.

It est largement assumé, presque avec une confiance politique, que lorsque l’approvisionnement global n’arrive plus à répondre à la demande, les États-Unis pourront faire plausiblement une transition des autos thermiques vers les véhicules électriques. Pour le reste, la vie pourra continuer comme avant. Cette transition doit regarder les chiffres en cause en ce qui a trait aux principales ressources nécessaires pour assurer que cette transition fonctionne. La ressource principale qui ressort de l’analyse comme problématique est probablement le cuivre, avec le pétrole, les deux étant économiquement interdépendants. Par contre, ces deux ressources sont possiblement en train d’atteindre un pic dans leur productions globale, à peu près en même temps. Cela présente un problème, puisqu’il est difficile d’imaginer l’augmentation de la production de cuivre quand le pétrole nécessaire pour la transition est limité en quantité. Cette limite en termes de ressources est davantage compliquée par la concurrence industrielle entre la Chine et les États-Unis.

La présentation porte sur de nombreuses facettes de la situation. D’une part, elle rappelle que les transports en général représentent 14% des émissions des GES (voir le graphique plus haut), et les transports individuels (nos chères automobiles) en représentent peut-être la moitié. Les véhicules électriques exigent deux fois la quantité d’énergie fossile que les thermiques lors de leur fabrication et pour la plupart roulent ailleurs qu’au Québec sur une électricité produite par de l’énergie fossile.


Le coût de la production des métaux[2] suit de très près le coût de l’énergie utilisée pour leur extraction. Cela signifie que nous ne pourrons pas produire les quantités de cuivre nécessaires pour la fabrication des véhicules électriques sans y incorporer la problématique du pic du pétrole (conventionnel).


À cela il faut ajouter que les découvertes des gisements de cuivre (comme celles des gisements de pétrole) représentent des quantités de moins en moins importantes, ce qui comportera des coûts de plus en plus importants à l‘avenir pour l’extraction des mêmes quantités de métal.

Il est même probable que la production de cuivre ait atteint son pic en 2018. Baker résume la situation assez brutalement. 

La grande question est : Y aura-t-il assez de cuivre pour les besoins de l’électrification globale? La réponse courte est non, sans une accélération massive de la production de cuivre à travers le monde. Le marché du cuivre entre dans une période pluriannuelle de déficits et d’une demande accrue venant de l’expansion d’énergies renouvelables et de véhicules électriques. Le véhicule électrique moyen utilise environ quatre fois plus de cuivre que le véhicule thermique moyen. Les systèmes d’énergies renouvelables sont au moins cinq fois plus intensifs en cuivre que les systèmes conventionnels.

La situation se résume avec le portrait pour le Chili, pays producteur important: les gisements sont de moins en moins concentrés et le métal coûte donc de plus en plus cher à extraire.

Conclusions générales pour Baker :

(1) Comme solution, les véhicules électriques n’auront pas l’envergure nécessaire pour résoudre les défis des GES. Par ailleurs, la transition vers l’énergie verte n’arrivera vraisemblablement pas aussi vite que présumée, surtout en tenant compte des limites en matière de ressources aux États-Unis. La Chine, les États-Unis et l’Union européenne envisagent tous un avenir rempli de véhicules électriques à prix abordable, sauf que les planificateurs à la Maison Blanche ne semblent pas au courant de la menace d’un pic de pétrole et d’un pic de cuivre.

(2) Devant les limites des ressources, l’avenir centré sur les véhicules électriques poursuivi par la Président Biden et le Congrès sera vu par plusieurs comme «business as usual», avec quelques véhicules électriques en sus. Si nous n’agissons pas en reconnaissant que les 95% d’autres sources de GES menacent notre survie autant, notre problème principal sera le déni. La conviction que nous serons sauvés par la technologie ne tient pas compte du fait qu’une coopération réaliste globale est ce qui est nécessaire pour gérer le défi des limites de ressources, et le défi souligné par le récent rapport du GIEC.

(3) Libérés d’attentes irréalistes, il nous faut un nouveau regard scientifique pour tenir compte des limites des ressources pour les États-Unis, ressources autant matérielles qu’énergétiques, pour la nation et globalement. Il faut une approche tenant compte des limites pour évaluer correctement nos véritables options économiques et politiques.

Autrement dit, nous sommes devant la même situation qui prévaut un peu partout : nous atteignons les limites des ressources capables de maintenir la vie que nous avons connue depuis des décennies et, suivant les projections de Halte à la croissance, l’effondrement est à nos portes, en dépit d’un optimisme assez généralisé. Cela n’est pas le cas, par contre, du dernier rapport du GIEC.

[1] J’ai publié en 2011 un livre L’indice de progrès véritable: Quand l’économie dépasse l‘écologie (MultiMondes) où je «corrige» le PIB du Québec en y insérant les coûts d’un ensemble d’impacts négatifs. Ce faisant, la «valeur» signifiée par le PIB devient presque insignifiante. Ce qui sauve la mise, pour ainsi dire, est la valeur ajoutée de ce qui s’appelle le travail non rémunéré, en très grande partie la contribution des femmes à la société; ce travail est suivi par Statistique Canada depuis longtemps, et peut donc se calculer…

Quand j’étais Commissaire au développement durable en 2007-2008, j’ai fait calculer l’empreinte écologique du Québec; une comptable et un économiste y ont mis six mois de travail pour le faire. L’Institut de la statistique du Québec était capable de nous fournir les données associées au calcul du PIB, mais n’avait pas de données pour le calcul de la capacité écologique de la province, ni pour celui des nombreux impacts négatifs de l’activité économique. Nous avons donc monté ce dossier en visitant les nombreux ministères qui en détenaient des éléments du portrait, pour conclure que le Québec dépasse de trois fois avec son empreinte la capacité de support de la planète, en insistant sur une distribution équitable de cela.

Pour penser se mettre au diapason d’une transition quelconque, les Québecois doivent penser réduire leurs impacts, leur consommation, leur mode de vie des deux tiers…

[2] Baker met l’accent sur les ressources matérielles utilisées en plus grandes quantités, le pétrole et le cuivre. Il reste que d’autres matières premières essentielles dans le processus d’électrification, comme le nickel et le cobalt (sans oublier le lithium), comportent également d’importantes contraintes. Voir par exemple l’article de Philippe Gauthier, «Déficit de production en vue pour le cobalt et le nickel». Pour résumer les conclusions de Gauthier :

D’abord, qu’il n’existe pas de menace imminente d’épuisement géologique de ces métaux. Ensuite, et c’est le plus important, que le déploiement des véhicules électriques risque dès 2025 de ralentir en raison de l’insuffisance de l’approvisionnement en métaux essentiels. La crise devrait devenir très importante à partir de 2030 et sérieusement contraindre l’électrification des transports. Il y aura probablement des arbitrages difficiles à faire entre le transport collectif, les voitures individuelles et le transport des marchandises.

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Des distinctions à faire

Cet article est publié alors que nous venons d’obtenir le dernier rapport du GIÉC (AR6). Finalement, ce rapport se situe tellement en ligne droite avec les précédents rapports et leurs trajectoires sans faille, montrant l’incapacité des sociétés à répondre aux exigences nous permettant d’éviter la catastrophe, qu’il n’y a presque pas lieu d’en faire un grand plat. J’ai lu le résumé pour décideurs, lui-même assez technique et qui doit se lire en premier à travers sa courte série de constats constituant l’aboutissement de décennies de mises en garde.[1] J’y reviendrai probablement, mais pour le moment, le présent article s’y insère très bien, nous mettant devant l’effondrement, à court terme, en fonction d’une raréfaction de pétrole conventionnel ou en fonction des impacts dévastateurs des changements climatiques, cela étant à quelques nuances près – en fait, à moins d’un changement quasiment civilisationnelle – le message du rapport AR6. Les tendances dans la hausse des températures sont telles qu’il nous prendra 20 ou 30 ans à les stabiliser, lit-on – c’est n’est plus même une question de restreindre les hausses…

Halte à la croissance (Limits to Growth – LtG) date de 1972 (et les recherches et la rédaction montent encore plus loin). Tout en restant une référence pour des gens comme moi, il est devenu important avec le passage des décennies de voir comment les projections se comportaient avec les données . Les auteurs du document l’ont fait à deux reprises, en 1992 (Beyond the Limits) et en 2004 (Limits to Growth : The 30-year Update). Ces «mises à jour» ont montré que la concordance avec le scénario du Business as Usual (BAU) indiquait que l’effondrement projeté vers 2025 nous menaçait toujours. 

En 2008, 2012 et 2014, le physiciste australien Graham Turner a fait des mises à jour, de sa propre initiative, et tout récemment, Gaya Herrington, Directrice, Sustainability and System Dynamics Analysis, Lead for the Americas à KPMG, a fait porter son travail de maîtrise à Yale sur encore une autre recherche sur la concordance des données avec LtG, cette fois-ci 50 ans après les recherches originales.

Le travail est plutôt technique, travaillant sur des mesures de précision associées à l’application des scénarios aux données les plus récentes. Par rapport aux travaux de Turner, elle travaille aussi avec le scenario BAU2, introduit par les auteurs originaux dans leur ouvrage de 2004 en doublant la composante «ressources naturelles», soit la quantité de combustibles fossiles disponibles, et en faisant des ajustements au modèle World3 à la base du système. Dans le travail de Herrington, c’est ce scenario qui finit par fournir une projection d’effondrement, par rapport au scenario BAU, cela en mettant l’accent sur les impacts des changements climatiques («pollution», pour LtG déjà en 1972), alors que le BAU, dans sa projection d’effondrement vers 2025, se concentre sur la raréfaction des combustibles fossiles.

Herrington continue le focus sur BAU2, mais il est intéressant de voir la situation dans laquelle nous nous trouvons avec les deux options. L’effondrement projeté par le scenario BAU depuis le début et encore en 2004 ne fait pas de distinction entre les combustibles fossiles conventionnels et non conventionnels, alors que nos articles récents mettaient l’accent sur cette distinction, relativement récente. Avec cette distinction, BAU continue à projeter la menace d’un effondrement plutôt à court terme.

La disponibilité et l’utilisation de nouvelles ressources fossiles non conventionnelles doivent quand même être reconnues, et nous expérimentons des incidents climatiques en 2021 qui s’approchent de l’équivalent d’un effondrement tel que projeté par BAU2.

Les scénarios de Herrington

Herrington regarde aussi les scenarios CT (Comprehensive Technology) and SW (Stabilized World), et conclut que les scénarios qui semblent les plus probables projettent des déclins dans la prochaine décennie; le BAU2 projettnt un effondrement, plus tard que celui du BAU.

Suivant les grandes lignes de ces analyses, nous nous trouvons devant deux situations de plus en plus probables, soit un déclin dans les énergies fossiles conventionnels et un effondrement de la civilisation de production industrielle (BAU), soit une augmentation des pressions venant des changements climatiques et la perte de capacité de cette même civilisation de s’y adapter (BAU2).

Un projet soumis récemment pour financement par Pierre Alain Cotnoir insiste sur l’importance d’aller pour loin que les communications ciblant des mentions dans l’actualité en faveur de plus longs échanges (lus, espère-t-il) fournissant une véritable information. Pour illustrer ses intentions, il a publié une entrevue (voir le commentaire à la fin, de Pierre Alain Cotnoir, pour y accéder) de plus d’une heure avec Pierre-Olivier Pineau des HEC, expert Québec reconnu dans le domaine de l’énergie. L’entrevue fournit une vue d’ensemble du portrait (et des défis) énergétiques de la province. Vers la fin de l’entrevue, Pineau s’aventure sur la question de la possibilité de passer outre les limitations du pétrole conventionnel, soulignant que les sociétés avancées soient possiblement capables de fonctionner avec le nouveau pétrole non conventionnel et plus cher. Il reconnaît qu’une telle situation (qui rendrait le scénario BAU plus ou moins pertinent) comportera une plus grande consommation d’énergie fossile et de plus grandes émissions de GES – à moins de procéder à des interventions permettant de les réduire. Se décrivant comme optimiste, Pineau reconnaît quand même qu’il n’y a aucun précédent pour une telle situation. Nous serions plutôt face au scénario BAU2, avec l’effondrement arrivant d’une autre manière.

[1] Je viens de relire Losing Earth : A Recent History (2018) de Nathaniel Rich. C’est presque hallucinant de voir comment les tergiversations d’il y a 30 ou 40 ans sont presque identiques à ce qui se passe aujourd’hui dans la lutte contre les changements climatiques. 

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Mauvais choix d’objectif

Pendant les années 1990, je collaborais avec un autre membre de la Table ronde nationale sur la question des coûts des changements climatiques. Lui, président d’une compagnie de réassurance agricole, compilait les données de la Swiss Re et, à l’occasion, intervenait pour réduire les dommages occasionnés par la grêle dans les prairies. Au fil des ans, nous avons vu les coûts monter dramatiquement au Canada, tout comme les dommages, et après un certain nombre d’années, nous avons abandonné le suivi de la situation, qui paraissait déjà hors de contrôle.

Le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (le GIEC) nous fournit des pistes et des projections sur la situation depuis trente ans maintenant, et les gens qui suivent ces rapports sont obligés de constater la même chose : la situation s’empire constamment et est à toutes fins pratiques hors de contrôle. Éric Desrosiers, journaliste à l’économie au Devoir, est parmi ces gens, et il vient de consacrer son analyse hebdomadaire à la situation décrite par une fuite du GIEC, et son constat semble rejoindre celui des autres, que nous atteignons le point de non-retour. La rédactrice en chef du journal, Marie-Andrée Chouinard, a repris l’analyse le lendemain en allant au plus général. Son éditorial, «Pour éviter le pire», n’entre pas dans la longue série de réflexions sur la situation en offrant des scénarios pour sortir de la crise, mais constate avec son titre que c’est trop tard, que nous devons aujourd’hui chercher à éviter le pire, et non à établir les assises pour en sortir.

L’objectif des pays riches est de maintenir les modes de vie actuels, en les adaptant aux exigences des réductions, entre autres (et cela seulement en principe) en rendant le transport électrique. Cela ne soulève même pas le fait que probablement les deux tiers de l’humanité n’ont même pas la possession d’un véhicule personnel dans leurs visées. Y penser démultiplierait le défi déjà colossal, même si l’on peut penser que les pays riches pourraient poursuivre sans trop de problèmes comme depuis des décennies et ne pas tenir compte de cette inégalité dans les modes de vie.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1120836/caa-quebec-dix-solutions-congestion-routiere

Desrosiers commence assez raide, en partant des nouveaux engagements du gouvernement canadien pour des réductions des GES de 40% à 45% d’ici 2030 (cela par rapport à 2010, point de référence en changement constant, alors que la référence pour le GIEC, beaucoup plus exigeante, est toujours 1990). Desrosiers cite Yves Giroux, le Directeur parlementaire du budget, dans un nouveau rapport:

L’ampleur et la vitesse des changements nécessaires [pour atteindre ce nouvel engagement] rendront sa réalisation difficile. Le problème n’est pas tant le manque de solutions vertes disponibles, il y explique, mais il faudrait entre autres qu’environ la moitié des ventes de véhicules neufs soient des véhicules «zéro émission» dès l’an prochain. Il faudrait aussi que les propriétaires de bâtiments soient soudainement pris d’une urgente envie de remplacer leurs systèmes de chauffage par des thermopompes et les industries d’un irrépressible désir de conversion aux petits réacteurs nucléaires modulaires.

Desrosiers poursuit, avec d’autres références:

Près de la moitié des réductions de GES qui doivent mener à la carboneutralité d’ici 2050 devront venir de technologies qu’il reste encore à trouver, a admis l’émissaire américain pour le climat, John Kerry. Il faudrait aussi construire l’équivalent du plus grand parc solaire au monde, chaque jour, au cours des 30 prochaines années, a estimé pour sa part l’Agence internationale de l’énergie, ainsi que dix installations de captage du carbone par mois à compter de 2030 alors que le monde n’en compte actuellement que 26.

Un défi colossal…

Tous ces calculs, toutes ces projections, s’insèrent dans une volonté de maintenir les modes de vie actuels (cela en laissant à d’autres interventions des réductions des inégalités qui font, par exemple, que les deux-tiers de l’humanité ne pensent même pas à l’idée d’avoir une auto), parce que l’alternative est inimaginable. Pourtant, un regard sur les implications de tous ces gestes visant à maintenir nos modes de vie de bute rapidement à d’autres constats tout aussi inimaginables :

Desrosiers en est conscient, et cite d’autres sources. Il semble être rendu au constat de nous deux à la Table ronde il y a pus de 20 ans…

Mais voilà. A-t-on vraiment le choix ? Si même un succès partiel de la lutte contre le réchauffement climatique coûtera horriblement cher, ce n’est rien en comparaison des coûts économiques, écologiques et humains du statu quorappelait pour une énième fois une étude du géant de la réassurance Swiss Re en avril

Et me voilà moi-même à un retour dans le passé dans la réflexion, et un retour à mon livre Trop Tard qui, suivant les projections du Club de Rome dans Halte à la croissance, nous mettait devant l’effondrement aux alentours de 2025. J’ai recommencé mes articles pour le blogue avec une référence à la récente publication d’Yves Cochet, Devant l’effondrement, dans la foulée des travaux sur la collapsologie; le document du GIEC ne nous en éloigne pas.

Ce qu’il y a à ajouter à ces réflexions est le fondement des analyses des collapsologues, le fondement de Halte, soit que la source des changements climatiques est notre recours aux énergies fossiles et que ce qui se passe de ce côté-là est peut-être plus dramatique que ce qui se passe du côté du climat. J’ai fait une mise à jour sur la situation par rapport au pétrole conventionnel pour suggérer que le déclin de cette énergie, qui est au cœur du fonctionnement de nos sociétés, est toujours à projeter suivant les projections du Club de Rome de 1972. Nous faisons face à l’effondrement beaucoup plus tôt que ce qui est imaginable en ce qui a trait aux changements climatiques…

Près de chez nous: The Green New Deal

 On Fire: The Burning Case for a Green New Deal a été publié par Naomi Klein en 2019, à la suite de son livre Tout peut changer (This Changes Everything) de 2014. Dans ce récent livre, elle a misé sur le parti travailliste dans la Royaume Unie, qui a subi une défaite historique par la suite. Reste à voir le sort qui sera réservé à une autre cible de Klein, le Green New Deal aux États-Unis, actuellement dans une version proposée par la nouvelle administration Biden pour combler la «décennie zéro» inscrite par Klein en 2014. C’était comme une sorte de fin, pour elle, des efforts pour gérer les défis contemporains (surtout, celui des changements climatiques). La décennie achève

Le projet de loi sur les infrastructures fournit une idée de ce qui pourrait être fait pour se mettre en mode «transition» aux États-Unis. Il est en discussion dans la législature américaine depuis des mois, et fait partie de l’approche d’ensemble de l’administration Biden qui cherche entre autres à mettre en branle une transformation de l’économie américaine pour qu’elle se libère de sa dépendance aux énergies fossiles. Si la transformation de mettait en place, ce serait ce que Klein recherche, mais il faut reconnaître qu’il s’agit d’une intervention des démocrates, que les congrès est divisé presque 50-50 et qu’il n’y a aucun espoir que les républicains aillent en ce sens. Les travaux sont fondés, entre autres, sur l’étude de Princeton et al publiée le 15 décembre 2020 (il comporte quelque 350 pages).

Philippe Gauthier en a fait un portrait en fournissant ses critiques et préoccupations par rapport à cet travaux. Je les résume ici, sans rentrer dans le rapport lui-même.

Ce genre de plan dépend largement des hypothèses de départ, qui sont ici très optimistes. Est-il vraiment raisonnable d’espérer zéro émissions nettes avec un mix énergétique reposant encore jusqu’à 38 % sur les carburants fossiles?

L’étude évalue des scénarios de transition qui se distinguent surtout par le rythme de l’électrification et par un recours plus ou moins massif aux technologies de capture et de séquestration du carbone (CCS). Les coûts financiers sont au cœur de ces scénarios.

La séquestration sous le sol (CCS), soit en l’absorbant dans de la biomasse (BECCS) soit en le retirant directement de l’air ambiant avant de le stocker sous terre (DAC), représente de bien belles techniques sur le papier, mais qui n’ont pas fait leurs preuves à grande échelle. Mais peu importe! Elles permettent aux chercheurs de Princeton de promettre un monde où l’on brûlera une abondance de carburants fossiles tout en ramenant les émissions à zéro.

De manière générale, les scénarios misent sur une augmentation rapide de la capacité solaire et éolienne, de même qu’un recours accru a la biomasse.

Détail à noter, les batteries occupent peu de place dans ces plans. C’est essentiellement l’hydrogène qui permet de gérer l’intermittence et les variations saisonnières.

Pour réduire les coûts de la transition, on suppose que les équipements polluants ne sont remplacés qu’en fin de vie. On tient compte du fait que des technologies comme les véhicules électriques et les pompes à chaleur utilisent moins d’énergie que les moyens actuels pour atteindre les mêmes résultats. On tient aussi compte du coût relativement élevé de l’abandon des carburants liquides.

On mise aussi sur de sérieux gains d’efficacité. Au final, l’intensité énergétique de l’économie américaine (la quantité d’énergie utilisée pour produire une unité de PIB) s’améliore de 1,7 à 3,0 % par année, selon les scénarios. Ceci paraît optimiste, dans la mesure où ces gains sont actuellement d’à peu près 1% par année. 

Le déploiement de l’énergie solaire s’accélère dans tous les scénarios, sauf un, où il se poursuit au rythme actuel. On estime que la capacité éolienne va tripler d’ici 2030, alors que la capacité solaire va quadrupler. On parle ici de parcs à l’échelle commerciale, pas de déploiements sur les toits. En 2030, les États-Unis devraient déployer chaque année plus d’énergie renouvelable que la Chine. La manière dont ces objectifs seront atteints fait l’objet de très peu de discussion. 

Ces projections reposent sur l’hypothèse que le prix du pétrole et du gaz va rester peu élevé.

Jusqu’ici, les scénarios proposés paraissent assez raisonnables (c’est Gauthier qui le dit). Le tableau se complique lorsqu’on mesure la part de la biomasse et de l’hydrogène. 

Dans l’ensemble, cette partie apparaît assez faible. Pour fonctionner, l’un des scénarios nécessite beaucoup plus de biomasse que ce qui est réellement disponible.

 L’utilisation de carburants fossiles et d’hydrogène basé sur les fossiles ou la biomasse reste importante dans le plan. Les émissions de CO2 pourraient encore atteindre 1,8 milliard de tonnes en 2050. On espère éliminer ce carbone après coup par un recours massif au stockage géologique et par la production de carburants de synthèse. Il s’agit là de la partie la plus fragile du plan, à mon avis.

Une critique en bonne et due forme de ces hypothèses dépasserait largement le cadre de ce blogue. Il suffira de rappeler que jusqu’ici, les rares essais de capture et de séquestration du CO2 n’ont eu lieu qu’à une échelle réduite et qu’ils ont rarement été concluants. La technologie fonctionne, mais elle est malcommode, ne capture pas 100% des émissions et s’avère beaucoup plus coûteuse que prévu. Le plan repose, sans base formelle, sur l’idée que ces coûts vont diminuer. De plus, on ne sait pas très bien qui doit payer pour ce service.

Le plan ne s’interroge pas du tout sur la capacité de l’industrie minière à fournir les matériaux nécessaires et sur celle de l’industrie manufacturière à les transformer en panneaux solaires et en éoliennes en temps voulu. La question de l’approvisionnement en batteries est à peine évoquée elle aussi. 

Les deux formes d’énergie sont intimement liées dans cette étude, parce qu’on présume qu’une bonne partie de la biomasse sera utilisée pour produire de l’hydrogène – et que le carbone libéré par cette transformation sera capturé et séquestré de manière permanente à coût modéré.

Cette hypothèse commode (et très contestable) permet de présenter la biomasse comme une manière de compenser les émissions des carburants fossiles toujours présentes dans les divers scénarios. À l’horizon 2050, 100% de la biomasse disponible (résidus agricoles et forestiers) serait utilisée pour produire des carburants. Dans certains scénarios, il faudrait aussi convertir plus de terres agricoles à la production de biomasse, par exemple plus de maïs pour produire de l’éthanol.

Détail remarquable, il n’est pas beaucoup question de biogaz. Cette décision n’est pas formellement expliquée, mais semble être motivée par le désir de séquestrer le carbone. Le biogaz serait donc séparé en ses deux composantes, carbone et hydrogène. Le premier serait stocké, le second, utilisé tel quel ou sous forme de carburants de synthèse. Le gaz naturel fossile serait aussi converti en hydrogène, un procédé qui est présenté comme peu émetteur dans la mesure où le CO2 émis serait stocké. Des technologies non éprouvées à grande échelle (pyrolyse de la biomasse, Fischer-Tropsch renouvelable) jouent un rôle important dans ces plans.

Il est à noter que le plan ne propose pas de stockage de l’électricité par batterie, hormis dans les véhicules électriques. La gestion de l’intermittence est assurée par le stockage sous forme d’hydrogène ou d’autres carburants, qui sont ensuite reconvertis en électricité au besoin. La quantité de carburant nécessaire sur une base horaire ou saisonnière ne fait l’objet d’aucune évaluation.

J’inscris ces réflexions au long parce qu’elles fournissent une vision d’ensemble des approches nécessaires – en notant l’absence de recours à des batteries – pour même penser à une transition. Cela est dans le contexte où tous les scénarios aboutissent en 2050 avec un recours plus ou moins important aux énergies fossiles dans le portrait d’ensemble. En fait, et pour le mettre simplement, il n’est pas envisageable de penser maintenir les activités économiques actuelles en visant à remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables.

Autrement dit, nous sommes déjà dans une situation où il nous fait envisager des réductions dans notre utilisation de l’énergie et, presque par conséquent incontournable, dans notre mode de vie. Par ailleurs, on doit penser à tout un ensemble d’autres interventions visant à éliminer (au moins, réduire de façon importante) les inégalités entre pays, voire à l’intérieur de pays comme les États-Unis, alors que ces inégalités semblent plutôt structurelles en regardant le système que le plan Biden cherche à modifier. 

Une nouvelle société s’impose

Bref, l’effort de mettre de l’avant le Green New Deal, avec ses options, nous met devant la nécessité de sortir du cadre de la «normalité» qui constitue pourtant presque l’unique approche dans l’ensemble des sociétés.

Il n’y a presque pas de pays ou d’organisation qui n’est pas dans le processus de préparer la «transition énergétique». Presque sans exception, l’effort vise à remplacer les systèmes énergétiques actuels par des systèmes fondés sur les énergies renouvelables. Nulle part ou presque on ne voit impliquée une réduction de la consommation totale de l’énergie comme objectif complémentaire. The Green New Deal, dont on parle maintenant depuis quelques années, rentre dans une telle perspective, et les interventions de la nouvelle administration Biden dans ce domaine semble adopter la même approche. Cela fait quand même des années que nous voyons assez clairement que les avancées des énergies renouvelables ne permettent nullement de les voir capables de remplacer, en qualité et en quantité, les énergies fossiles. Gail Tverberg fait des billets sur ce thème depuis longtemps. En fait, cette tendance de fond fait partie de l’adhésion au modèle économique visant la croissance et incapable de penser en d’autres termes, y ajoutant la confiance extrême dans la technologie pour rendre le tout cohérent. 

En fait, nous sommes rendus au devoir de constater que nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs en matière d’émissions de GES. L’alternative est de cibler des objectifs visant à réduire notre consommation de matières premières et d’énergie, ce qui comporte d’emblée un changement plutôt radical dans notre mode de vie. Ce n’est pas pour demain des orientations sociales et politiques en ce sens…

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Trop tard? Une mise à jour

Dans son récent commentaire, Raymond Lutz se montre un peu irrité par des échanges sur mes sources, voire sur des détails en ce qui concerne l’ÉROI et autres thématiques. Bien que certains détails soient vraiment secondaires, Lutz fait référence au propos de base de mon livre (p.145) à l’effet qu’il est trop tard pour chercher à maintenir la vie que nous avons connue depuis des décennies. Ce qu’il faut souligner à cet égard est que le propos est fondé sur des projections de l’Agence internationale de l’énergie (AIÉ).

À cet égard, j’y souligne le rôle de l’économie biophysique pour une meilleure compréhension de ls situation planétaire, mettant un accent sur notre énorme dépendance à l’énergie. J’y ai souligné également le déficit dans les projections de la demande par rapport à la production prévue. Le déclin envisageable dans la production de pétrole conventionnel rejoint les projections du Club de Rome de 1972, aboutissant à un effondrement de la société.

Lors d’un panel virtuel organisé par des étudiantes des HEC en mars 2020 et où siégions Philippe Gauthier et moi-même, il est devenu clair que Gauthier mettait en cause mon propos de base. Dans une communication personnelle, iI m’informe que «depuis [2019], l’agence [l’AIÉ] s’est ressaisie et parle maintenant d’un «pic de la demande», plutôt que de l’offre. Il faut aussi observer que le pic proposé n’est suivi d’à peu près aucun déclin jusqu’en 2040 au moins.»: selon lui, un approvisionnement en pétrole conventionnel peut donc être envisagé jusqu’au moins 2040, le temps pour entamer et réussir une transition.

Ceci met en question ma propre analyse et ses fondements.

La page référencée par Tainter et Patzek n’existe plus, et il faut consulter le rapport-même de l’AIÉ, World Energy Outlook 2008 (p.250)

Les projections de l’AIÉ dans le graphique remontent donc à des données de 2008, et il faut les mettre à jour. En février 2019, Matthieu Auzanneau, directeur du Shift Project de Jean-Marc Jancovici, a fait une présentation, à partir des données de l’AIÉ datant de 10 ans plus tard, sur les perspectives peu reluisantes en ce qui concerne l’approvisionnement en pétrole (conventionnel); une portrait général est fait au début, même si la présentation cible en particulier la situation à laquelle se confronte l’Europe.


The Shift Project revient à la question en mars 2021 dans une analyse The European Union Can Expect to Suffer Oil Depletion by 2030, cette fois en ayant recours aux travaux de Rystad. Les responsables du Project semble manquer de confiance dans le travail de l’AIÉ, mais le recours à Rystad ne règle pas les questions.

Il semble que les nouveaux projets en pétrole conventionnel qui seraient requis, selon l’AIÉ, pour éviter un déclin de l’approvisionnement d’ici 2025, ne sont pas prêts à être mis en œuvre; de même, la production de pétrole non conventionnel ne semble pas en mesure de doubler son niveau de 2017, encore moins le tripler, comme projetée par l’AIÉ.

Les figures 5, 6 et 7 montrent les tendances dans la production globale de carburants fossiles de 2000 à 2030 (tel que projeté par Rystad à partir de 2020).

La figure 6 [non incluse ici] fait une distinction entre le pétrole conventionnel et l’ensemble des types de pétrole non conventionnel. Elle confirme que la production de pétrole conventionnel a eu son pic en 2008; elle montre un déclin de -4,4% de 2008 à 2019 et s’attend à un autre déclin de -0,9 pour la période de 2019 à 2030. Tenant compte de l’amplitude limitée de ces variations, la tendance peut aussi être décrite comme un plateau ondulant de 2004 à 2018, suivi d’un autre plateau ondulant, un peu plus bas, pour la période après 2019.

Peu importe, on s’attend à ce que la production ne dépassera jamais le niveau du pic de 2008, incluant la période après 2030, selon et Rystad et l’AIÉ.

Ces figures constituent une présentation du travail de l’AIÉ à travers les analyses de Rystad. La figure 5 donne la production du pétrole conventionnel en 2030 comme étant égale à celle en 2000, et la partie bleu pâle, voire une partie du vert de mon graphique, sont comblées. 

La figure 7 montre aussi que, seulement pour maintenir la production [de toute la production de pétrole liquide] au niveau de 2019 (96.5 Mb/j), le tiers de la production actuelle (2019) doit se voir substitué d’ici 2030. Ce déclin par rapport à la production actuelle qui doit avoir lieu pendant la prochaine décennie est de 31,7 Mb/j, équivalent à la capacité de production actuelle combinée des États-Unis, de l’Arabie saoudite et de la Russie, les trois plus importants producteurs dans le monde.

Pour atteindre le niveau de production totale de 103,6 Mb/j projeté pour 2030, environ le quart de ceci (23 Mb/j) doit venir de découvertes passées (le vert) ou de découvertes possibles à venir (bleu). Le potentiel de développement actuel de ces découvertes est par sa nature même problématique, cela d’une perspective aussi bien économique que géologique. À partir de 2023, la capacité de maintenir la production dépend du développement actuel des découvertes passées et, à partir de 2026, du développement de découvertes futures possibles.

De ces 23,6 Mn/j conjecturales de nouvelle capacité de production, 70% devra venir de pétrole non conventionnel ou de liquides de gaz naturel de puits non conventionnel : c’est la figure 8.

(op. cit., pages 10-14)

En effet, la figure 8 est une variante de celle de l’AIÉ de 2008, en suggérant que presque tout le manque à gagner va être trouvé. Pour le Shift Project, par contre, devant les énormes enjeux esquissés, c’est plutôt inconcevable qu’il n’y ait pas de déclin assez important dans la production de pétrole conventionnel d’ici 2030. Gauthier doit se trouver parmi les optimistes à cet égard, contrairement au Shift Project de Jancovici.

En 2019, Yves Cochet a publié le livre que j’ai mis en évidence dans le dernier article, Devant l’effondrement. J’étais surpris d’y voir – pour un Européen – sa présentation de l’économie biophysique (presque inconnue en dehors des États-Unis, où Charles Hall et Kent Klitgaard en développent ses implications) comme clé pour son analyse aussi. Il y suit dans son chapitre 3 les concepteurs de cette économie en insistant sur l’importance cruciale de l’énergie dans la compréhension de la situation (bis). Les sections se suivent: le peak oil; le rôle des rendements énergétiques (les ÉROI) de différentes exploitations; l’impossible découplage de l’économie de ses fondements dans le monde matériel (contrairement aux conceptions de l’économie néoclassique).

Ces analyses semblent clairement rejoindre celle de Trop Tard de 2017, où je suggère que l’effondrement de Halte à la croissance, que j’ai en tête depuis presque 50 ans comme guide bien orienté, est en préparation.


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