À la recherche de la vie

Géo Plein Air hiver 2006La science me fascine depuis mon adolescence, et j’ai même gagné le prix en sciences de mon école secondaire (il y a donc longtemps…), avant de décider de poursuivre mes études au collège dans un programme d’études mettant l’accent sur l’ensemble des connaissances; cela passait par le contact direct avec les auteurs de la grande tradition de la culture européenne. Ma thèse de doctorat portait sur le travail de l’astronome Ptolomée de l’Égypte ancienne montrant deux façons d’expliquer la façon dont le soleil tourne autour de la terre…

Je regarde depuis longtemps le programme Découverte et d’autres programmes qui vulgarisent la science avec beaucoup d’intérêt, toujours fasciné par les merveilles de ce monde que la science réussit à pénétrer dans ses merveilleuses manifestations. Cela est en complément à une volonté permanente de me trouver physiquement dans cette nature merveilleuse. Il y a quelques semaines, je me trouvais en réaction, sans émerveillement, à une épisode de Découverte. Après deux épisodes sur le pétrole et son transport dans notre monde contemporain, reportages qui nous mettaient devant les enjeux qui dépassent les connaissances scientifiques pour aborder notre modèle de civilisation, je me trouvais devant les suites de l’inclusion de Julie Payette parmi les partenaires de l’émission.

Mars

Déjà Payette m’avait déstabilisé en insistant lors d’une émission des Années lumières pendant l’été sur son optimisme en matière de technologie face aux enjeux climatiques (je ne me rappelle pas de ses propos avec précision, ni de la date de l’émission). Ce qui m’a frappé en octobre était une épisode [1] couvrant le projet d’envoyer des humains sur Mars, cela possiblement d’ici une vingtaine d’années. Je me sentais en train de regarder de la science fiction.

Où mettre notre argent?

Cela fait longtemps que nous nous disons que l’argent dépensé pour nos programmes spatiaux, en dépit de leur énorme fascination dans l’imaginaire (voire, dans le concret, avec l’alunissage de 1969 et plusieurs autres exploits), pourrait être mieux consacré à sortir les humains de la pauvreté dans de nombreux endroits du monde. Nous disons la même chose des dépenses militaires, énormes. Dans les deux cas, nous savons en même temps que cette volonté n’aboutit pas et nous comprenons de plus en plus que l’élimination de la pauvreté et des inégalités viendra seulement d’un changement de modèle et que l’élimination des dépenses militaires …

Visionner l’épisode sur l’expédition à Mars m’a laissé avec une autre réaction que celle à l’effet que nous devrions mettre cet argent ailleurs. Tout en croyant bien que l’argent n’y sera pas, sans qu’il aille aux pauvres à sa place, je me demandais comment les responsables pouvaient décider de nous présenter ce sujet en fonction de son intérêt scientifique, même si c’est majeur, sans mettre cela en perspective. En effet, les reportages sur les applications de la science nécessitent une approche tout autre que ceux sur les recherches et les découvertes scientifiques, et les deux épisodes sur le pétrole abordaient justement les enjeux sociétaux associés aux thématiques en cause. Elles abordaient un ensemble d’informations fournies sur les crises suivies régulièrement par Découverte.

Les défis de l’exploration spatiale semblent comporter des enjeux différents, plus fondamentaux. Des premiers signes de cela sont venus du budget déposé par le président Obama en 2010, budget qui coupait le financement pour le programme Constellation visant la colonisation de la lune (sic!), cela suivant la décision de transférer au privé les transports des astronautes entre la Terre et la Station spatiale internationale. Le budget ciblait l’innovation technologique à la place des voyages comme tels. Comme Le Monde décrivait la situation dans le temps: «De cette orgie de recherche et développement finiraient bien par se dégager une stratégie et une destination. Dans la doctrine Bush, l’objectif devait devenir possible. Pour Obama, le possible devait définir l’objectif.»

Le voyage à Mars n’aura pas lieu, et presque tout le monde le sait, mais les explications pour cela dépassent celles qui mettent les crises environnementales en contexte. Nous sommes devant une autre façon de mettre nous civilisation en évidence, cette lubie de penser pouvoir habiter d’autres lieux que notre planète Terre. Et voilà que même les dépenses militaires, justification et origine de tout le programme spatial suite à l’exploit russe de 1961 mettant Yuri Gagarin en orbite, se mettent en évidence.

Rester sur terre

Déjà, l’épisode de Découverte du 15 août portait sur la sonde Voyageur, en voyage depuis maintenant un demi-siècle et marquant ainsi l’histoire de nos exploits dans l’espace. Lancée en 1977, «il porte sur son flanc un disque doré où sont gravés des messages de notre planète: des chants de baleines, des voix d’enfants en plusieurs langues, des musiques de différentes cultures et des images de notre monde. … Voyager 1 est devenue maintenant l’émissaire de l’humanité en route vers les étoiles» (citation tirée du site de l’émission).

En visionnant l’émission sur Mars, je me trouvais surtout fasciné par cette fascination pour la recherche de l’existence de la vie à d’autres endroits de l’univers, alors que nous sommes allègrement en train de faire notre mieux pour détruire notre propre milieu de vie, dans sa beauté et dans sa diversité, notre propre planète. J’étais donc presque surpris de me trouver dans un état de déséquilibre pendant le visionnement de l’épisode, mais cet état d’esprit prend forme avec la citation sur Voyageur.

C’est un des acquis le plus impressionnant de notre civilisation que l’avancement des sciences dans la compréhension de notre univers. L’application de cette compréhension est une tout autre affaire. Il n’incombe peut-être pas à une émission de vulgarisation des sciences de chercher à départager les bienfaits et les méfaits de nos applications de ces connaissances, et l’émission sur Mars mettait en effet l’accent sur les défis scientifiques et technologiques auxquels s’affrontent les équipes qui travaillent dans le dossier.

Mais voilà le glissement, l’objectif énoncé détermine encore une fois les champs de recherche à la NASA plutôt que cette curiosité pour le possible que semblait souligner Obama et qui anime le scientifique lorsqu’elle se distingue de celui qui travaille sur l’application d’une technologie. À un moment dans la vie de notre civilisation où tout semble mis en cause, où nous ne contrôlons pas l’étendu de nos technologies, nous devons nous poser des questions sur ces ambitions mégalomanes, en pensant autant aux propositions de géoingéniérie pour gérer nos dérapages en matière de climat qu’à celui d’envoyer des humains sur Mars. Les gens de la NASA doivent bien se justifier devant les bailleurs de fonds, mais le discours justificatif qu’il y a peut-être une possibilité de vie sur cette autre planète m’a ramené à terre.

L’utilité de la science

Je me trouve en train de revenir sur la question que j’ai soulevée en août: y a-t-il une limite à l’utilité de la recherche scientifique, devant les connaissances déjà acquises par rapport à ce qui menace notre planète?

Potsdam, comme les grandes institutions internationales, comme les sources scientifiques des mouvements environnemental et social, abondent en informations – comme c’est le cas depuis des décennies. Ce qui manque dans cette information est celle qui nous montre pourquoi nous insistons pour nous diriger vers le mur. Autant la société civile partout a de la difficulté à sortir de l’inertie des habitudes de longue date, autant les décideurs ont le même problème, nulle part fournissant la moindre suggestion qu’ils sont capables de sortir de leur propre inertie inspirée par leurs conseillers en économie et en finances – et profondément inscrite dans les populations qu’ils desservent et qui les élisent (pour ce qui est des pays démocratiques).

Ma récente expérience m’amène à un nouveau constat, une ébauche de réponse à cette question. La science est fascinante en elle-même et nous fournit des connaissances qui constituent en elles-mêmes un mieux-être pour l’être intelligent que nous sommes ou sommes censés être. Ce que l’on doit distinguer est le caractère pratique de nos technologies, fondées sur la science mais mues par d’autres objectifs que le savoir.

Je suis intervenu au tout début de cette expérience de blogue en critiquant une autre émission de Découverte, sur le potentiel de l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste au Québec. Mon voyage à Mars, et la réflexion qu’en j’exprime ici, reviennent à un même constat, sans mettre en question ni la bonne volonté ni la crédibilité et la qualité de l’émission: la présentation des travaux scientifiques doit se différentier de celle des projets à caractère technologique, ces derniers étant toujours associés à des projets politiques et économiques. Les défis scientifiques et technologiques ont été bien présentés dans l’épisode du 11 octobre, mais le goût presque amer que j’expérimentais à l’écouter – mieux décrit tout simplement comme une évaluation critique naissante – vient du fait que le reportage s’insère dans un cadre déterminé par des objectifs politiques qui n’en faisaient pas partie. Nous ne sommes pas toujours conscients du rôle primordial des intérêts militaires et géostratégiques derrière de nombreuses recherches scientifiques, ni de leur insertion dans un processus possible d’effondrement de civilisation en cours.  Ce cas-ci a rendu la situation limpide.

La mer aussi bien que l’espace – l’atmosphère plus que l’espace

Je suis également avec intérêt et depuis longtemps les émissions de Thalassa présentée par TV5 chaque semaine, et c’était frappant de les voir évoluer au fil des années 2000. Presque chaque semaine, elle présentait le portait d’une communauté au bord de la mer en train de subir les assauts d’un ensemble de crises touchant les pêches et les océans. Lentement, on voyait une sorte de réveil du coté des producteurs et l’insertion, sans relâche depuis au moins 10 ans maintenant, d’analyses des problématiques écologiques et sociales à même les reportages sur la vie des communautés riveraines visitées.

Actuellement, il y a une sorte de compte à rebours dans les médias en préparation pour la tenue de la COP21 à Paris à la fin du mois. On y voit un recours à en ensemble d’intervenants qui ont déjà décidé qu’ils ne peuvent pas confronter la dure réalité de notre échec face aux crises environnementales et sociales, et on voit une variante de l’économie verte s’installer qui passe carrément à coté des constats même des responsables. Celles-ci soulignent publiquement déjà que les engagements de pays représentant 85% des émissions de GES ne permettent pas de nous mettre sur le chemin permettant d’éviter une hausse de plus de 2 degrés C. Nous sommes devant une hausse d’entre 2,7 et 3 degrés, avec les engagements actuels (même si cela est bien mieux que +3 ou +4 degrés, la tendance avant, dit Christiana Figueres avec un prétendu optimisme).

Le compte à rebours devrait tenir compte du fait que les préparatifs pour cette conférence remontent à environ 5 ans, à l’échec de Copenhague à la fin de 2009. Les responsables travaillent plus spécifiquement sur les résultats recherchés de la COP21 de Paris depuis près de deux ans. On peut bien se permettre des reportages sur les espoirs toujours présents que la conférence elle-même réussira à nous mettre sur le chemin nous donnant une chance de contrôler la hausse de température à venir. Cela exige, quand même, de la part des journalistes et commentateurs politiques, un regard bien plus critique que la répétition des voeux pieux énoncés depuis des années et sans résultats valables. Caché (presque) derrière le discours, voire l’effort cherchant toujours les engagements nécessaires, se trouve une civilisation dont les économies nationales et les comportements sociétaux sont inextricablement liés à une dépendance à des quantités intolérables d’énergies fossiles.

 

NOTE :

[1] Le site web de Découverte n’était pas à jour lorsque je débutais la rédaction de ce texte. Je n’y trouvais pas de liens pour les émissions récentes, y compris celle sur le voyage à Mars. En fait, j’étais sûr qu’il y avait deux émissions sur le sujet, tellement j’avais été frappé, et je voulais vérifier …

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3 Commentaires

  1. Paul Racicot

    Bonjour !

    Nous sommes le 11 novembre et… ce n’est que ce matin que je découvre votre toute dernière et fort intéressante publication. Vous n’êtes toujours pas sur Facebook ? Zut, alors ! 😉

    Un voyage vers Mars, dans un proche avenir, me semble être non seulement une dépense inutile (d’argent, de temps, de ressources tant humaines que matérielles) mais aussi un « suicide collectif » des plus probables de tous ses volontaires. Dommage. Mais il faut croire que de tenter de lever les obstacles techniques et budgétaires à une telle « mission » occupe les experts de la NASA et son service de presse. 😉

    Les budgets consacrés à l’industrie aéro-spatiale et militaire sont en effet planétairement faramineux, en dépit de la misère à laquelle sont pourtant confinés des centaines de millions d’être humains. Or, il en est ainsi (pour ce qui est des dépenses militaires à tout le moins) depuis des siècles et des siècles : Si vis pacem, para bellum (« Qui veut la paix prépare la guerre »). On pourrait tout aussi bien écrire : «Qui veut faire du fric, arme les belligérants (potentiels).» Et leur offre quelque bonne (dé)raison de s’entretuer s’ils n’en en ont pas.

    Au Québec, nos politiciens se pointent à la COP21, fort de leur marché du carbone avec la Californie et (bientôt) l’Ontario, tout en ayant investi dans l’exploration (et la possible exploitation) d’hydrocarbures sur l’île d’Anticosti, tout en consultant (disent-ils, et encore une fois…) la population sur une future « politique énergétique », tout en peaufinant un projet de loi (toujours à venir) sur les hydrocarbures, en tergiversant sur « l’acceptabilité sociale, environnementale et économique » des oléoducs. Ils ne mettent toujours pas leurs culottes en ce qui a trait à la sécurité des transports ferroviaires de matières dangereuses, semblant bien laisser cette patate chaude, parfois explosive, (et peut-être dispendieuse à gérer) aux élus municipaux…

    Pour réduire nos GES, pourquoi ne pas plafonner l’exploitation des sables bitumineux à « X » milliers de tonnes par année, par exemple ? (« X » pouvant toujours être égal à zéro…) Pourquoi ne pas décourager l’achat de véhicules personnels lourds par une décourageante augmentation de leurs frais d’enregistrement (d’immatriculation) à la SAAQ ? Etc. Mais… ouais… je sais… c’est « politiquement irréaliste ». 😉

    Au plaisir de vous lire à nouveau !

  2. Mon soupçon est que le coût de l’exploitation des sables bitumineux,comme celui d’autres énergies non conventionnelles, y compris les forages en eaux profondes, s’est montré au-delà de la capacité des sociétés à les intégrer dans leurs activités économiques. J’imaginais déjà cela en pensant il y a quelques temps que Keystone allait procéder mais faire faillite par la suite, ibid. Énergie Est. Maintenant, je me demande si leurs promoteurs pensent vraiment que les investissements en cause méritent le risque. Sauf que cela signifie la transformation en profondeur de leurs affaires.

    Et d’accord, c’est la même chose pour le(s) gouvernement(s), qui risque(nt) de se trouver avec la «récession permanente» de Tim Morgan en raison de tout cela. Ce qui est politiquement irréaliste risque à son tour de changer radicalement d’ici quelques années…

  3. Jean-François Morissette

    La vision d’Elon Musk sur Mars. Selon lui, nous devons absolument se trouver une autre chance sur une autre planète et éventuellement dans l’espace, et ce serait un bien grand risque que de ne pas essayer.

    Juste pour info: http://waitbutwhy.com/2015/08/how-and-why-spacex-will-colonize-mars.html

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